Dreux (Eure-et-Loir), envoyé spécial.
Quand le monde part à la renverse, on en voit de toutes les couleurs. Regardez à Dreux (Eure-et- Loir), par exemple : depuis hier matin, c’est le patronat en lutte qui occupe l’usine Philips Électronique grand public (EGP), avec le renfort d’une trentaine de vigiles et leurs chiens. Barricadés à l’intérieur, les dirigeants du groupe séquestrent l’outil de travail, interdisent l’accès aux locaux du comité d’entreprise ainsi qu’à la cellule de reclassement destinée aux 212 salariés qu’ils envisagent de licencier. Transformés en véritables otages de la grève patronale – un lock-out, selon la terminologie usuelle –, les ouvriers – des ouvrières, en fait, à plus de 70 % – organisent un « piquet de travail » sur le parking devant leur usine.
« Cette situation est invraisemblable »
Vendredi dernier, ils sont partis pour un week-end comme un autre ; samedi, ils ont reçu chez eux un courrier les invitant « à ne pas se présenter à leur poste de travail, étant précisé que les rémunérations seront maintenues jusqu’à la fin de la procédure de plan de sauvegarde de l’emploi » ; et lundi matin, ils sont là, toujours pas licenciés mais éberlués de ne plus pouvoir remettre les pieds dans leur boîte. « Cette situation est invraisemblable, s’insurge, devant le portail, Catherine Germain, déléguée du personnel CGT. On ne peut même pas récupérer nos affaires personnelles. Et voilà qu’ils nous enferment dehors ! Pour nous, ça n’est pas terminé, mais eux, ils essaient de faire ce qu’ils veulent sans tenir aucun compte des lois en vigueur… » Une de ses collègues sort de sa poche une autre lettre reçue samedi aussi dans laquelle la direction liste, conformément à ses obligations légales, ses propositions de reclassement à l’intérieur du groupe. « Il n’y a qu’un type de poste disponible, c’est opérateur à 450 euros par mois à Szekesfehervar en Hongrie, démontre-t-elle. Il faut avoir l’esprit d’équipe, de la flexibilité, de la disponibilité et pratiquer la langue hongroise ! C’est beau, n’est-ce pas ? »
En milieu de matinée, près de 200 salariés ont participé à une assemblée générale au cours de laquelle ils ont adopté le principe d’une action en référé contre la direction de Philips : pour l’intersyndicale CGT-FO-CGC, il s’agit d’obtenir la levée du lock-out, qui constitue notamment une entrave aux libertés syndicales, mais surtout la suspension de la procédure de fermeture du site de Dreux. Depuis des mois, les représentants syndicaux tentent de replacer l’examen des comptes de leur entreprise, présentée comme perdant 1 million d’euros par mois, dans le cadre plus vaste d’une multinationale qui continue de faire des centaines de millions d’euros de bénéfices. Et, alors qu’elle a toujours évacué toutes les questions posées par les élus du comité d’entreprise et, pour certaines d’entre elles, par la direction départementale du travail et de l’emploi (DDTE), la direction de Philips prétend aujourd’hui que la consultation serait terminée, malgré le fait que le comité d’entreprise n’a pas pu dans de telles conditions émettre un avis sur le plan de fermeture.
« Estrosi, il ne faut pas qu’il nous fasse son numéro »
Un peu plus tard, dans les locaux syndicaux situés à l’extérieur de l’usine, c’est l’ébullition. Par voie de presse, Christian Estrosi, ministre de l’Industrie, a fait savoir qu’il comptait recevoir les syndicats et la direction de Philips Dreux dans la semaine, mais sur place, personne n’est au courant. « On n’a eu aucun contact avec lui, ricane Manuel Georget, délégué syndical CGT. Si c’est pour qu’il nous aide comme il a aidé les copains de Molex, ça ne nous intéresse pas ! » Pour Dominique Maillot, responsable de l’union locale FO, « Estrosi, il ne faut pas qu’il nous fasse son numéro, le pépère. Les organisations syndicales l’ont averti que Philips s’apprêtait à faire des horreurs, que le groupe était en train de redéfinir les règles encadrant le licenciement, mais le ministre persiste à considérer que tout est dans les clous… On va, j’espère, obtenir un cinglant démenti devant la justice ». Selon le plan de la direction, les notifications de licenciement devraient partir d’ici à la fin du mois. Mais depuis hier, le pire n’est paradoxalement plus si sûr. La plupart des ouvriers de Philips à Dreux veulent encore y croire, en tout cas. « On n’a pas à payer un tel tribut, considère encore Manu Georget. Si on gagne en justice, on peut rouvrir la procédure. » L’audience en référé a été fixée mercredi à 14 heures au tribunal de grande instance de Chartres.
THOMAS LEMAHIEU
http://www.humanite.fr/Philips-ferme-son-usine-de-Dreux
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