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08/06/2010

L’actualité de la crise: un magistral contresens

François Leclerc

C’est en direct que nous assistons à ce que les historiens qualifieront plus tard de l’un des plus magistraux contre-sens de toute l’histoire contemporaine. Les uns après les autres, pressés par la BCE, le FMI, l’OCDE et la Commission de Bruxelles, les gouvernements européens s’enfoncent dans la crise en mettant progressivement en oeuvre de rigoureux plans de réductions budgétaires, qui ne peuvent en réalité, pour toute garantie et résultat, qu’ouvrir la voie à une dépression économique de longue durée, ainsi qu’à une éventuelle remise en cause de la zone euro.

Ils tentent ainsi de se présenter comme les meilleurs pourfendeurs des déficits publics, présentés comme étant la cause de tous les périls, tout en continuant de se refuser à prendre à bras le corps l’état du système bancaire européen, qui donne pourtant tous les signes d’un nouvel accès de faiblesse, appelé à être le vecteur du rebondissement systémique de la crise quand elle se manifestera brutalement.

Enfermés dans leurs contradictions et leurs choix de départ, ne voulant pas affronter la nécessité d’une restructuration en profondeur du système bancaire, à laquelle ils ont préféré substituer un soutien financier de la BCE devenu permanent, les gouvernements européens sont en train de créer les conditions du rebondissement de la crise actuelle, face auquel ils vont se retrouver fort démunis.

Symboliquement, ils viennent à la fois de décider au G20 de desserrer les contraintes de renforcement des fonds propres des banques du Comité de Bâle, et de resserrer en Europe celles qui vont peser sur l’économie, assignant aux pays les plus fragiles des objectifs irréalistes qui mènent tout droit à la restructuration de leur dette. Et, par voie de conséquence, à une déstabilisation du système bancaire européen qu’ils cherchent à protéger par ailleurs. Une belle réussite en perspective, ainsi qu’une illustration de la clairvoyance et de la maîtrise dont ils font preuve. Ou plutôt des contradictions dont ils sont l’expression.

Les banques sont en effet à nouveau atteintes, ou vont l’être. En raison de leur important portefeuille d’obligations souveraines des pays à risque, qui dans l’immédiat sont dévalorisées sur le marché secondaire en raison de la hausse de leur rendement, et pour lesquelles le risque grandit de devoir demain consentir d’importantes décotes (on parle de 50%), conséquence de la restructuration inévitable à venir de la dette de leurs débiteurs. Elles sont également fragilisées dès maintenant, finançant à terme de plus en plus court leurs opérations à long terme de prêt, au risque d’être pris dans un effet ciseaux.

Qu’expriment les tensions qui ne cessent de grandir sur le marché interbancaire, mesurées par le taux de l’Euribor qui grimpe inexorablement, ainsi que le succès de la dernière opération de dépôts des banques auprès de la BCE – qui a atteint dimanche soir dernier le montant record de 350,9 milliards d’euros – si ce n’est à nouveau le refus des banques de prendre des risques en se prêtant mutuellement, car elles sont dans l’incapacité, en raison de l’opacité régnante, de les mesurer ?

L’exposition réelle au risque des banques fait en effet l’objet de toutes les supputations, comme la politique d’acquisition des obligations d’Etat de la BCE, dont on ne connaît après coup, semaine après semaine, que le montant global. Le monde financier est pris au piège de sa propre absence de transparence. Les analystes ne s’interrogent d’ailleurs plus sur les raisons de cette défiance qui s’installe pour la seconde fois, considérant que les autorités européennes ne sont pas parvenues à enrayer la crise actuelle et s’attendant à la voir rebondir.

Les gouvernements allemand et britannique viennent de promettre des larmes et du sang, après la décision du G20 finance de ne plus attendre la reprise de la croissance pour engager le désendettement, la consolidation fiscale dit-on plus élégamment. Ne pouvant en raison de sa coalition avec le FPD augmenter les impôts, la chancelière Angela Merkel a annoncé vouloir s’en prendre à ce qu’elle appelle « la dépense », proposant des coupes dans les budgets sociaux et des licenciements dans la fonction publique.

Olli Rehn, le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires, donne le la dans le journal économique français la Tribune en résumant la pensée stratégique profonde qui sévit à Bruxelles : « Sans assainissement budgétaire, de nouvelles turbulences financières ne peuvent être évitées, et une croissance durable est peu probable ». Il poursuit : « Sans réforme, l’Europe risque de s’enfoncer dans un lent déclin », proposant de modifier la fiscalité et le système de sécurité sociale des pays européens afin de les rendre « plus favorables à la croissance de l’emploi » et de « simplifier le cadre réglementaire pour permettre aux entreprises de grandir ». Enfin, il réaffirme la nécessité d’une « gouvernance économique en Europe » passant par un renforcement de « la surveillance budgétaire a priori ».

