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15/02/2010

Nouvelle étape de la libéralisation des activités ferroviaires

Yves Salesse, président d’honneur de la fondation Copernic.

La libéralisation du transport ferroviaire a débuté avec l’adoption d’une directive européenne en 1991 et s’est poursuivie avec les deux « paquets » de textes communautaires, adoptés en 2001 et 2004. Le troisième « paquet », en discussion depuis 2006 (bloqué en 2007, 2008 et pendant la première moitié de 2009 par le gouvernement français qui a ensuite cédé) approfondit le processus. Après l’ouverture du transport de fret à la concurrence, c’est le tour du transport voyageur international. Ces textes communautaires sont le fondement de la loi du 8 décembre 2009.

L’Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF)

La loi (article 11) crée cette nouvelle autorité indépendante « qui concourt au bon fonctionnement du service public et des activités concurrentielles de transport ferroviaire » ; les deux sur le même plan dans le premier alinéa. Toutefois l’alinéa suivant précise : « Elle veille en particulier à ce que les conditions d’accès au réseau ferroviaire (…) n’entravent pas le développement de la concurrence ». C’est clair : la mission centrale de l’ARAF est le développement de la concurrence. Ce ne sera pas sans conséquence pour l’accomplissement de ses missions.
Elle propose des règles d’accès au réseau et est consultée sur les projets de textes réglementaires. Elle est destinataire des tarifs négociés des redevances mises à la charge des entreprises ferroviaires qui utilisent le réseau et peut s’y opposer s’ils font obstacle à la concurrence (pas s’ils font obstacle au service public) (article 15). Elle donne un avis sur les plaintes pour discrimination dirigées contre l’Etablissement public de sécurité ferroviaire (créé en 2006). Elle prend une décision sur les plaintes pour entrave à l’accès au réseau. Elle peut sanctionner les entreprises ferroviaires et les gestionnaires d’infrastructure qui manquent à leurs obligations.
La création de cette instance ne résulte pas d’une obligation européenne. La directive de 2001 qui prévoit une autorité de contrôle de l’ouverture à la concurrence précise que cette mission peut être assurée par le ministre des transports. La création de l’ARAF est le fruit d’une volonté délibérée du gouvernement de se dessaisir. Or il n’est pas indifférent que les compétences résumées ci-dessus soient exercées par une autorité politique, porteuse en principe des différents aspects de l’intérêt général, ou par une institution dévolue à la concurrence.

L’ampleur de l’ouverture à la concurrence

Le « troisième paquet » ferroviaire se présente comme ouvrant à la concurrence le trafic voyageur international. Toutefois la loi, à la suite d’une directive de 2007, dispose : « ( …) les entreprise ferroviaires exploitant des services de transport international de voyageurs peuvent, à cette occasion, assurer des dessertes intérieures à conditions que l’objet principal du service exploité par l’entreprise ferroviaire soit le transport de voyageurs entre des gares situées dans des Etats membres de l’Union européenne différents » (article 1er). Contrairement à ce qui est affiché, l’ouverture à la concurrence n’est donc pas limitée à l’international. Il y aura concurrence aussi sur les liaisons nationales.
Ainsi, une entreprise assurant une liaison Bruxelles-Marseille pourra prendre des voyageurs d’une gare à l’autre sur le réseau national entre ces deux villes. Gageons qu’elle ne desservira pas des lieux délaissés par le TGV mais voudra faire du Bruxelles-Lille, Lille Paris, Paris-Lyon, Lyon-Marseille ou autre liaison très rentable. Ainsi, le processus « d’écrémage », classique de l’ouverture à la concurrence au détriment de l’entreprise de service public, sera largement possible.
Afin de combattre le détournement de la faculté ainsi ouverte par des entreprises dont le trafic international ne serait qu’un faux nez , il est prévu que « L’autorité administrative compétente peut limiter ces dessertes intérieures, sous réserve que l’autorité de régulation des activités ferroviaires ait, par un avis motivé, estimé que la condition précitée (objet principal : service international) n’était pas remplie ». Fort bien. Mais quels seront les critères d’appréciation ? La comparaison des nombres de trains directs Bruxelles-Marseille et de ceux faisant du cabotage ? La comparaison des chiffres d’affaires de ces deux sortes de liaisons ? La comparaison totale des recettes de billets internationaux et nationaux ? Il faudra attendre que s’élabore la jurisprudence de l’ARAF avant que les contrevenants soient bloqués et l’on voit s’ouvrir là un nouveau chapitre de contentieux. Comme l’ARAF sera avant tout l’instrument de la mise en concurrence, elle adoptera une jurisprudence souple permettant une large validation des liaisons nationales concurrençant celles de la SNCF.
Hors détournement, il est aussi prévu que « Toute autorité organisatrice de transport ferroviaire compétente peut également limiter ou, le cas échéant, interdire ces dessertes intérieures, sous réserve que l’Autorité de régulation des activité ferroviaires ait, par un avis motivé, estimé que ces dessertes compromettent l’équilibre économique d’un contrat de service public ». Cette disposition appelle plusieurs remarques.
En premier lieu, la notion d’équilibre économique d’un contrat prêtre à discussion et l’appréciation de sa remise en cause supposera, là encore, l’élaboration d’une jurisprudence confiée à l’instance consacrée à la mise en concurrence. En deuxième lieu, l’autorité organisatrice, après avis de l’ARAF, « peut » limiter ou interdire. Elle ne doit pas. En troisième lieu, c’est un contrôle a posteriori. Pour qu’une telle limitation soit décidée, il faudra que les recettes de l’entreprise de service public baissent suffisamment longtemps, que l’ARAF le prenne en compte, que l’autorité organisatrice décide. Le coût pour l’entreprise de service public peut être déjà très élevé.

