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10/11/2009

«Je suis révoltée par le développement du suicide-business»

Entretien avec le Dr Viviane Kovess-Masfety, psychiatre et spécialiste d'épidémiologie et évaluation des politiques de santé (Ecole des hautes études en santé publique).

Dans un entretien à Slate.fr, vous expliquiez que rien ne permettait de dire qu'il y avait actuellement une vague de suicides» au sein de l'entreprise France Télécom». Quelle analyse faites-vous de la décision de faire appel à une société privée, Technologia, pour tenter de prévenir de nouveaux suicides chez les salariés?

Que face à une situation de grave malaise dans une entreprise, un comité paritaire demande à une société privée de donner des conseils pour faire évoluer la situation ne me choque en rien. En revanche, je suis profondément choquée par le mélange des genres. De deux choses l'une : soit il s'agit d'une «vague de suicides» et c'est un problème de santé publique qui doit être géré par les institutions responsables de la santé dans notre pays ; soit il s'agit de problèmes d'un autre ordre (de l'ambiance au travail, de conditions de travail etc.) et il faut trouver des intermédiaires crédibles de part et d'autres pour parvenir à renouer le dialogue; et il y a, là aussi, des institutions (dont l'inspection et la médecine du travail) qui existent et dont c'est, précisément, la fonction.

On doit faire la différence entre, d'une part, la maladie qui demande un soin médical (et dans ce cas psychiatrique) et, de l'autre, la promotion /prévention de la santé qui demande une vision globale de la situation au travail et des modifications dans son organisation. Dans ce deuxième cas, la démarche n'a pas à être médicalisée. Or aujourd'hui le climat actuel et le discours dominant ont pour effet d'établir un lien entre suicides et conditions de travail. De ce fait une logique semble émerger qui voudrait que, pour éviter les suicides, il faille agir sur les conditions de travail.

Dans cette logique, la société Technologia (comme d'autres firmes commerciales similaires) se présente en mettant en avant sa capacité de gérer les conditions de travail (ainsi que le dialogue entre syndicats, employés et direction) et, par là même, de faire cesser les suicides au travail.

En quoi est-ce, pour vous, «choquant»?

Ce qui est selon moi profondément choquant tient au fait que d'un part on affirme qu'il est possible de réduire de cette façon le nombre des suicides et d'autre part que l'on fasse du profit sur les suicides, que ce soit chez France Télécom ou ailleurs. Oui, je suis révoltée par le développement du suicide-business.

Pourquoi la prévention du suicide ne pourrait-elle pas être une activité commerciale et lucrative?

Le dirigeant de Technologia tient publiquement dans la presse un discours de type commercial expliquant aux entreprises «on va vous régler le problème». Dans une telle démarche, on n'envisage même pas que le problématique des suicides est hautement complexe, liée à bien d'autres facteurs que ce qui se passe au travail. Et les promoteurs de ce type de service commercial tiennent bien évidemment un discours qui accrédite le fait que sans eux le phénomène augmentera de plus en plus, que sans eux l'entreprise ne parviendra pas à faire face et même qu'il faudra aller jusqu'à ... faire du service après- vente.

Par définition une activité commerciale n'a pas pour objectif la santé publique. Il s'agit ici de faire tourner au mieux une société de consultants. Dans un tel contexte, il y a immanquablement des questions qui ne sont pas posées, des évaluations qui ne sont pas faites et la posture de celui qui «sait ce qu'il faut faire» et qui va le faire en garantissant les résultats.

Ce type d'initiative ne peut-il pas avoir des effets positifs?

Ces interventions ne vont pas régler le problème des suicides. Technologia reconnaît d'ailleurs que les suicides ont continué dans l'un des endroits où sa société est intervenue (le Technocentre Renault) et où elle doit encore «se bagarrer contre les résistances du management».