La réunion des 17 et 18 juin prochain des chefs d’Etat européens, en prélude au G20 des 26 et 27 juin de Toronto, va s’efforcer de mettre l’Europe dans cet ordre de marche et de bataille, afin d’y faire bonne figure. Non sans de très forts tiraillements et divergences entre les partenaires, notamment le binôme du moteur franco-allemand, présenté comme toujours fringuant alors qu’il est à bout de course.

Si nous avions encore besoin d’être convaincus que toute l’agitation de ceux d’en haut n’est qu’une dérisoire pantomime, la rafale de réunions européennes et internationales qui a débuté aujourd’hui à Bruxelles va nous en donner l’occasion. Les gouvernements vont s’engager dans la voie étroite et pentue de la réduction des déficits budgétaires, maniant le bâton et laissant de côté les carottes. Utilisant comme paratonnerre des règles budgétaires communes assorties de présentations préalables des budgets nationaux, d’alertes et de punitions en cas de manquement pour les pays « laxistes »- une fois qu’ils seront parvenus à les adopter – pour se réfugier ensuite, navrés, derrière la nécessité de les appliquer.

Ils vont également tenter d’achever la construction d’une énième structure chargée de la gouvernance européenne, écartant la Commission au profit de la réunion des chefs d’Etat et d’un hypothétique secrétariat de ceux-ci, concentrant leurs discussions sur la délimitation d’un sinueux tracé de frontières entre la souveraineté de chacun et la collégialité de tous. Tout en esquivant soigneusement la seule question qui vaille: un gouvernement économique, certes, mais pour suivre quelle politique ?

Ils sont également parvenus à se mettre d’accord sur le mode de fonctionnement du « véhicule spécial » chargé de gérer financièrement le plan de stabilisation européen, résultat de savants compromis avec les Allemands, dont il semble ressortir qu’en contrepartie de l’abandon de procédures de décision qui créaient une course d’obstacles permanente, les Etats ne garantiraient les prêts qu’au pro-rata de leur participation à ceux-ci, éloignant le spectre des euro-obligations impliquant une forme de mutualisation des dettes.

Le FMI a de son côté donné aux gouvernements européens un cadre, afin de les inciter à prendre sans tarder des décisions, dont il a résumé les principes dans un document remis aux ministres des finances de la zone euro. « Les gouvernants doivent prendre des mesures déterminées pour parachever le projet d’union monétaire. La crise actuelle de la zone euro résulte de politiques budgétaires non viables dans certains pays, de retards dans la réparation du système financier, de progrès insuffisants pour établir la discipline et la souplesse nécessaires à un fonctionnement sans anicroches de l’union monétaire, et d’une gouvernance déficiente de la zone », a-t-til tranché.

Il a aussi appelé, afin de faire repartir la croissance, à l’adoption de réformes comme l’assouplissement des règles du marché du travail, la libéralisation des services, et la suppression des entraves à la concurrence entre sociétés européennes. « Le problème de longue date de la croissance anémique de la zone euro doit maintenant être résolu », a-t-il conclu en donnant ses dernières directives.

Le retour à la croissance pourrait, si ses désirs devaient être exaucés, être le prétexte à la réalisation de ce qui n’avait pu encore être accompli, dans le domaine de la santé avec le lancement de plans de santé privés par exemple, ou dans celui des pensions avec les retraites par capitalisation. Pour le moins un paradoxe, vu la crise financière, mais toutes les occasions sont bonnes à saisir. Une conception de la relance clairement destinée à ne satisfaire que ceux qui auront les moyens de s’asseoir autour de la table.

Pour les plus démunis, les ministres des affaires sociales de l’Union européenne, qui viennent de se réunir à Luxembourg, ne sont pas en reste d’idées et viennent de mettre au point un plan d’action avec pour objectif de sortir 20 millions de concitoyens de la pauvreté ou de l’exclusion, en dix ans. Des indicateurs ont été définis, afin de déterminer la population menacée de pauvreté ou d’exclusion. Suivant celui qui est retenu – niveau de revenus ou autres approches qualitatives et quantitatives – entre 80 et 120 millions d’Européens (des 27 pays de l’Union) seraient aujourd’hui dans ce cas de figure. 80 millions de personnes, dont 19 millions d’enfants, représentent 16 % de la population de l’Union européenne. Le plan adopté a pour « ambitieux objectif » de sortir de cette situation entre un quart et un sixième des personnes en détresse d’ici à 2020, ce qui n’a pas été considéré comme réaliste par tous les participants à la réunion. Mais d’ici cette échéance, combien de nouveaux pauvres auront rejoint ceux qui ont été dénombrés à l’heure actuelle ?

Un train peut en cacher un autre : derrière la dépression économique qui vient à nous, en application d’une politique toute tendue vers un objectif qui ne sera pas atteint, une autre promesse se dessine, toute aussi biaisée. Celle de la réalisation de courageuses réformes de structure, conditions nécessaire à un retour d’une croissance présentée comme une fin en soi, indéfinie dans ses contours comme dans son moteur. Celle également d’un accroissement des inégalités sociales, qui en découlera.

Mais l’implosion n’a pas encore produit tous ses effets…

http://www.pauljorion.com/blog/?p=12709#more-12709

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