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13/11/2009

Contrôle social et conformisme en Démocratie : la désobéissance civile deviendrait un devoir.

Samuel Métairie

Depuis que la société est organisée de façon à ce qu’un maigre panel de gouvernant(e)s gère les affaires publiques de la nation, c’est-à-dire depuis que le pouvoir politique a consolidé la centralisation des pôles de décisions, l’individu lambda ne bénéficie pas du poids considérable qu’il pourrait avoir en tant qu’entité physique libre et autonome.

Pouvoir-domination-autorité et conformisme annihilent la liberté

Si l’Histoire de l’être humain s’étale sur 3,5 millions d’années, son aliénation voulue par ceux qu’on nomme aujourd’hui la classe dominante des scélérats capitalistes est une affaire récente. Une broutille sur l’échelle du temps. Des historiens, sociologues et les politologues font remonter l’apparition des relations de pouvoir, de prestige social, d’autorité et de commandement à l’époque où les populations se sont sédentarisées (1). Et surtout, lorsque certains ont commencé à s’élever au dessus des masses pour dominer ceux qui n’ont pas pu/su s’adapter, ou tout simplement ceux qui se sont laissés assujettir. En fait, l’organisation oligarchique des sociétés avec un petit nombre de politiques qui gouvernent pour le grand capital marchand, divinisé, pendant que le reste de sa population n’a qu’à appliquer leur codes (sinon c’est la prison ou l’amende) et ramasser les miettes, tout ceci est un phénomène récent sur l’échelle du temps. Dix, quinze, vingt, trente siècles ne sont qu’une seconde ou deux dans vingt quatre heures par rapport à l’histoire de l’Humanité (pas de mauvais jeu de mot s’il vous plait !). Je ne veux pas dans cet article rentrer dans le débat à quand fixer la date de naissance du pouvoir politique, car il relève d’une étude historique et sociologique que je ne peux réaliser, et ce serait comme descendre une falaise en rappel sans avoir noué ses cordes, que de se lancer dans cette réflexion. Mais il me semble que l’on ne peut pas dans un article parler du conformisme ni de la très nécessaire désobéissance à certains codes institutionnels sans parler des relations de pouvoir, celles-là même qui justement poussent l’individu à marcher droit devant, à se courber devant l’autorité par peur de la sanction. Or qu’est ce qu’une relation de pouvoir justement ? Pour le sociologue Jean William Lapierre, le pouvoir politique, c’est « la combinaison variable de relations de commandement-obéissance (autorité) et de domination-soumission (puissance) par lesquelles s’effectue cette régulation. Les relations d’autorité impliquent un accord entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent, donc une exécution consentie des décisions. Les relations de domination impliquent un recours à la coercition, donc une exécution forcée des décisions. » Il y a donc relation de pouvoir entre A et B, si A obtient de B ce que B n’aurait pas fait sans l’intervention de A. Cette notion de pouvoir est partout entre les individus, elle n’est pas l’apanage de la classe dirigeante, mais peut s’exerce entre deux individus lambda. Les rapports de domination sont donc partout, et il est même difficile de ne pas tirer de la satisfaction d’être en position supérieure à notre interlocuteur. La satisfaction d’avoir obtenu ce que l’on souhaite.

De nos jours, l’on n’a de cesse de nous vendre la démocratie comme le meilleur des produits politiques, alors que de tous les systèmes qui ont été imposés à l’humain, jamais la soumission, la domination et l’inégalité n’ont été abolies. Et pour cause, pour régner, qu’il soit démocratique ou dictatorial, le pouvoir doit mentir, diviser, exploiter, (démocraties) piller, coloniser, voire assassiner (dictatures). Pire, le libéralisme bourgeois débordant d’arrogance vante la liberté de l’homme riche au mépris du pauvre, et accroit donc les inégalités comme jamais, ce en imposant une société de l’individualisme, du fidèle respect des règles hiérarchiques. C’est donc encore plus sournois, puisque l’aspect autoritaire du système est plus ou moins caché derrière l’impression de liberté politique démocratique. On nous dit que si l’État légifère, c’est pour la sauvegarde des libertés individuelles. Ah, sacrée liberté ! Même N. Sarkozy vante les mérites de la liberté. Enfin, de la sienne surtout. S’il y a une chose en démocratie qui est aux antipodes de la liberté, c’est bien la contrainte de la norme qui induit un comportement conforme à la règle fixée par l’autorité, n’en déplaise à Montesquieu qui affirme qu’être libre, c’est faire tout ce que permet la loi. En effet, la liberté nous dit-on, le détestable Xavier Bertrand nous le rappelais gentiment il y a peu, s’arrête là où commence celle des autres. C’est tout ce qu’on peut faire d’un bout à l’autre de la corde. Sauf que le consentement nécessaire au dominant pour faire appliquer la règle, et la réaction de conformisme du dominé qui suit de la contrainte, peuvent contribuer à réduire la longueur de cette corde. Qui plus est, c’est la même autorité qui en détermine la longueur...Dire que la démocratie représentative amène la liberté est donc un peu comme affirmer qu’un lion dans sa cage est libre…ou que l’OTAN est une force garante de la paix.

