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05/06/2010

La difficile émergence de la notion d’éducabilité du mineur délinquant par Jacques Bourquin

Cet article a été publié dans le numéro 3 de Trames en 1998 au sein d’un dossier sur les approches historiques de la délinquance des jeunes.

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L’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est le fruit des travaux d’une commission instituée dès la Libération au ministère de la Justice. Elle a été promulguée par le Gouvernement provisoire. Le texte qui définit encore aujourd’hui la législation applicable aux mineurs délinquants posait avec force le principe de l’éducabilité du mineur quelle que fût la gravité de l’acte, la sanction pénale demeurant l’exception. Le texte institue les juges des enfants et préfigure la création, quelques mois plus tard, de l’Éducation surveillée. Autrefois simple service de l’Administration pénitentiaire, elle est instituée en tant que direction autonome le 1er septembre 1945 par une ordonnance qui lui reconnaît une vocation spécifique non plus répressive mais éducative. C’est sur cette longue et difficile conquête de la notion d’éducabilité du mineur délinquant que va porter notre propos. Au travers des législations et des institutions qui jalonnent cette histoire, nous choisirons comme ligne directrice le regard que la société, à des périodes différentes, porte sur le mineur délinquant.

Un jeune détenu à condamner ou à éduquer : la législation révolutionnaire – la peine éducative

Au XVIIe siècle, les enfants vagabonds délinquants avaient bénéficié d’un fort courant de charité lié à la religion chrétienne. Saint-Vincent-de-Paul et Saint -Jean-Eudes avaient créé à leur égard des institutions d’assistance.

Le XVIIIe, plus préoccupé d’ordre public, plus influencé par des valeurs liées à l’économie et au travail avait eu une attitude beaucoup plus répressive à l’égard des oisifs, des vagabonds, qu’ils fussent adultes ou mineurs. Les hospices généraux, gigantesques lieux d’enfermement, apparaissent dès le début du siècle comme les préalables de la prison du XIXe siècle. A Paris, à leur sortie de Bicêtre ou de la Salpêtrière, les mineurs étaient le plus souvent destinés à la déportation dans les nouvelles colonies américaines. Les cahiers de doléances qui précèdent la tenue des États généraux de 1789 comportent de nombreuses demandes pour que soient créés des établissements d’éducation pour les enfants abandonnés et vagabonds. La Constituante va répondre à cette demande. C’est tout d’abord Le Pelletier de Saint-Fargeau qui rend le 30 mai 1791 un rapport relatif à un projet de Code pénal. Ce rapport qui traite autant des majeurs que des mineurs insiste sur « l’humanité de la peine, sur son équité ». « Il faut », précise-t-il, « que la pénalité soit éducative et utile », « il s’agit que d’expiation » de « rendre le détenu meilleur par le bienfait de l’enfermement, du travail, de l’apprentissage ». Dans ce projet, toute idée de châtiment corporel est réfutée. La Rochefoucauld-Liancourt va partiellement développer ces principes dans le cadre des Comités de mendicité où il préconise un travail et une éducation des mineurs oisifs à la place de leur enfermement en hôpital général.

Le 6 juin 1791, les Constituants se penchent sur le projet de Code pénal, ils introduisent pour le mineur, la minorité pénale à 16 ans. Ils ajoutent une autre notion plus centrée sur la personnalité de l’enfant : la notion de discernement. C’est, écrit le législateur, « la faculté que possède une personne de savoir si un acte accompli par elle est bon ou mauvais, susceptible ou non de punition, et de même que pour l’intelligence ou la volonté, il serait logique d’admettre que cette faculté se développe progressivement et qu’il est des périodes où elle existe très peu ou pas du tout ». Le discernement semble se substituer à une notion plus ancienne de type moral, la malignité, pour se référer davantage à un critère de type rationnel qui s’apparente à la responsabilité. En fait, c’est le magistrat qui appréciera le degré de discernement, bien que le législateur évoque à ce sujet la nécessité « d’une enquête préalable sur la vie, sur les mœurs de l’accusé ». Cet élément ne sera pas repris dans la loi. Apparaît toutefois le besoin d’articuler d’autres savoirs aux savoirs juridiques.