L’utilisation du réseau

C’est l’aspect essentiel de l’ouverture à la concurrence : les gains financiers ne seront pas les mêmes selon qu’un train de voyageurs pourra circuler à 18h ou à 3 h du matin. D’où la bataille annoncée pour l’obtention des « sillons » (usage d’une portion d’infrastructure à une heure donnée). Elle sera d’autant plus rude que l’on sera sur un axe très fréquenté (l’axe rhodanien par exemple). Le risque est que l’attribution se fasse au plus offrant, ce qui pénaliserait l’entreprise de service public, voire entraînerait son éviction. En effet les « nouveaux entrants » s’intéresseront aux seuls sillons rentables et seront prêts à les acheter plus cher que la SNCF qui doit assurer l’ensemble du trafic national. Les partisans de la libéralisation assurent qu’il n’en sera rien.
L’usage de l’infrastructure donne lieu au paiement de redevances par l’entreprise ferroviaire. L’article 4 de la loi dispose : « (le calcul des redevances) tient compte, lorsque le marché s’y prête, de la valeur économique, pour l’attributaire du sillon, de l’utilisation du réseau ferré national ». Le prix du sillon pourra monter en fonction de l’intérêt économique pour son utilisateur. On ouvre là une porte aux enchères. Il en existe une autre.
Les ministres, au niveau européen, ont du accepter qu’une entreprise ferroviaire ne puisse céder un sillon obtenu à une autre. C’est une exigence évidente s’agissant de l’utilisation du domaine public. Elle est posée par la nouvelle loi : « Les capacités de l’infrastructure disponible ne peuvent, une fois affectées à un candidat, être transférées par le bénéficiaire à une autre entreprise ou un autre service. Tout transfert de capacités d’infrastructure à titre onéreux ou gratuit est interdit et entraîne l’exclusion de l’attribution ultérieure de capacités ». Bien. Toutefois …
« Toutefois, d’autres personnes que les entreprises ferroviaires peuvent être autorisées à demander l’attribution de sillons en vue de les mettre à disposition d’une entreprise ferroviaire. » L’attribution de sillons à d’autres que les entreprises ferroviaires est surprenante. L’origine de cette disposition tient, nous dit-on, à la volonté de permettre aux Régions, par exemple, de réserver des capacités pour le transport régional qui entre souvent en conflit avec le trafic national ou international. La préoccupation est légitime. On ne comprend pas, en revanche, que la formulation retenue soit totalement ouverte. On aurait pu explicitement réserver cette faculté à ceux à qui elle est, parait-il, destinée. En l’état du texte, une société quelconque peut se voir attribuer des sillons pour ensuite recruter l’entreprise ferroviaire qui les utilisera. Ouvertement ou de façon camouflée, elle vendra cette ressource rare. Et elle pourra la vendre au plus offrant.
Ces deux dispositions permettent les enchères sur les sillons les plus intéressants sans que rien ne vienne garantir la réservation de sillons à bas prix pour le service public. L’entreprise de service public pourrait ainsi devoir payer très cher pour assurer les liaisons les plus fréquentées ou être amenée à y renoncer.
La politique de rentabilisation imposée à la SNCF a déjà conduit à la fermeture de nombreuses lignes et à une politique tarifaire, notamment pour les TGV, qui rend l’usage du train difficile pour les milieux populaires. Cette politique pousse à l’utilisation de la voiture au mépris de la sécurité des personnes et de la protection de l’environnement. Les risques d’enchères sur les parties du réseau les plus fréquentées aggraveront encore la détérioration du service public. Notons que le même article limite la garantie d’attribution de sillons à la SNCF pour seulement 10 ans (accord-cadre de 5 ans renouvelable une fois). Après, la concurrence dictera sa loi.

