Ernest-Antoine Seillière, l'ancien président du Medef, est à nouveau la cible de ses cousins. Sous leur pression, il avait dû remercier le numéro deux de Wendel, la holding familiale. Discrètement, il lui a offert un cadeau de départ à 2,5 millions d'euros : le rachat par Wendel d'investissements personnels désastreux, grâce à un mécanisme financier assez étonnant.
L'affaire remonte au printemps 2009. Parmi les 950 héritiers de la fortune des Wendel, des rebelles osent contester la gestion du baron Seillière. Pire : une cousine particulièrement tenace, Sophie Boegner, va jusqu'à porter plainte pour abus de biens sociaux.
Miser 0,5% et toucher 10% des gains
Seillière refuse d'abandonner la présidence du conseil de surveillance, mais il sacrifie le numéro deux de Wendel. Jean-Bernard Lafonta, président du directoire, est remercié le 25 mars 2009. Les conditions financières de son départ sont négociées discrètement. Elles ne seront officialisées qu'un an plus tard, avec la publication du rapport annuel de Wendel.
Surprise : en plus des indemnités légales, Wendel a versé à Lafonta un chèque supplémentaire de 2,5 millions d'euros. Pour les cousins rebelles, c'est un parachute doré déguisé. Et d'autant plus injustifié que Wendel affiche une perte de 918 millions d'euros.
Lafonta bénéficie en fait d'un mécanisme qu'il a lui-même mis en place, le « co-investissement ». C'est une forme d'intéressement des dirigeants originale et très rémunératrice. Le principe ? Miser peu pour gagner gros :
- Wendel investit dans une entreprise ;
- Ses dirigeants « co-investissent », sur leurs fonds personnels, au maximum 0,5% du montant investi par Wendel ;
- L'investissement est jugé rentable s'il rapporte 7% par an et si la plus-value atteint 40% au bout de deux ans et demi ;
- Si ces critères sont réunis, les dirigeants touchent 10% du montant de la plus-value, alors qu'ils n'ont pas investi plus de 0,5% ;
- Si un dirigeant quitte Wendel, la holding dispose d'une « option d'achat » : elle peut racheter sa part si elle le veut, mais rien ne l'y oblige.
Exemple de « co-investissement » réussi : en 2008, les dirigeants de Wendel se partagent 31,8 millions d'euros, 10% de la plus-value réalisée en revendant le groupe d'édition Editis (Robert Laffont, Plon…).
Les dirigeants de Wendel espéraient la même martingale en « co-investissant » 7 millions d'euros dans Saint-Gobain, dont Wendel est devenu le premier actionnaire en 2007. Pas de chance, les résultats de Saint-Gobain et son cours de Bourse se sont effondrés. Seillière peut prendre son mal en patience : si Saint-Gobain se redresse, il finira bien par profiter de la plus-value. Lafonta, lui, a perdu gros. Heureusement, Seillière et les autres membres du conseil de surveillance de Wendel se montrent compréhensifs.
Une décision soumise aux actionnaires, mais déjà prise
Selon la loi, c'est à eux de fixer les conditions financières du départ de Lafonta. Ce qu'ils font dans une « convention réglementée » signée le 7 avril 2009. Wendel décide de faire jouer son « option d'achat » : la holding rachète les titres détenus par Lafonta pour 2,496 millions d'euros. Soit « leur valeur de souscription, indépendamment de l'évolution de leur valeur de marché », précise le rapport annuel. Ça tombe bien, « l'évolution de leur valeur de marché » n'était justement pas très favorable à leur propriétaire.
Sophie Boegner et les autres rebelles de la famille contestent doublement cette décision. D'abord, Wendel n'avait aucun intérêt à racheter ses titres. Avec ou sans la petite part détenue par Lafonta, la holding serait restée l'actionnaire majoritaire de Saint-Gobain. Et pourquoi se délester inutilement de 2,5 millions d'euros alors que Wendel plonge dans le rouge ?
La contestation ne s'arrête pas là. La question du « co-investissement » est évoquée rapidement à l'assemblée générale de Wendel en juin 2009, se souviennent deux membres de la famille contactés par Eco89. Mais ce n'est qu'à l'assemblée générale de 2010, qui se tient ce vendredi, que les conditions financières du départ de Lafonta seront soumises au vote des actionnaires.
Or, Wendel n'a pas attendu l'avis de ses actionnaires. Une porte-parole de Wendel nous a confirmé que la convention réglementée du 7 avril 2009 a été « exécutée ». Selon elle, le conseil de surveillance a suivi à la lettre les règles prévues dans le Code du commerce : rien n'empêchait le conseil de surveillance de signer et d'appliquer cette convention avant de la présenter à l'assemblée générale.
Légal ou pas, c'est embarrassant. Le successeur de Lafonta, Frédéric Lemoine, a décidé en juin 2009 de ne plus organiser de « co-investissements » jusqu'à nouvel ordre. Pas uniquement pour améliorer l'image de Wendel. Avec ses pertes, la holding n'est pas en état d'investir : difficile, donc, de proposer à ses dirigeants de « co-investir ».
http://eco.rue89.com/2010/06/03/le-cadeau-de-25-millions-de-wendel-au-bras-droit-de-seilliere-153135
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