S’il y a discernement, le mineur est condamné, il peut éventuellement bénéficier d’une réduction de peine en raison de sa minorité. Considéré comme non-discernant, le mineur peut être remis à ses parents, ce qui est peu fréquemment le cas lorsqu’il s’agit d’enfants vagabonds. Il sera alors placé dans une maison d’éducation correctionnelle pour y être « élevé et détenu ». Mirabeau très préoccupé par ce problème avait proposé, peu de temps avant sa mort, des « maisons d’amélioration ». Condamnations pour les discernants, mais dans des établissements pour mineurs. Éducation et détention pour les non-discernants dans les mêmes établissements. Ces établissements n’apparaîtront que plus de quarante ans plus tard. En attendant, ils seront confrontés à des pratiques absurdes : le discernant purgera sa peine dans une maison de détention pour adultes, alors que le non-discernant, s’il n’est pas remis à ses parents, se retrouvera dans la même maison de détention jusqu’à sa majorité pénale ou civile, son éducation se limitant à une simple et longue détention. La législation révolutionnaire prévoira toutefois son embarquement éventuel sur les vaisseaux de la République pour pallier l’absence de maisons d’éducation correctionnelle.

En fait, ce que privilégiait Le Pelletier de Saint-Fargeau dans son rapport à l’Assemblée constituante, c’est que la prison puisse devenir un véritable lieu d’amendement, d’amélioration de l’individu. Le projet de 1791 n’avait été insufflé que par une minorité de Constituants inspirée par quelques philanthropes et par les pénalistes anglais (Howard, Bentham...). Dans les faits, la loi exclut à peu près toute idée d’amélioration de l’individu ; la dissuasion par la crainte de la peine, prend le dessus sur le projet de peine éducative. Le code pénal de 1810 n’ajoutera rien de plus à la législation de 1791 pour les mineurs si ce n’est que les non-discernants feront l’objet d’une « surveillance de haute police ». La nécessité d’un équipement spécifique pour mineurs restera lettre morte. On peut penser que la conscription à 13 ans aidera à régler sur le champ de bataille le problème de l’enfance délinquante, discernante ou non.

1830 : les enfants pauvres et vagabonds de villes. Des enfants à amender

Entre 1819, date de la fondation de la Société royale des prisons, et le début de la Monarchie de Juillet, le débat sur la prison remplit bien plus de rayons de bibliothèques qu’il n’accouche de réalisations concrètes ; il reste très théorique. Le problème des mineurs n’est abordé que sous deux aspects : la nécessité de les séparer des adultes dans les prisons et, corollairement, la création de maisons d’éducation correctionnelle. Un projet, sans suite, avait été élaboré par La Rochefoucauld-Liancourt en 1814 ; on craignait beaucoup le retour des jeunes conscrits après les guerres de l’Empire. Quelques quartiers de mineurs furent créés dans les prisons sous la Restauration ; il ne s’agissait que d’expériences très limitées. C’est à partir de la Monarchie de Juillet que les projets prennent de la consistance ; la distinction entre discernants et non-discernants, entre condamnés et acquittés reste très floue d’autant plus qu’ils subissent souvent le même régime, ce qui peut apparaître choquant tant au niveau du droit qu’à celui de l’éducation.

Une prison est-elle une maison d’éducation ?

Le Comte d’Argout, ministre du Commerce et des Travaux publics en 1832, qui a sous sa tutelle l’Administration pénitentiaire pendant quelques mois, s’interroge sur le sort des mineurs non-discernants qui peuplent les prisons du Royaume. Il adresse le 3 décembre 1832 une circulaire aux préfets sur le placement en apprentissage des enfants jugés en vertu de l’article 66 du Code pénal (les non-discernants). Il faut, écrit-il « assimiler ces enfants aux enfants abandonnés... les placer chez des cultivateurs pour y être élevés, instruits, éduqués », dans tous les cas où ils ne sont pas remis à leurs parents. Il s’agit donc de les assimiler aux enfants de l’Assistance ; c’est une manière de les sortir du droit pénal. Le Comte d’Argout conclut ainsi sa circulaire : « Une prison ne sera jamais une maison d’éducation... Il s’agit de préparer une existence honnête à de malheureux enfants que des causes étrangères à leur volonté amènent devant la justice ». On enlève donc les non-discernants à l’Administration pénitentiaire. Par ce texte, les non-discernants semblent échapper au projet de peine éducative non encore réalisé.

En fait, la circulaire d’Argout ne sera que très peu appliquée ; cette mansuétude à l’égard des non-discernants sera de courte durée. La Monarchie de juillet, en pleine période d’essor industriel et d’urbanisation massive, est un véritable creuset d’émeutes populaires dont celles de Lyon et de Paris en 1832 et 1834. Le gouvernement est de plus en plus préoccupé par des questions d’ordre public ; ce sont d’autres réponses qui seront apportées pour les mineurs non-discernants.