La poursuite du démembrement de la SNCF

Le premier démembrement majeur a eu lieu avec la création de RFF par la loi de 1997. Ce n’était pas une obligation européenne mais une initiative du gouvernement. Le démembrement s’est poursuivi avec la création de l’Etablissement public de sécurité ferroviaire en 2006. L’article 6 de la nouvelle loi prévoit l’étude du transfert à RFF des gares de fret.
La loi de 1997 prévoyait que la gestion du trafic ainsi que l’entretien des installations techniques et de sécurité serait effectué par la SNCF pour le compte de RFF. L’article 1er de la nouvelle loi précise les choses : au sein de la SNCF, un service spécialisé exerce lesdites missions, à compter du 1er janvier 2010, pour le compte toujours de RFF « dans des conditions garantissant une concurrence libre et loyale et l’absence de toute discrimination ». Rien sur le service public. Ce « service spécialisé » n’est plus que formellement dans la SNCF : son directeur ne reçoit aucune instruction de celle-ci, il ne peut être membre de son conseil d’administration, il est nommé par décret du Premier ministre après avis de l’autorité de régulation.
L’article 4 de la nouvelle loi apporte une autre modification à la loi de 1997 : RFF pourra confier ces missions « à toute personne », c’est-à-dire à d’autres que ce « service spécialisé » pour les lignes de transport marchandises à faible trafic. Cela ressemble fort à de l’expérimentation.

Et la préparation du démembrement de RFF

Ce qui précède est une partie d’un ensemble plus vaste : l’entrée des entreprises dans le champ d’action de RFF.
Depuis 2006 RFF peut recourir, pour des projets d’infrastructures d’intérêt national ou international destinés à être incorporées au réseau ferré national, à un contrat de partenariat ou à une délégation de service public. « Le contrat ou la convention peut porter sur la construction, l’entretien et l’exploitation de tout ou partie de l’infrastructure à l’exclusion de la gestion du trafic et des circulations ainsi que du fonctionnement et de l’entretien des installations de sécurité (qui sont effectués par la SNCF) ». Ainsi RFF pouvait confier ses missions au privé sauf la gestion du trafic et le fonctionnement des équipements de sécurité.
L’article 4 de la nouvelle loi supprime cette restriction. Toute cette gymnastique n’a qu’un sens : mettre de nouvelles entreprises dans la situation de RFF. Quand elles auront rôdé cette activité, le terrain sera prêt pour l’ouverture à la concurrence de la gestion de l’infrastructure.
Au-delà des atteintes au service public et à l’entreprise de service public que porte l’ouverture à la concurrence, notons l’apparent paradoxe que l’on retrouve dans d’autres secteurs : cette politique aboutit à édifier de formidables usines à gaz. En l’espèce, nous avions une activité assurée par la SNCF, le ministère des transports et les Régions. A ceux-ci s’ajoutent déjà RFF, l’Etablissement public de sécurité ferroviaire et la nouvelle ARF. Bonjour la simplification administrative libérale !

http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article304

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