La loi, expression de la volonté générale ?

La vision marxiste du droit précise que ce droit n’est qu’une superstructure au service des dominants contre les dominés pour représenter les intérêts de la classe dirigeante capitaliste. Outre le fait que le droit soit fait pour être détourné, et que la judiciarisation de notre société nous impose la surveillance et un contrôle sur l’individu toujours plus grand. Outre le fait qu’un pauvre sera toujours moins bien défendu qu’un riche, et qu’un justiciable haut placé ou qui connaît le juge s’en sortira mieux qu’un autre, nous sommes en théorie tous contraints d’agir conformément à la loi. Devoir d’obéir bêtement et sans réfléchir, sinon c’est la tape sur les doigts et au portefeuille. En fait, la philosophie marxiste du droit n’a hélas toujours pas pris la poussière du temps qui passe, et est donc plus que jamais d’actualité. En effet, personne ici n’échappe aux juridictions et à la norme juridique, tous doivent se conformer aux règles coercitives, générales et impersonnelles. Ce n’est pas un mal, me direz-vous, car cela nous permet de vivre en sécurité, d’être protégés contre d’éventuelles agressions en tous genres qui pourraient survenir. Le danger du conformisme survient lorsqu’il n’est plus possible de prendre du recul par rapport à la norme, et que l’on devient obligé d’appliquer les codes que nous n’avons pas décidé ou voté. Par exemple, on peut consentir à payer des impôts à l’administration, s’ils sont réellement destinés à assurer une répartition des richesses aux plus démunis, mais ces impôts deviennent illégitimes lorsqu’ils sont destinés à financer les guerres décidées pour satisfaire aux intérêts de la classe gouvernante, ou s’ils sont destinés à accélérer le processus de fuite des capitaux publics vers les marchés financiers. Beaucoup de travailleurs passent trente ans dans la même entreprise, à critiquer le patron, se prostituent aux objectifs de la direction, mais continuent pourtant d’obéir aux ordres, par peur de l’avenir.

L’être humain est-il réellement gouvernable ? Lorsque certains prennent le pouvoir pour dominer les autres, c’est peut-être parce que l’humain veut commander, et non obéir. De la même manière, le dominé se plaint de sa situation d’infériorité, bien souvent peut-être parce qu’il aimerait être à la place de celui qui a autorité sur lui. Ou bien est-ce par habitude d’être soumis à l’autorité en permanence qu’il se résout à appliquer les ordres de l’État, de la bureaucratie, de la hiérarchie, enfin, de ces lois générales, censées s’appliquer à tous ? Ainsi, dans une société où la loi n’est plus la résultante de l’intérêt général (l’a-t-elle déjà été ?), mais celui d’une classe de la population qui exerce son autorité par son statut, comment s’affranchir de certaines normes juridiques et sociales pour être libre ? La société civile doit-elle accomplir des actes de désobéissance pour s’émanciper et jouer pleinement son rôle sociétal ? Au contraire, devons nous appliquer à la lettre les lois, même celles qui aliènent notre vie individuelle ? C’est une réflexion qui ne trouvera pas réponse dans un article de quelques paragraphes, il faudrait donc la longueur d’un essai ou d’un livre pour développer pleinement cette question. Toujours est-il que ces premières interrogations mènent à une question : la désobéissance devient-elle un devoir quand une classe politique impose une société de la surveillance et du contrôle, et quand cette société bascule de plus en plus vers un régime de démocratie autoritaire ? Premier élément de réponse dont vous avez sans doute deviné mon point de vue, toutes les dictatures se sont installées parce que cette société civile avait laissé faire, s’était laissée berner par l’endoctrinement des relations publiques. Si personne ne s’insurge contre la propagande en fédérant les actions, tout est possible, et un seul berger mène le troupeau de moutons. Je vais loin, mais la frontière entre notre démocratie bourgeoise et la dictature autoritaire est floue : dans les deux, il y a trop de réglementation juridique, de normes, de tabous, et peu de place faite à la révolte ou aux actions collectives face à l’arbitraire des ces règles.