J'ajoute que la méthode qui est mise en œuvre chez France Télécom est aberrante si nous parlons bien du suicide: ce n'est pas un questionnaire adressé à chaque salarié qui va régler le problème de personnes qui vont mal au point de se suicider. Cela peut éventuellement améliorer le climat au sein de l'entreprise (ce qui reste à démontrer) si cela permet à la direction, aux syndicats et aux employés de nouer un vrai dialogue et de faire bouger les choses. En revanche, pour les personnes qui vont psychiquement très mal (au point de vouloir mettre ou de mettre fin à leurs jours) cette démarche n'est nullement appropriée. Et ce ne sont pas non plus des «journées de dialogue» qui vont les aider. Bien au contraire: ces «dialogues» peuvent pousser dans la mauvaise direction des personnes déprimées qui ont du mal à s'exprimer dans la mesure où elles vont se reprocher ce qu'elles ont pu dire ou ne pas dire.

Quelle serait dès lors selon-vous la meilleure conduite à tenir? Des personnes n'ayant pas de formation médicale peuvent-elles ou non avoir une action dans ce domaine? La formation médicale est-elle dans ce domaine toujours une garantie ?

Le directeur de Technologia explique: «nos psychiatres et nos psychologues cliniciens vont aller sur le terrain et étudier de près la crise suicidaire». Ainsi existe donc d'une part un travail clinique et de l'autre des actions de type communication avec questionnaire aux employés. Je ne suis pas la seule à être choquée par ce travail clinique. Le conseil national de l'ordre des médecins a récemment rappelé les règles de déontologie qui s'imposent dans ce domaine.

«Le médecin du travail doit être le pivot et le point d'entrée de tous les dispositifs de prise en charge des risques psychosociaux. Il entre dans ses fonctions d'écouter un salarié en détresse et il peut orienter le salarié vers un médecin écoutant mais ceci ne peut se faire sans l'accord du salarié et est couvert par le secret médical, souligne l'institution ordinale. Ce médecin écoutant doit justifier d'une formation particulière pour les risques psychosociaux mais surtout, en aucun cas, il ne peut dispenser des actes thérapeutiques et intervenir dans le parcours de soin. La seule personne habilitée est le médecin traitant de la personne en accord avec elle qui peut la diriger vers un psychiatre ou un psychologue de son choix. Toute intervention, prise en charge gratuite de type cellule d'écoute dont les écoutants sont sélectionnés et rémunérés directement par l'employeur sont à la limite de l'exercice illégal de la médecine qui repose sur un libre choix du médecin par son patient. »

Dans le cas qui nous occupe, on ne voit pas à quel titre les psychiatres d'une société privée extérieure feraient une sorte d'autopsie psychologique et de quel droit ils prendraient connaissance du dossier médical des personnes qui se sont suicidées. On ne voit pas non plus en quoi ils seraient qualifiés pour tirer de ces études des enseignements sur la prévention du suicide. Faut-il rappeler que la prévention du suicide est un sujet en soi qui a donné lieu à de nombreux travaux scientifiques documentés ainsi qu'à des recommandations de l'OMS sur la prévention en milieu de travail.

Plus généralement, au-delà du cas de France Télécom on ne peut qu'être inquiet de voir de se développer dans les entreprises la pratique dite des «tickets psy» qui permet d'avoir accès à des consultations gratuites auprès de psychiatres ou de psychologues cliniciens proposés par l'entreprise. Cette pratique est également dénoncée par le conseil national de l'ordre des médecins.

Propos recueillis par Jean-Yves Nau

www.slate.fr - 10.11.09

1 comentário:

Vincent disse...

Bonjour,
Je partage également ce point de vue.
D'autant qu'en matière de "suicide", il est préférable de savoir de quel type il s'agit avant de médiatiser à tout-va et de mélanger les genres.
Je vous invite sur :
http://insertionvincent.blogemploi.com/mon_weblog/2009/10/suicides-au-travail.html

Merci.
A bientôt.
Vincent.

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