L’amendement par l’isolement et le silence La maison d’éducation correctionnelle de la Petite Roquette, 1836

Inspirée d’un modèle américain, rapporté par Tocqueville en 1831, théorisée par Charles Lucas en 1833, la Maison d’éducation correctionnelle de la Petite Roquette est ouverte pour les mineurs discernants, les mineurs non-discernants et les mineurs de la Correction paternelle en 1836. C’est une prison cellulaire (586 cellules) construite sur le modèle du panoptique de Bentham. Les principales caractéristiques du mode de détention initial sont les suivantes : un régime cellulaire de nuit ; un système, progressif reposant sur la crainte de la punition et l’attrait de la récompense ; le travail en atelier et en silence le jour ; une instruction élémentaire ; une instruction morale et religieuse. A cela on ajoute la nécessité d’« hommes irréprochables » pour le personnel. Le vœu du Législateur de 1791 est accompli : lier la peine à l’éducation. En fait, les 586 jeunes détenus de la Petite Roquette que le magistrat Demetz, le fondateur de la Colonie de Mettray, appelle « les innocents coupables » sont beaucoup plus détenus qu’éduqués.

En 1840, la Petite Roquette passera du système de l’isolement de nuit à celui de l’isolement intégral, un moyen de résoudre les problèmes de discipline et de renforcer les objectifs d’un projet où l’isolement et le silence apparaissent comme nécessaires à l’amendement parce qu’ils « favorisent le recueillement et la contrition ». Plus qu’un lieu d’amendement, ce long séjour de plusieurs années – on peut y entrer à 7 ans, en ressortir à 20 – sera pour les compagnons de Gavroche un long temps d’expiation, de repentir et de révolte. L’ordre social sera respecté, l’enfant vagabond des villes, maîtrisé. Ce régime se perpétuera jusqu’en 1867 ; la Petite Roquette deviendra alors une maison d’arrêt pour mineurs jusqu’en 1939.

L’amendement. La rédemption par la nature. La réponse agricole

« Sauver le colon par la terre, et la terre par le colon ». Cette nouvelle formule symbolise parfaitement le courant des colonies agricoles dont la plus célèbre fut celle de Mettray fondée par F.-A. Demetz. Le fondateur, soutenu par Tocqueville, Lamartine, la famille royale, de nombreux philanthropes, définit ainsi le rôle de la colonie : « Enlever ces enfants à la corruption des villes pour les ramener aux principes fondamentaux des sociétés primitives la salubrité, l’ordre, la moralisation, l’économie ». Il s’agit de les maintenir dans le monde rural en leur donnant une formation agricole. Au silence rédempteur de la Petite Roquette se substitue la nature rédemptrice : « La nature rapproche de Dieu... elle inspire la crainte de Dieu et la soumission à l’autorité ».

Malgré le souhait de Demetz d’organiser un climat familial autour du colon, chaque mineur vit dans un pavillon de famille de quarante à cinquante enfants sous l’autorité d’un chef de famille. Le projet se déroulera très vite dans un univers qui s’inspire plus de la discipline militaire et pénitentiaire que de la vie familiale. La colonie de Mettray recevra jusqu’à 700 colons sous le Second Empire. La réponse des colonies agricoles pouvait toutefois apparaître comme une amélioration par rapport à la maison d’éducation correctionnelle. On pouvait penser à une alternative à la prison pour mineurs. Ce ne fut pas le cas.

Alors que la situation sociale de la Monarchie de Juillet se dégrade et que les émeutes populaires se multiplient, le régime durcit sa position à l’égard des mineurs. Une circulaire du ministre de l’Intérieur Duchâtel du 7 décembre 1840 sur l’éducation correctionnelle précise que « le régime commun doit rester la prison... il peut être utile que dans l’intérêt général tout enfant acquitté ayant même agi sans discernement commence par être enfermé en prison... La société, précise le ministre, est obligée d’agir d’après d’autres principes que celui de la charité ». On ne croit plus guère en 1840 à la prison qui amende, mais beaucoup plus à celle qui protège la société. L’idée de la peine éducative apparaît comme une lointaine utopie. Les colonies agricoles privées ne seront pas des alternatives à l’incarcération ; elles seront une récompense pour le jeune détenu acquitté et méritant. L’Administration pénitentiaire va construire ses propres colonies agricoles à côté des maisons centrales la notion de peine y prévaudra progressivement à celle d’éducation.

Une loi ambiguë : la loi du 5 août 1850

Cette loi de la IIe République, très inspirée par l’expérience de Mettray, ne remet pas en cause le statut légal du mineur de justice, elle affirme la nécessité de l’éducation correctionnelle des jeunes détenus dans les colonies agricoles privées et le rôle des patronages. Elle prévoit en même temps la création :
- de colonies pénitentiaires publiques pour les jeunes acquittés, « élevés en commun sous une discipline sévère, appliqués au travaux de l’agriculture et des industries qui s’y rattachent ... » Peuvent aussi être envoyés dans les colonies pénitentiaires de jeunes condamnés à des peines de plus de six mois et de moins de deux ans.
- de colonies correctionnelles publiques pour les condamnés à plus de deux ans qui y sont soumis pendant les six premiers mois à un emprisonnement.

