Je m’appelle A. et je souhaite rester anonyme, car de nos jours, la génération de jeunes diplômés au chômage n’a pas le droit de se plaindre. J’ai 24 ans, je viens de terminer une école de commerce et depuis 3 mois je suis au chômage ou plutôt en « recherche d’emploi ».
Ce billet n’a aucune revendication précise, il me permet juste d’exprimer à l’écrit, ce que beaucoup pensent tout bas, mais n’ose pas dire.
Ce billet est écrit à la première personne mais je pense qu’il représente une génération de jeunes diplômés amers de la réalité qui les frappe à la sortie de leurs études.
Tout avait bien commencé, il y a 5 et demi, après avoir passé dans un modeste lycée de Lyon un baccalauréat général, j’ai rencontré sur un salon différentes écoles de commerce. Elles m’ont promis à l’époque, un "cursus professionnalisant", des "stages instructifs", une ambiance "hors du commun", et bien sûr à la sortie un emploi avec une rémunération moyenne comprise entre "30 et 45k". Alors à l’époque, moi âgée de 18 ans, en quête d’indépendance, j’ai sauté sur l’occasion, passé les concours et été acceptée dans l’une des nombreuses écoles de commerce « post-bac », qui me paraissait convenable.
Leur cursus en 5 ans coutait à l’époque (et encore aujourd’hui) plus de 30 000 €, mais on m’a vite rassuré, il suffisait de faire un prêt étudiant. Chose que j’ai faite sans problème. Les banques sont friandes des petits jeunes, qui leur payent pendant 5 ans des intérêts annuels et remboursent juste après la sortie de leurs études la somme empruntée.
Alors je suis montée dans la capitale, j’ai cherché une petite chambre de bonne et comme je suis issue d’une famille nombreuse, il a fallu trouver un job étudiant, après plusieurs positions instables, j’ai fini par travailler en CDI de 20h/ semaine à McDonalds. Les deux premières années ne m’ont pas déçu pour rester honnête, des bases solides dans des matières, j’avais tout à apprendre (droit, comptabilité, gestion), la formation était donc au rendez-vous. Par contre, j’ai compris, que je n’aurais plus beaucoup de vacances, avant un certain temps. En trois ans, je n’ai pris pas plus de 6 semaines de vacances et très peu de weekend. La vie parisienne coûte cher, il m’a fallu travailler pendant toute la durée de mes études à temps partiel et à temps plein pendant les périodes de vacances scolaires. J’ai ainsi supprimé la notion de weekend, je me suis accordé du repos uniquement une petite semaine a Noël et une semaine ou deux en Juillet / Août. Pendant ce temps, la jeunesse dorée de mon école allait s’éclater à Saint-Tropez en été ou Deauville le weekend.
En troisième année, avec des résultats satisfaisants, je fus acceptée pour un échange Erasmus en Europe. Six mois de pause, où j’ai étudié dans une université étrangère ; six mois d’ouverture culturelle, six moi de rencontres multiples, et des weekends enfin ! Merci à l’Europe !
De retour à Paris, pour six mois de stage, j’ai tenté de créer une boîte, avec une collègue de l’école.
On a gagné des concours, donc des financements, une belle expérience enrichissante professionnellement parlant mais fatigante avec des semaines longues, parfois 90 heures de boulot hebdomadaire mais pour la bonne cause. Avec l’arrivée de la crise immobilière, j’ai revendu mes parts 1 an après, épuisée par le rythme entre étude et boîte à gérer, et sans le sou, ne voulant pas utiliser le peu de trésorerie que l’entreprise réussissait à rentrer. L’entreprise ne décollait pas comme espéré et le milieu était plus rude qu’on ne l’imaginait.