Norme juridique, norme sociale

Afin d’éviter toute confusion du lecteur autour du concept du respect de la norme, du conformisme, il faut préciser de quel type de norme je parle. Toute norme désigne des règles que l’on doit adopter, mais celles-ci ne sont pas uniquement politiques. Dans l’imbuvable jargon des juristes, la norme désigne la loi, la règle par excellence que tout justiciable est censé respecter, sous peine de poursuites. Ce sont les normes formelles, dont l’administration veille au respect. La sociologie a élargi la notion de norme à toute la sphère sociale, ainsi, elle livre une analyse plus complète. Je préfère donc traiter du conformisme par rapport aux normes sociales, plus larges que la simple norme juridique. En parallèle aux lois, existent des normes sociales, tacites auxquelles l’individu doit se conformer s’il veut être intégré dans un groupe social donné. Ces normes sociales sont dites informelles, car elles traduisent les valeurs, les mœurs, la morale sociale, et non pas les lois du gouvernement. Mais la frontière est alambiquée, car le social est intimement lié au politique. Si aujourd’hui, une norme est transgressée, comme aller nu dans le rue, fumer dans une église, télécharger de la musique, ou porter le voile à l’école pour une fille, etc, l’individu sera aussi sec stigmatisé voir puni par le groupe social environnant, ou l’autorité policière, et qui appliqueront sur lui un contrôle social. Ce contrôle social est la majeure partie du temps exercé par l’autorité étatique pour replacer le comportement déviant dans la norme : il est absolument sûr que si je me promène nu dans la rue en pleine journée, d’une, tout le monde me regardera par étonnement ou par effroi de ce tableau peu commun, et de deux, je risque de subir une interpellation par la police pour trouble à l’ordre public (notion qui a le dos large). De la même manière, je risque une amende si on me surprend à fumer dans n’importe quel lieu public, parc, bar ou gare SNCF, alors que cela était encore autorisé il y a deux ans. Voyez d’ailleurs la stupidité des lois : dans un parc, fumer est un acte dérangeant pour autrui, donc pénalisant, mais cela ne l’est pas à dix centimètres de l’autre côté de la barrière…Bref, une déviance (non respect de la norme) aujourd’hui peut-être une norme demain et inversement, tout dépend de l’évolution de la société. Fumer du cannabis, ou le mariage homosexuel, sont d’autant des actes illégaux aujourd’hui, qui ne font de mal à personne, et qui seront peut-être légalisés à l’avenir (ce n’est pas demain la vieille !) Mon but n’est pas de faire un exposé théorique sur le concept de norme, je n’ai pas cette prétention sociologique. En revanche, il est possible de montrer, dans cette société sclérosée par sa règlementation bureaucratique et son individualisme presque pathologique, qu’il est nécessaire d’accomplir des actes de désobéissance, civile ou individuelle.

La désobéissance civile non violente : un devoir citoyen du XXIème siècle ?