La loi laisse entendre que si la nécessité s’en fait sentir, les colonies publiques se substitueront aux colonies privées. En fait, c’est le chant du cygne de la réforme philanthropique de la Monarchie de Juillet. Le problème du traitement de la délinquance des mineurs revient progressivement à l’État ; l’Administration pénitentiaire organise sa réponse pour les jeunes détenus. Ce n’est plus, dans l’esprit philanthropique de l’époque une affaire de « charité », cela devient une affaire d’ordre public.

1860. Un nouveau regard sur l’enfant de justice : l’enfant criminel à redresser, à châtier

A l’image de « l’enfant pauvre et vagabond des villes » de 1840, de « l’innocent coupable », va se substituer progressivement celle beaucoup plus inquiétante de « l’enfant criminel ». Les régimes politiques changent. A la IIe République libérale succède un empire autoritaire. On assiste aussi à un glissement idéologique important : l’apparition du positivisme qui accorde la primauté aux sciences fondées sur l’observation et rejette comme utopies, l’image de l’enfant, l’image de la nature puisée chez Rousseau et reprise par le Romantisme et toute une partie du courant philanthropique.

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Colonie pénitentiaire publique des Douaires, près de Gaillon, dans l’Eure

Le courant positiviste s’affirme en particulier dans le domaine de la criminologie où César Lombroso développe la théorie du « criminel né ». Dans son ouvrage L’homme criminel, publié en 1876, est privilégiée l’idée que le délinquant porte sa criminalité dans son patrimoine génétique. C’est alors que les médecins aliénistes développent des théories sur la dégénérescence ; on parle de tares héréditaires qui prédisposent à la délinquance et enferment l’enfant de justice dans un déterminisme implacable. Plus l’industrialisation s’accentue, plus le vagabondage des enfants lié à la petite délinquance, est réprimé ; un médecin en parlera en 1875 comme « d’une forme atavique du fait criminel ». Le regard porté sur l’enfant délinquant est de plus en plus hostile ; la peur sociale a supplanté la pitié. L’heure n’est plus aux projets d’éducation ; il n’y a plus pour le mineur délinquant et vagabond que le châtiment et l’enfermement. L’État va multiplier la création de ses colonies pénitentiaires et correctionnelles : Saint-Hilaire, 1860 ; Saint-Maurice, 1872 ; Belle-Île, 1880 ; Aniane, 1886 ; Eysses, 1895 et Cadillac en 1890 pour les filles. Entre 1875 et 1888 l’État ferme seize colonies privées pour des raisons qui ne sont pas sans lien avec un anticléricalisme qui se développe. L’Administration pénitentiaire privilégie un système uniquement disciplinaire. On construit dans les nouveaux établissements des « quartiers cellulaires ». Les dortoirs sont compartimentés en cellules grillagées, les « cages à poules ». Ce qui est dominant, c’est beaucoup plus la rentabilité du domaine que l’éducation des colons. Un visiteur de Saint-Hilaire évoquera « les champs superbes et les esprits incultes des colons ».

Dans un congrès de criminologie portant sur l’éducation correctionnelle, il est dit en 1890 : « Il faut soumettre l’enfant, s’il continue à fauter c’est que la discipline n’est pas assez suffisante ». La discipline est devenue l’unique moyen de moralisation. La presse satirique dont L’assiette au beurre commence à dénoncer ces institutions. Leur caractère carcéral s’accentue, on y parle de violences, de révoltes. A Saint-Maurice entre 1890 et 1910, les colons qui travaillent à la briqueterie, construisent leur propre mur d’enceinte. Le travail qui apparaissait au début du XIXe siècle comme facteur d’éducation, d’insertion sociale n’est plus qu’un simple élément de la peine. De plus en plus, les colons sont évoqués comme des inamendables : en 1904 on y adjoindra les enfants vicieux et insoumis de l’Assistance publique. Plus que d’éducation, c’est de châtiment dont il faut parler.

1890. Enfant coupable, enfant victime ?

Le problème de l’enfant se substitue à celui de la délinquance. L’importance accordée à la fin du XIXe siècle à la « question sociale », à l’enfance, à l’éducation n’est pas sans écho en ce qui concerne les enfants de justice. Un courant criminologique français s’oppose à la criminologie lombrosienne en insistant fortement sur les causes sociales de la délinquance. « La société a les criminels qu’elle mérite » écrit le Docteur Lacassagne en 1895. Dans cette logique, à la notion d’enfant coupable, à dresser, à punir, s’oppose celle d’enfant victime à protéger, à éduquer. C’est l’amorce de grandes politiques de l’enfance qui vont se concrétiser à partir de 1881 par les grandes lois scolaires puis les lois sur la Protection de l’enfance qui donneront lieu à une autre forme d’intervention auprès des mineurs de justice : les patronages.