Puis sont venu les deux années de Master, la blague ! 2 ans de vent ! Les écoles cherchent à remplir des cases horaires pour justifier les 6 000 euros annuels. Pendant ce temps il a fallu continuer à travailler à coté. La reprise d’un job étudiant après la création d’une entreprise où l’on a managé des personnes, cela n’est jamais facile, mais cela pousse à être humble. J’ai donc de nouveau enchaîné les petits boulots, pour faire finalement 1 an comme livreur de pizza, puis après un gros accident, je me suis dit qu’il était stupide de mourir en livrant les pizzas des riches clients du 17eme arrondissement. Alors retour à la case « mcdo » ! Après tout les jobs étudiants, je peux affirmer que « mcdo », est un des jobs les plus épuisants en parallèle des études. 5 heures de travail après une journée de cours sont usantes. Pour la première fois à 23 ans j’ai senti que mon corps se fatiguait.
Je ne regretterai jamais mon expérience de job étudiant, au contraire, elle m’a permis de connaître la galère, mais elle m’a permis d’apprendre à être humble et d’être ouverte, car derrière les jobs étudiants, il y a une génération, qui elle aussi n’a pas les parents pour financer une vie étudiante. Une génération silencieuse, qui malgré le travail sourit et essaye de rigoler. Cette génération là, au lieu de sortir dans le bar le vendredi et le samedi soir, elle travaille. Cette génération m’a permis de comprendre qu’elle est plus méritante que la jeunesse dorée parisienne.
4 ans et demi après le début de mes études, il y a 7 mois, je rentrais en stage de fin d’étude, alias stage de "pré-emploi". La bonne affaire je pensais ! Une grande entreprise française qui payait 1 000 euros / mois ses stagiaires.
Après l’entretien, je m’en rappelle encore, je suis rentrée chez moi, le sourire aux lèvres, écrivant ma lettre de démission pour « McDo ». C’était la période de noël, je pensais que pour moi « la galère » était finie.
Deux semaines après le début de mon stage, on comprend vite la magouille, pour 60 personnes qui travaillent en CDD ou CDI, il y a 40 stagiaires ou plutôt des "assistants". Globalement ils ont tous (et toutes) le même profile BAC +5, école de commerce, ambitieux, et qui changent tous les 6 mois ou un an, mais ils ont pourtant des responsabilités.
On renouvelle les stagiaires, on ne leur dit pas clairement au début qu’il n’y aura pas de poste à la clé.
Pour se déculpabiliser, on nous dit que toutes les grosses entreprises françaises font comme cela. Et puis de toute façon on doit s’estimer heureux d’avoir un stage.
Dans ma génération, on ne se plaint pas, on doit avoir l’air « d’un winner » et faire semblant d’être heureux de travailler dans l’openspace, on enchaîne les heures supplémentaires pour prouver que l’on veut réussir qu’on est « involved » (impliqué). Peut-être, qui sait, à la fin des 6 mois, il va y avoir une création de postes (1 poste pour 40 stagiaires), ou l’on enchaînera sur un CDD, puis sur un autre, pour enfin décrocher après 2 ans de bon et loyaux services un CDI ou pas.
Mais chut ! Il ne faut pas critiquer, sinon on est considéré comme un mauvais élément. D’ailleurs il n’y plus de syndicats, car on n’est pas des cheminots. Mais légalement aussi ce n’est pas possible, les boîtes sont débordantes d’imagination pour composer des petites structures juridiques qui permettent de contourner la création de délégués syndicaux, car on a plusieurs entreprises au même étage qui font moins de 50 employés. Elles font la même chose, mais légalement on ne peut pas créer de représentations puisque les structures ont moins de 50 employés. (En cumulé elles ont 500 employés dans le même bâtiment)
A la fin de stage, on nous félicite, on nous offre même un pot de départ : la reconnaissance ! Tous les 6 mois, les "jeunes cadres dynamiques" peuvent prendre le goûter gratuitement en fin d’après-midi à la « k-fet » avec les pots de départ des stagiaires.
Enfin j’ai dû former ma remplaçante, expérience que j’ai trouvée très castratrice. Ma remplaçante est arrivée, elle aussi pleine d’ambitions, comme moi 6 mois plus tôt, mais elle m’a peine regardé, elle a dû se dire que si je pars c’est que je n’ai pas su faire la différence.