Dans cette Europe de l’individualisme poussé à son paroxysme par la logique capitaliste, où chacun a peur de l’autre, du moins ne s’en soucie guère et fonce tête baissée droit devant ; et dans une époque où la démocratie française plonge lentement dans l’autoritarisme, voici un exemple de politique qui mériterait une désobéissance organisée. Là où un gouvernement se permet de durcir l’immigration, d’expulser de son territoire les enfants de ceux qui sont venus reconstruire l’économie d’après guerre, au mépris de toute considération humaniste, il devient nécessaire de désobéir. Pour ne pas cautionner un retour du pétainisme, dont on sait les dangerosités. Depuis deux ans, sous le prétexte qu’on ne peut « accueillir toute la misère du monde », et qu’il faut limiter l’immigration, celle que les pouvoirs publics ont eux-mêmes générée en continuant de piller l’Afrique postcoloniale, la politique des quotas fait rage. Ces milliers d’étrangers dits sans papiers, qui se font entasser dans les centres de rétention, attendant leur « procès » et leur reconduite aux frontières, n’ont commis de « crime » que celui d’avoir fui la misère ou la guerre, espérant à tort vivre de meilleurs jours ici. Quel crime impardonnable, vraiment !…Tout cela s’opère en toute impunité, sous les yeux de tous, indignés, dépités mais incapables que nous sommes de peser du poids pour empêcher ce processus qui flirte avec le programme du FN, caché derrière un gerbant faux débat sur l’identité nationale. Je me souviens, suite à une émission sur France Inter de Daniel Mermet, avoir même entendu que pour accélérer le processus des reconduites à la frontière en 2007, les forces de l’ordre se posaient devant les écoles pour y choper les parents d’élèves. Que l’on pouvait « trouver » des enfants dans les centres de rétention administratifs…alors que c’est illégal, à ma connaissance d’emprisonner des mineurs. Que l’on parle de juifs traqués en 1940, ou d’immigrés sans papiers aujourd’hui revêt la même stigmatisation : rendus médiatiquement à l’état de simple parasite, bestiole à écraser. Aujourd’hui lundi 2 novembre 2009, j’apprends en survolant « google actu », que ce processus va devenir une priorité européenne. Le PDG de l’entreprise « République Française », suite à une campagne de lobbying, se félicite de la prochaine alliance avec le Royaume-Uni et Berlusconi pour affréter des charters communs et faire ainsi la chasse à l’immigré sur toute l’Europe. On dirait que ceux qui croient encore à l’Union Européenne comme institution des droits de l’homme, de la liberté et de la prospérité économique, vont vite déchanter ou plutôt, je l’espère grandement. Toutes les conventions juridiques interdisent la reconduite à la frontière pour des ressortissants dont le pays est en guerre. Que fait la France ? Faisant fi du droit d’asile (protégé pourtant dans la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dont la France est signataire), elle expulse des immigrés afghans dans un pays en guerre où elle envoie ses soldats combattre un terrorisme que les puissances occidentales ont-elles-mêmes exacerbé. C’est en cela qu’héberger, cacher une personne en situation irrégulière et qui est traquée par la police et victime de la politique ahurissante des quotas annuels, constitue un acte de désobéissance civile osé et risqué, mais nécessaire. Beaucoup le font, mais si j’héberge cette personne pour lui éviter ce genre de procédure administrative, je risque une sanction pour ma solidarité.

Déjà avant 1789, les penseurs politiques des Lumières et ceux qui les ont précédés réfléchissaient sur les meilleurs régimes pour que le peuple puisse vivre librement. Certains d’entre eux ont émis l’hypothèse que dans une démocratie, vu que la souveraineté appartient au peuple, il serait normal que celui-ci puisse demander au gouvernement de lui rendre des comptes lorsqu’une loi est contraire à l’intérêt général. Pour Voltaire, le citoyen vertueux était celui qui s’insurge quand le pouvoir devient arbitraire. Montesquieu, disait que le peuple n’est pas assez instruit pour participer à la vie politique. C’est uniquement donc pour cela, qu’il se choisit des représentants, mais que les lois doivent être fidèles aux intérêts populaires. Ainsi en suivant ce raisonnement, et appliqué à notre époque, cela voudrait dire que nos représentants actuels doivent être soucieux de nos intérêts...au lieu des leurs. Plus, maintenant que le taux d’alphabétisation avoisine les 100%, qu’on ne peut pas dire du peuple qu’il n’est pas instruit assez pour s’occuper des affaires publiques, cette démocratie représentative n’aurait donc plus lieu d’exister ? Qu’il faudrait troquer cette démocratie représentative contre un système plus participatif, ou la voix de la société civile compte directement dans les décisions et où elle choisit ses propres lois ? Je le pense. Quoi qu’il en soit, la désobéissance civile, ou désobéissance individuelle, devraient être replacées dans un contexte de résistance face à l’arbitraire si elle est exercée pacifiquement. Au lieu de cela, le microcosme politico-médiatique la confond (volontairement ?) depuis bien longtemps en faisant passer les désobéissants pour des anarchistes qui refusent purement et simplement la loi et l’autorité…Si contester et/ou désobéir à des lois autoritaires (pardon du pléonasme) qui oppriment ceux qui m’entourent (famille, groupe social, communauté, société, monde) c’est être anarchiste, alors je veux bien l’être.

Le Grand Soir - 13.11.09

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