Les lois de Protection de l’enfance sont très révélatrices de ce lien entre enfance coupable et victime. La loi de 1889 qui introduit la déchéance de la puissance paternelle opère un véritable bouleversement doctrinal : l’enfant menacé de correction paternelle peut être considéré comme victime et non plus comme coupable. La loi de 1898 sur les violences sur et par les enfants, associe dans une même formule l’enfant victime et l’enfant coupable. Ce qui est important c’est surtout de mieux comprendre les causes du délit. Tout ce courant s’inscrit dans les premiers travaux sur la psychologie de l’enfant et dans ceux du mouvement de la défense sociale animé par le juriste Saleilles qui s’oppose en 1898 à la notion du « criminel né » en proposant celle de l’étude de la personnalité du délinquant et de la nécessaire individualisation de la peine. La réponse du juriste doit s’accompagner de celle du médecin, du sociologue...

Dès 1890, des « comités de défense des enfants traduits en justice », composés de juristes, de médecins, de philanthropes se constituent dans de nombreux tribunaux pour organiser la défense des mineurs et œuvrer pour les réformes législatives et administratives nécessaires. La loi de 1898, la loi de 1906 élargissant la minorité pénale de 16 à 18 ans, la loi de 1908 dépénalisant la prostitution des mineurs, un décret de 1911 rattachant l’Administration pénitentiaire à la Justice – elle dépendait jusqu’alors de l’Intérieur –, précédant la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et adolescents et sur la liberté surveillée seront portées par les Comités de défense.

La loi du 22 juillet 1912

Un de ses rédacteurs, le député Dralon, en définit bien l’esprit : « La loi n’est que l’aboutissement du principe que la peine ne doit plus être envisagée, du point de vue de la défense sociale, mais surtout du point de vue du relèvement de l’individu coupable ». On retrouve là ce qui préfigurait la peine éducative de 1791. « La juridiction exercera une véritable mission de tutelle, elle prendra à l’égard de l’enfant des mesures de surveillance, de protection, d’assistance. Elle fonctionnera en conseil de famille plus qu’en juridiction ». L’idée sous-jacente est que la société est responsable de ses membres ; plus que d’un problème de délinquance, c’est bien du problème de l’enfant dont il s’agit. Comme en 1791, ces idées ne sont le fait que d’une minorité de gens spécialisés ; elles traversent peu l’opinion publique très préoccupée à l’époque par les bandes d’adolescents : les Apaches qui sévissent dans la région parisienne. Lors du débat parlementaire, les conservateurs lient l’augmentation de la délinquance juvénile au développement de l’école laïque et à la perte du sentiment religieux ; en face, les radicaux dénoncent les insuffisances des lois sociales, le travail des femmes, le taudis, causes majeures de cette délinquance. L’intérêt des législateurs à l’égard de la nouvelle loi est médiocre et ils ne se préoccupent guère de ses moyens d’application, ce qui la rendra vite inefficace. Le mineur de 13 ans relève désormais de l’irresponsabilité pénale et il ne peut donc être l’objet que d’une mesure éducative sur laquelle on ne s’attarde guère. Malgré les critiques des tenants du courant de la défense sociale, la notion de discernement est maintenue jusqu’à 18 ans et continue à exclure les mineurs discernants, souvent les plus intelligents, de la voie éducative. Parmi les critiques de la notion de discernement, certains considèrent qu’elle est inadaptée à la psychologie de l’enfant et qu’elle apparaît le plus souvent comme une sorte de mécanisme artificiel qui sert à couvrir telle ou telle décision prédéterminée par le juge.

La juridiction spécialisée qui était souhaitée par les rédacteurs du projet ne se fera que dans le département de la Seine ; ailleurs c’est le tribunal correctionnel qui se réunira une fois par semaine pour les mineurs. Nous sommes loin de la juridiction tutélaire du député Drelon. Les autres innovations de la loi sont les suivantes : la nécessité pour le juge d’instruction de procéder à une enquête autant sur les faits que sur la situation morale du mineur et de sa famille, ce qui préfigurait la loi de 1898 ; l’abandon du caractère décisif de la décision par le tribunal qui, de ce fait, tient compte de l’évolution du mineur et des mesures successives prises à son égard ; l’instauration du régime de la liberté surveillée, d’origine anglo-saxonne, qui introduit l’idée de probation, une sorte de temps d’épreuve qui permet de tenter le maintien du mineur délinquant dans son milieu familial.

