Le système français d’évaluation des élèves produit une grande quantité d’échecs. Ce qui pénalise en particulier les milieux défavorisés. Entretien avec André Antibi, professeur de mathématiques à l’université Paul Sabatier de Toulouse.
Depuis des années, André Antibi, professeur de mathématiques à l’université Paul Sabatier de Toulouse, se bat pour transformer le système français d’évaluation scolaire. Il a montré que celui-ci produisait de façon systématique une fraction importante d’élèves en échec, qu’il qualifie de « constante macabre ». Ce fonctionnement pénalise en particulier les enfants de milieux défavorisés, et accroît les inégalités.
Comment fonctionne le système d’évaluation en France aujourd’hui ?
Le système éducatif français ne me semble pas mauvais en soi, mais il est comme « pourri » par sa façon d’évaluer. C’est assez simple, les enseignants produisent en permanence une part d’élèves en échec, que j’ai qualifiée de « constante macabre ». Elle représente entre un tiers et la moitié des élèves. C’est un peu comme si un médecin devait toujours avoir une part de malades qu’il ne guérit pas. Ce système est accepté par tous faute d’en connaître réellement les conséquences.
Un enseignant qui n’a pas cette proportion de mal notés est jugé laxiste par la communauté éducative et les parents. Il s’agit d’un dysfonctionnement terrible, totalement irrationnel. Ces pratiques génèrent de nombreuses souffrances et des situations de stress inutiles. Bien sûr, il peut exister des différences de niveau, mais l’échec est terrible pour celui qui a travaillé, et qui est mis en demeure de répondre à des questions auxquelles on ne lui a pas donné les moyens de répondre. Au fond, en France on confond apprentissage et évaluation. L’évaluation doit se faire après la période d’apprentissage. L’évaluation, l’interrogation, ne doit pas servir d’apprentissage ! Il ne faut pas tout confondre.
Comment cela se manifeste-t-il en pratique ?
L’enseignant s’arrange pour cela avec un ensemble de dispositifs. Par exemple, on pose des questions qui n’ont jamais été abordées auparavant, des problèmes que l’enseignant n’a jamais expliqués. Ou alors un temps de réponse trop court pour tout le monde et qui ne permet qu’aux meilleurs de répondre.
C’est valable pour de très nombreuses disciplines. On le remarque en mathématiques car c’est la discipline de sélection, mais il peut être encore plus présent dans d’autres comme le français. On met très rarement 20 à une dissertation. Mais comment se fait-il qu’avec une matière aussi ludique que les mathématiques, qui se prête autant aux jeux, on ait réussi à dégoûter des générations d’élèves en leur faisant croire qu’ils étaient mauvais ? Ce n’est pas leur faute, c’est en grande partie lié à cette « constante macabre ».
A qui profite ce système ?
L’évaluation à la française entraîne des inégalités majeures entre les élèves qui ont les moyens de s’appuyer sur un soutien familial notamment et les autres. Bien sûr, ceux qui alimentent le plus souvent la part de jeunes en échec se trouvent parmi les familles les plus défavorisées. Les autres ont les moyens, par exemple, d’avoir recours aux cours privés pour tenter de sortir la tête de l’eau. Au passage, la lutte contre l’échec scolaire et les dispositifs qui vont avec sont totalement vains si on continue mécaniquement à produire cet échec. Il faut lutter contre une évaluation injuste qui pourrit le système scolaire.
A quoi cela est-il dû ?
Le système français est soumis au poids de la tradition. L’école a changé, elle s’est massifiée mais n’a pas su transformer ses méthodes. Et la crise est intervenue. Jusque dans les années 1970, ce n’était pas trop grave, un jeune pouvait trouver sa place dans la société même à un niveau de diplôme assez modeste. Désormais c’est beaucoup moins vrai. On continue à faire une école pour une élite alors qu’il faudrait changer de méthode, et notamment dans la façon d’évaluer.
Que faut-il faire ?
Il faut bien se comprendre. Le problème, ce ne sont pas les notes ou l’évaluation en elles-mêmes. J’y suis favorable. L’évaluation ne doit plus servir à piéger les jeunes avec des questions auxquelles ils ne sont pas préparés et auxquelles ils ne peuvent souvent pas répondre. Personne ne peut résoudre un problème réellement nouveau en temps limité. La durée de l’épreuve doit être calibrée : il est normal que les meilleurs élèves terminent avant la fin du temps imparti ; et que chaque élève ait le temps de rédiger ce qu’il sait faire.
Contrairement à ce que l’on pense en France, il est tout à fait normal qu’une interrogation comprenne des questions auxquelles tous les élèves répondront à coup sûr, des questions « cadeau », c’est normal ! C’est ce que j’ai appelé « l’évaluation par contrat de confiance ». Il n’existe pas de « loi naturelle » dans le domaine de l’évaluation qui doit faire en sorte que des élèves échouent : c’est possible, mais pas indispensable, tout le monde peut très bien réussir en même temps.
Il faut aussi indiquer clairement aux élèves l’ensemble de compétences à maîtriser. L’enseignant communique donc aux élèves une liste de questions déjà traitées et corrigées en classe (cours, exercices...). Un jour avant l’interrogation il organise une séance où ceux qui n’ont pas compris peuvent poser des questions, ce qui donne une chance à tout le monde : cette phase est centrale pour réduire les inégalités entre ceux qui disposent d’un appui familial et les autres. On peut avoir une partie de questions (disons 4 sur 20) qui sont faisables car les compétences ont été indiquées, mais pas explicitement dans la liste donnée par avance aux élèves. Enfin, il faut empêcher au maximum le « par cœur », la mémorisation des réponses, comme avec des questionnaires à choix multiples. En fait, ce système que je croyais au départ novateur est d’une banalité affligeante : c’est ce que l’on fait partout sauf à l’école, de l’inspection des enseignants au code de la route ! On se prépare en répétant les questions qui seront posées…
Avez-vous le sentiment d’être suivi ?
Ces méthodes sont appliquées auprès de milliers d’élèves et ça marche ! Bien sûr, on a toujours de mauvaises notes, mais beaucoup moins. On mesure alors ce qu’est le véritable échec et non la part de jeunes tombés dans un piège. Cette évaluation crée un climat de confiance, les enseignants ont le sentiment de retrouver leur métier d’enseignant. Le regard des élèves change. Attention, cela ne règle pas tous les problèmes de l’école, mais cela me semble une vraie avancée.
Avoir de bonnes notes n’est pas un objectif en soi. Un point me semble essentiel : les élèves, mis en confiance, travaillent beaucoup plus ! C’est le contraire du laxisme. Cela ne me dérange pas d’être élitiste si l’on s’appuie vraiment sur le travail de l’élève. Faire croire que les élèves sont tous équivalents me semble démagogique.
Maintenant, de très nombreux experts nous reconnaissent la validité de cette démarche. Il ne manque plus qu’une impulsion donnée au niveau ministériel pour que ces formes d’évaluations soient mieux reconnues et encore plus utilisées.
Propos recueillis par Louis Maurin
Pour en savoir plus : Le site du Mouvement contre la constante macabre : http://mclcm.free.fr/. Il organise un colloque intitulé “De la constante macabre à l’évaluation par contrat de confiance”, les 28 et 29 mai 2010 à Toulouse, au Grand Auditorium de l’Université Paul Sabatier. |
http://www.inegalites.fr/spip.php?article1273&id_mot=31
Sem comentários:
Enviar um comentário