La question du rapport du politique avec la finance est vraiment la question centrale. Si les gouvernements se révèlent incapables d’imposer les transformations nécessaires, qu’il s’agisse de régulation, de création d’une taxe mondiale sur les banques ou de priorité donnée à l’économie, deux possibilités existent : soit ils ne veulent pas et cela pose la question des liens peut-être incestueux entre les gouvernements et la finance, soit ils ne peuvent pas et il conviendrait alors que cette situation illégitime et inacceptable soit mise sur la place publique pour que les citoyens s’en saisissent.
La situation française, pour ce qui est de la législation nationale et des choix présidentiels, relève à l’évidence de la première catégorie. Déjà, le plan de sauvetage des banques a été négocié dans de très mauvaises conditions, puisque par rapport aux choix faits par exemple par l’administration américaine, nous avons perdu près de 6 Mds.
Mais le projet de loi « régulation bancaire et financière » est un projet scélérat dans la mesure où, en totale contradiction avec les déclarations présidentielles sur la « moralisation » du capitalisme financier et la nécessité de tirer les conséquences des catastrophes liées à la titrisation à tout crin et au hors bilan, il plonge la France dans la capacité de faire ce qui a causé l’explosion de la crise financière : les subprimes. Le texte, en effet, crée des sociétés de financement de l’habitat pour permettre de titriser les créances immobilières que les banques sont aujourd’hui obligées d’inscrire dans leur bilan, ce qui jusqu’à présent nous a protégé d’une crise à l’américaine. « Ce n’est pas une petite réforme. Il s’agit de relancer la titrisation en France, laquelle patine. Mais pas seulement. Là, on va beaucoup plus loin », confirmerait l’avocat d’un des plus grands cabinets spécialisés dans la finance et qui, pour cette raison, préfère l’anonymat. Il s’agit non seulement de transformer des créances en titres financiers, mais encore de permettre aux banques d’externaliser ces titres, c’est-à-dire de se débarrasser du risque sur les acheteurs de ces produits, c’est-à-dire les épargnants. Autrement dit, il s‘agit de créer une possibilité de crise des subprimes en France, réservant aux banques la possibilité de prêter sans supporter le moindre risque de défaut, puisque plus rien n’apparaîtra dans le bilan. Christian Upper, économiste à la BRI précise : « Dans les nouveaux produits titrisés, si il y a un problème, les investisseurs ne pourront pas se tourner vers les banques émettrices pour récupérer leur capital, comme ils le pouvaient dans les produits existants. Ils devront se contenter de récupérer ce qui est récupérable sur les prêts des ménages ».
Cerise sur le gâteau : la BCE pourra recevoir en garantie ces titres, mais le projet de loi prévoit que les Sicav et autres fonds de placement recevront ces produits pouvant même aller jusqu’à 25%, soit le quart de leur actif auprès du même émetteur.
Certes, ce faisant, le Président est fidèle à ses engagements de candidat qui faisait la promotion des subprimes, et rêvait d’une société française dans laquelle nos concitoyens seraient endettés à hauteur de 100%, et non 60. Mais, la crise étant passée par là, on aurait pu penser que ces élucubrations étaient envolées.
Il n’en n’est rien. Cela signifie que le système financier en France est assez puissant pour imposer une réforme sur laquelle les Etats-Unis sont précisément en train de revenir. Quels visiteurs du soir, quels personnages sont ils assez puissants pour obtenir une réforme de cette ampleur qui va tellement à contre courant ? Et que dire du silence abyssal qui entoure cette affaire, la presse financière et la presse générale restant muettes ?
Plus que jamais, c’est dans la société civile et ses relais que se débattent les vrais sujets politiques. Alors, il est vrai que ces derniers ont quelque raison de demander des comptes au personnel politique pour les choix de plus en plus hasardeux qui sont faits. La question du fonctionnement ou plutôt du dysfonctionnement démocratique de nos sociétés est patent. Il est plus que temps que nous retrouvions un mode de fonctionnement adapté, faute de quoi, le principe cobaye payeur, déjà très en vogue dans le domaine de la santé et de l’environnement, deviendra le principe majeur de la société contemporaine.
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