Avec la liberté surveillée, on voit poindre la notion d’amendement, d’éducabilité et s’effacer l’idée de discernement. Peu importe que le mineur soit discernant ou non, ce qui importe c’est son degré d’amendement, d’éducabilité. Qualifiée au moment du vote de « monument législatif de la IIIe République », la loi fut très vite critiquée dans son application. Dès après la Première Guerre mondiale, les tribunaux et en particulier celui de la Seine, prononcent le plus souvent le non discernement en vue d’une mesure d’éducation prévue par la loi. Alors que la référence à l’éducation apparaît de plus en plus comme un moyen de réinsertion sociale, autant dans l’intérêt de la société que dans celui du jeune, les institutions qui existent, que ce soient les établissements pénitentiaires ou les patronages, rivalisent de médiocrité. L’éducation correctionnelle est une simple répression à peine camouflée.

Vers l’éducation du mineur délinquant Les premières tentatives de reforme

Si l’application de la loi de 1912 a eu quelques effets positifs dans le domaine du dépistage et de l’observation des mineurs délinquants, par la mise en place de laboratoires de neuropsychiatrie infantile auprès de quelques grands patronages et associations (patronage Rollet, Service social de l’enfance) dès les années 1925, les réponses éducatives sollicitées par la loi ne sont guère développées. En 1927, l’Administration pénitentiaire remplace le terme de colonies pénitentiaires et correctionnelles par celui de maisons d’Éducation surveillée mais l’esprit et le règlement des institutions restent le même ; simple réforme sur le papier. Visitant la maison d’Éducation surveillée de Saint-Maurice, l’inspecteur général Roumajon écrit : « On a l’impression d’un stage pénalisateur, pendant de longues années, exigé par une fatalité inéluctable, sans autre utilité que sa durée ». En 1930, une réforme du système progressif reste de pure forme. Apparemment, il n’y a pas de volonté politique de réforme. Il faut attendre la révolte de la Maison d’Éducation surveillée de Belle-Île-en-Mer en 1934 et les campagnes de presse contre les bagnes d’enfants qui s’ensuivent pour que le législateur se saisisse du problème, car l’opinion publique s’était émue. Il est à remarquer qu’au milieu des années 1930, jamais le chiffre de la délinquance des mineurs n’a été aussi bas, ceci pour une raison bien simple : peu de jeunes sont nés entre 1914 et 1918. Contrairement à ce qu’il en était en 1912, le problème de la délinquance des mineurs n’a pas lieu d’inquiéter l’opinion publique, ce qui aidera aux premières réformes.

Un décret du 30 octobre 1935 dépénalise le vagabondage des mineurs. L’enfant vagabond, qui a été une des grandes peurs du XIXe siècle, relève dorénavant de l’assistance éducative.

Une loi du 18 mars 1936, votée par le gouvernement du Front populaire, prévoit la réforme de la Maison d’Éducation surveillée de Saint-Maurice. L’Administration pénitentiaire fera appel à l’Enseignement technique, à l’Éducation nationale, au Scoutisme, pour former les nouveaux moniteurs-éducateurs et introduire un nouveau projet centré sur la formation professionnelle qui se concrétisera en 1938. L’Éducation nationale restera très frileuse dans sa collaboration à cette réforme. Le ministre n’enverra qu’une quinzaine d’instituteurs surnuméraires. C’est la Direction de l’enseignement technique, qui à l’époque dépend du ministère du Travail, qui sera l’un des fers de lance de la réforme de 1938.

En avril 1937, un parlementaire, César Campinchi, fait une proposition de réforme de la loi de 1912. Dans un exposé des motifs qui sera repris quasi textuellement en 1945, il avance des arguments de nature démographique « nous ne sommes pas trop riches en enfants, pour que nous puissions en laisser perdre physiquement ou moralement ». On doit sauver tous les jeunes... Le projet évoque la création de magistrats spécialisés, un service d’Éducation Surveillée distinct de l’Administration pénitentiaire, des mesures de protection et de redressement sauvegardant les droits de l’enfant. Garde des Sceaux en 1938, César Campinchi ne présentera pas son projet... les priorités étant déjà autres à la veille de la guerre... Sa femme, Hélène Campinchi, sera quelques années plus tard la principale rédactrice de l’ordonnance du 2 février 1945.

Sur le plan des réformes des institutions, celle de Saint-Maurice se met en place en 1938 ; le nouveau directeur écrit à cette occasion : « On ne peut dire que les principes de l’éducation des mineurs délinquants soient différents de ceux de l’éducation des enfants normaux, ils sont souvent les mêmes et ne varient que dans leur application ». Ce propos est intéressant car il réintroduit le mineur délinquant dans une normalité éducative. Le principe de l’éducabilité du mineur délinquant

