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09/06/2010

Vers un appareil à fabriquer les sujets de la société néolibérale

Christian Laval

École  : la fin d’une ambition  ?

Le document confidentiel envoyé par le ministre aux recteurs pour les presser de diminuer les moyens humains dans l’éducation ne surprendra que les naïfs. Nicolas Sarkozy avait clairement annoncé la ligne générale dans sa Lettre aux éducateurs (septembre 2007), dans laquelle il disait souhaiter une école avec moins de professeurs. Ce document s’inscrit en réalité dans une cohérence politique. Il appelle trois réflexions. Premièrement, les réformes à tous les niveaux de l’enseignement sont enveloppées dans des argumentaires plus généreux les uns que les autres  : elles viseraient à accroître la démocratisation, la liberté pédagogique, l’aide aux élèves les plus défavorisés, l’autonomie, etc. L’intérêt de ce document est de porter au jour la première des priorités, qui demeure la réduction du nombre d’enseignants. Le dogme est simple  : il faut diminuer la dépense publique et accroître autant que possible la dépense privée des ménages en matière d’éducation. C’est la recette de l’OCDE ou de la Commission européenne déclinée à la mode française. Il serait donc temps de cesser de croire, comme certains l’ont fait il y a peu encore, à la « bonne volonté éducative » de ce gouvernement. Ce dernier cherche à « retourner » en sa faveur les courants les plus différents, réformateurs ou conservateurs, qui ont eu tendance à minimiser la question des moyens humains et des ressources financières au profit du « travailler autrement » pour les uns ou du « retour aux fondamentaux » pour les autres. Il faut bien comprendre que, pour le gouvernement, l’essentiel est ailleurs. Il relève d’une régulation concurrentielle de l’école et d’une emprise accrue de la « chaîne managériale » sur les enseignants transformés en exécutants taylorisés.

Deuxièmement, il est certainement légitime de dénoncer le sabotage de l’école publique organisé par la droite. Le secteur privé va en tirer parti. Mais la transformation programmée vise à modifier en profondeur le fonctionnement de l’école et sa finalité. L’aggravation délibérée de la crise de l’école participe d’une stratégie qu’ont analysée un certain nombre de chercheurs, à l’étranger d’abord, où le processus était plus avancé, et ensuite en France. La réduction des postes est un levier pour mieux assujettir les enseignants et transformer leur mission, leur statut, leur profession. Moins l’école ira bien, plus les familles seront mécontentes, et plus il sera possible de culpabiliser les enseignants, décrétés responsables des dysfonctionnements. Partant, il sera plus facile également de les « mettre sous tension » en alourdissant leur charge de travail et en leur imposant des formes plus fines et plus constantes de pouvoir et de contrôle sur leurs activités. Derrière la question des moyens, il y a la volonté de mettre en place des modes d’assujettissement dans le travail très comparables à ceux qui ont été diffusés dans les entreprises privées. C’est pourquoi, si l’on veut être cohérent à son tour, il ne suffit pas de dénoncer la suppression des postes, il faut aussi comprendre, pour mieux la combattre, la mutation managériale de l’école publique et les moyens qui sont employés aujourd’hui pour la mettre en place.

Troisièmement, la crise n’a absolument pas freiné, encore moins arrêté la politique néolibérale. Toute la rhétorique catastrophiste sur la faillite de l’État, toutes les mesures déjà annoncées et celles qui le seront bientôt, à l’instar de ces pratiques « confidentielles » de « grattage » des postes d’enseignants, annoncent une accélération et un approfondissement de la mutation de l’État, avec en vue la soumission accrue de la société à un nouveau système de normes. Le néolibéralisme comme logique d’ensemble visant à généraliser la logique de concurrence et à imposer le modèle de l’entreprise n’est pas derrière nous, nous sommes en plein dedans. Mais là encore, il convient de constater que la transformation est globale et ne porte pas uniquement sur les postes, sur la destruction de la formation des nouveaux enseignants ou sur les modes de contrôle du travail. La liquidation en cours d’une discipline du secondaire comme les sciences économiques et sociales, qui avait le malheur de déplaire aux lobbies patronaux et à l’UMP, laisse penser que tous les moyens sont désormais permis pour faire de l’école un appareil destiné à fabriquer les nouveaux sujets de la société néolibérale.

http://www.humanite.fr/2010-06-05_L-Humanite-des-debats_Vers-un-appareil-a-fabriquer-les-sujets-de-la

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