On aimerait tellement lui dire que dans 6 mois cela sera son tour, mais non il faut être positif et puis dans l’openspace, tout se sait, tout s’entend, on se surveille. Mais officiellement on évolue dans une atmosphère "fun" et faussement "décontractée".
Après le pot de départ du vendredi, me voilà chez moi un lundi matin, en train de collecter toutes mes fiches de paie depuis 7 ans pour aller s’inscrire en tant que demandeur d’emploi. Je repense à mon inscription dans mon école, il y a 5 ans, à cette époque le chômage me paraissait inenvisageable, pour moi le chômage c’était pour les autres, ceux qui ne savaient pas se débrouiller, encore une belle leçon d’humilité Depuis 6 mois donc, je suis en recherche d’emploi, je passe mes journées sur les sites Internet à scruter le peu d’offres pour les jeunes diplômés. J’actualise mon profil Viadeo, Lindkedin, Xing, et optimise mon référencement. Toujours donner l’impression d’être actif, toujours donner l’impression d’être la personne à prendre.
Et depuis je collectionne les réponses négatives automatiques envoyées par centaines par les robots des services RH. Mon profil est noyé dans la masse des milliers de jeunes comme moi.
Personne n’en parle, aucun chiffre précis, mais pour moi l’amplitude est énorme : depuis deux ans le taux de chômage chez les jeunes sortant d’école de commerce est bel et bien très élevé. On a l’impression que les boites se donnent des mots d’ordre « uniquement les "top five" », c’est-à-dire les 5 meilleurs écoles de commerce de France.
On envoie des CV personnalisés par dizaines, et on perd espoir, car on ne comprend pas pourquoi.
On va voir des personnes qui nous aident à revenir sur nos CV et lettres de motivation, mais toujours rien ! On scrute son téléphone dans l’attente d’un appel ou d’un mail dans un monde surconnecté.
En toute modestie, je pense avoir pourtant un profil intéressant, pour les offres auxquelles je postule. Du moins assez pour un entretien.
Habituée de l’international, j’ai développé une expertise technique rare en école de commerce et écrit quelques publications dans certains magasines spécialisés. Rien de bien fantastique, mais qui, je pense, peut attirer la curiosité.
De temps en temps, on a des appels pour des propositions d’emploi, mais les entretiens sont annulés au dernier moment car les recruteurs ont finalement recrutés par "voie interne", ou bien on nous propose des salaires à peine plus élevés que le SMIG pour des missions où l’on sait que l’on aura beaucoup d’heures supplémentaires, ce qui reviendra au final à un SMIG horaire, voire moins.
On me pose souvent la question "quelles sont les statistiques de ma promotion ?".
En règle générale, ceux qui ont fait un stage dans la banque et la finance trouvent sans problème un travail avec de bons salaires. On se demande d’ailleurs si la crise financière a vraiment eu lieu. Une bonne partie trouve grâce à leur réseau personnel. Cela m’a d’ailleurs appris à prendre sur moi en voyant une partie de la jeunesse dorée parisienne, se faire propulser sur des postes sans en avoir la compétence.
Enfin il y en a pas mal comme moi, qui n’ont pas un réseau personnel très influent (père militaire, mère femme au foyer).
On se retrouve donc à postuler pour des offres où l’on sait pertinemment qu’il y a plus de 500 candidatures pour le même poste. « Vont-ils ouvrir mon CV ?" On ne le saura jamais. Néanmoins on se doute en recevant la réponse négative automatique, qu’ils n’ont pas pris le temps de regarder en détail le profil.
Mais dans tous les cas, il faut garder le sourire et se dire que si on au chômage, c’est de notre faute sans doute.
De toute façon je suis obligée, en attendant, de continuer un job étudiant, pour financer ma vie et si possible mettre de coté. Car dans un mois je commencerai à rembourser mon prêt qui sont des mensualités de 450 euros / mois.
Si je n’avais pas eu ce prêt, il y a bien longtemps que je serais partie marcher sur les routes de l’inde en direction de l’Asie.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/generation-precaire-79891
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