La loi du 27 juillet 1942

C’est une loi de Vichy qui supprime le 27 juillet 1942 la notion de discernement et son corollaire, l’acquittement, en le remplaçant par l’excuse obligatoire. Cette loi dont certains aspects sont réactionnaires, fait disparaître l’irresponsabilité pénale absolue du mineur de 13 ans et écarte l’excuse atténuante de minorité pour les délinquants de 16 à 18 ans ; on évoque même, dans les débats préparatoires de la loi, le retour à la majorité pénale à 16 ans. Cette priorité est-elle due à l’augmentation de la délinquance juvénile pendant la guerre ou au conservatisme des gouvernements de l’époque ? Ce qui importe surtout dans la loi de 1942, qui ne sera jamais appliquée, c’est de savoir si le mineur est amendable, récupérable, d’où l’importance accordée au centre d’observation qui se trouve au cœur de la procédure et la véritable pièce maîtresse de la réforme. Le texte de 1942 affirme que « toute réforme de la législation de l’enfance délinquante serait illusoire si elle n’était accompagnée d’une reforme de l’organisation et des méthodes de rééducation ». Quelques mois auparavant une circulaire du Garde des Sceaux du 21 mars 1942 invite « les substituts à rechercher au siège du tribunal ou dans les environs immédiats un établissement public ou privé, ou encore une personne charitable susceptible de prendre en charge l’enfant en détention, préventive (ils sont nombreux depuis la défaite) en attendant que l’autorité judiciaire statue sur son sort ». Au souhait de sortir les mineurs des prisons correspond vraisemblablement le souhait de les remplir par d’autres détenus, ceux de la Résistance par exemple...

Cette circulaire va susciter la création de nombreux petits centres d’accueil pour ces mineurs, dont les fondateurs seront souvent de jeunes hommes issus du scoutisme. C’est l’amorce d’un nouveau secteur qui se constitue pour intervenir auprès des mineurs de justice. A la demande du gouvernement, se créent des associations régionales de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence dont le rôle est de coordonner ces activités naissantes, tout en créant des centres d’observation et de triage ainsi que les premières écoles d’éducateurs. C’est une nouvelle profession qui voit le jour dans un secteur que l’on va vite appeler l’enfance inadaptée et qui regroupe, dans un souci de sauvegarde, de préservation, de rééducation, enfants délinquants et enfants en danger moral.

L’ordonnance du 2 février 1945

Plus qu’une révolution, elle apparaît plutôt comme le long aboutissement de toute une succession de débats, d’une série de réformes autour de l’enfant délinquant qui remontent à la fin du siècle dernier. Qualifiée de « véritable charte de l’enfance délinquante », l’ordonnance du 2 février 1945 figure néanmoins comme un texte fondateur, en rupture avec le passé. S’il y a rupture, c’est bien par cette prééminence quasi absolue donnée à la mesure éducative. Jusqu’alors, peine et mesure éducative étaient sur un plan d’égalité ; la mesure pénale, dans le nouveau texte n’est plus qu’une « dérogation à titre exceptionnel et par décision motivée ». Un pas a été franchi et toute ambiguïté entre peine et mesure éducative disparaît. Cette primauté apportée à l’éducation résulte de l’idée que le mineur délinquant est plutôt un mineur in éduqué qu’un mineur responsable. S’il y a une responsabilité, il faut aller la chercher dans le milieu, dans la famille. On sait combien, dans les années trente, les travaux du courant de la neuropsychiatrie infantile ont insisté sur les causes familiales de la délinquance des mineurs. Dans l’esprit du législateur de 1945, la notion d’éducabilité correspond, si l’on reprend les termes de l’exposé des motifs de l’ordonnance, « à un véritable régime d’irresponsabilité pénale ». L’idée de responsabilité reste très liée à l’idée de sanction pénale, une sorte de survivance des effets de l’ancienne notion de discernement.

Les campagnes de presse contre les bagnes d’enfants sont encore dans les esprits ; à cela s’ajoute l’euphorie liée à la libération du pays. L’heure n’est plus aux projets d’enfermement et de répression, en particulier pour les mineurs. Un autre argument, populationniste, figure dans l’exposé des motifs : « la France n’est pas assez riche d’enfants pour qu’elle ait le droit de négliger tout ce qui peut faire des êtres sains ». On est dans une problématique de rééducation, de sauvetage de l’enfance ; on a besoin d’elle pour reconstruire le pays.

Ce qu’organise l’ordonnance du 2 février 1945, c’est la création d’une juridiction centrée sur la personne, il y a là une véritable institution du sujet qu’est l’enfant. La généralisation de l’action éducative s’appuie dans l’ordonnance sur plusieurs points. La juridiction des mineurs devient pleinement spécialisée. Le rôle primordial est accordé au juge des enfants qui devient l’élément moteur de la réforme. « Son action directe et personnelle auprès du jeune ouvre la voie à celle de l’éducateur », une expression du juge Chazal. L’étude de la personnalité du délinquant est quasi systématique et indispensable pour que le juge puisse prendre la mesure la plus adaptée pour le jeune. On assiste à un réel élargissement de la gamme des mesures éducatives qui vont du maintien dans le milieu avec la liberté surveillée au placement en institution corrective (cette dernière modalité disparaîtra en 1951), « les mesures de protection, d’éducation, de reforme doivent être susceptibles de s’adapter à la situation du mineur ainsi qu’à ses responsabilités d’amendement ». Autre aspect essentiel de l’ordonnance, c’est la possibilité de la révision du contenu éducatif des ordonnances. A tout moment, la juridiction des mineurs peut modifier les mesures éducatives adoptées ; cette modification qui ne porte que sur le contenu éducatif de la décision, fait de la mesure éducative un processus dynamique, « il s’agit en fait d’un même jugement qui se déroule dans la durée » (H. Michard). Quelques mois plus tard, le 1er septembre 1945, la création de la Direction de l’Éducation surveillée, indépendante de l’Administration pénitentiaire, marque institutionnellement la différence qui existe entre peine et mesure éducative. Peu de temps auparavant, 10 avril 1945 avait été promulgué un décret relatif au statut des personnels de l’Éducation surveillée. Le cadre éducatif y avait une fonction primordiale et, parmi les premiers éducateurs recrutés figuraient quelques instituteurs détachés de l’Éducation nationale dont certains accédèrent rapidement aux fonctions de direction.

Je voudrais terminer ce propos par quelques lignes de P. Lutz [1] qui fut, avec H. Michard [2] , un des théoriciens de l’Éducation surveillée. Il écrivait en 1947 dans la revue Rééducation : « Il n’y a pas de rééducation à coup sûr. La rééducation est un risque. En confiant un mineur à la rééducation, le juge accepte le risque éducatif l’éducateur et le juge savent que ces mesures peuvent avoir des inconvénients, qu’il y aura des accidents. Il y a rééducation dans la mesure où le risque éducatif est encouru... Mais accepter le risque ne veut pas dire cultiver l’échec. Sachons courir le risque de réussir ! ».

Éléments de bibliographie

L. ANDRÉ, Les Tribunaux pour enfants et la Liberté surveillée, Éd. Arthur Rousseau, Paris, 1914. J. BANCAL, Essai sur le redressement de l’enfance coupable, Sirey, Paris, 1941. J. BOURQUIN et B. KOEPPEL, « Contribution à la connaissance des origines de l’Éducation surveillée », Cahiers du CRIV, no 2, Vaucresson, 1986. M. CHAUVIÈRE, P. LENOËL et É. PIERRE (sous la dir.), Protéger l’enfant. Raison juridique et pratiques socio-judiciaires (XIXe et XXe siècles), Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 1996. M. CHAUVIÈRE, Enfance inadaptée : l’héritage de Vichy, Éd. Ouvrières, Paris, 1987, (2e éd.). Conférences du Méridien, Les problèmes de l’enfance délinquante, Éditions Familiales de France, Paris, 1946. Conférences de : H. JOUBREL, La délinquance juvénile en France ; J. CHAZAL, Enfants de justice, enfants éducables ; H. CAMPINCHI, L’ordonnance du 2 février 1945. J. COSTA, Plan de réforme des Établissements de l’Éducation surveillée, Ministère de la Justice, Paris, avril 1946. F.-A. DEMETZ, La fondation de la Colonie de Mettray, Duprat, Paris, 1839. H. GAILLAC, Les maisons de correction 1830-1945, Éd. Cujas, Paris, réédition 1991. M. FOUCAULT, Surveiller et Punir, Gallimard, Paris, 1975. H. JOLY, A la recherche de l’Éducation Correctionnelle, Victor Le Coffre, Paris, 1902. F. LIEVOIS, La délinquance juvénile cure et prophylaxie, Presses Universitaires de France, Paris, 1946. M. PERROT, « Les enfants de la Petite Roquette », in L’Histoire, no 100, mai 1987. P. REYHERME, Quelques aspects pédagogiques dans la rééducation de la jeunesse délinquante, Vrin, Paris, 1945. L. ROUBAUD, Les enfants de Caïn, B. Grasset, Paris, 1925. R. SALEILLES, L’individualisation de la peine, Alacan, Paris, 1898. G. TOMEL et H. ROLLET, Les enfants en prison, Plon, Paris, 1892. Congrès internationaux pénitentiaires, Rome, 1890 ; Saint-Pétersbourg, 1895 ; Paris, 1900.

[1] P. LUTZ, magistrat à la direction de l’Éducation surveillée.

[2] H. MICHARD, ancien inspecteur d’académie qui dès 1945 fera partie de la première équipe de direction de l’Éducation surveillée.

http://www.criminocorpus.cnrs.fr/article662.html

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