La grève aux installations de Vale Inco à Sudbury et Port Colborne en était à son 100e jour, le 20 octobre 2009.
Grève à la plus importante mine de nickel au monde contre la deuxième plus importante transnationale minière mondiale
Pour introduire ce conflit à Vale Inco centré à Sudbury dans le nord-est de l’Ontario, laissons la parole, malgré quelques inexactitudes de détail, au journaliste des Nouvelles calédoniennes du 31 octobre 2009 dans la colonie française de Nouvelle Calédonie, île du Pacifique à l’est de l’Australie, où une petite délégation de grévistes, majoritairement franco-ontarienne, était allée rencontrer le syndicat de la centrale Force ouvrière de la mine de nickel de Vale Inco sur le point d’ouvrir au début 2010 malgré qu’elle menace un site naturel classé par l’UNESCO :
« Face à une économie mondialisée, le syndicalisme tente de s’internationaliser. 3 500 salariés de Vale Inco sont en grève au Canada. Leur syndicat United Steel Workers est parti en croisade sur tous les sites Vale Inco de la planète, pour y tisser des alliances. Étape en Calédonie avec les syndicats représentatifs du personnel de l’usine du Sud. […] Depuis trois mois et demi maintenant, 3 500 salariés de Vale Inco au Canada ont engagé un bras de fer avec la multinationale brésilienne qui a absorbé Inco, le géant de la mine du Canada, à l’origine du projet de Goro Nickel en Calédonie. […] Ils accusent le groupe Vale de profiter de la crise mondiale et de la baisse de ses bénéfices pour opérer des coupes sombres dans les salaires, dans les pensions de retraite et dans la couverture sociale des employés. Et ils organisent une tournée mondiale dans l’ensemble des sites de Vale Inco, au Brésil, en Indonésie, en Australie et en Nouvelle-Calédonie, pour créer une sorte d’alliance planétaire entre les différents syndicats représentatifs des salariés de la multinationale. »
Vale, trop grosse pour être vaincue dans un seul pays
Depuis la mi-juillet 2009 à Sudbury dans le nord-est de l’Ontario, ville de 150 000 habitants au tiers francophone, et depuis le début d’août à Port Colborne aussi dans le nord ontarien et à Voisey’s Bay au Labrador, les 3 500 mineurs de Vale Inco, filiale canadienne de la transnationale minière brésilienne Vale, ont déclenché la grève pour s’opposer aux concessions demandées par l’employeur. Vale, comme les autres géants miniers telles les australo-britanniques BHP-Billiton, la plus importante mondialement, et Rio-Tinto, la troisième, et quelques autres se sont lancés dans une frénétique course de concentration/centralisation de l’industrie minière mondiale. Ils le font tant pour profiter de la croissance fulgurante de la rente minière générée par la montée des prix des métaux due à la demande explosive des pays émergents, interrompue par la crise, que pour se positionner afin d’affronter en position de force les grands acheteurs, dont surtout le gouvernement chinois, et les nouveaux grands producteurs issus de ces pays.
C’est dans ce contexte que Vale avait acheté la transnationale canadienne Inco, il y a deux ans, spécialisée dans le nickel. Ainsi, Vale se diversifiait de sa propre spécialisation dans le minerai de fer. Voulant profiter de la crise économique qui réduisait brusquement les prix des minerais (voir graphique), particulièrement pour le nickel, Vale, qui avait pourtant réglé avantageusement avec ses employés de Thompson au Manitoba, exigea des autres travailleurs de Vale Inco au Canada un gel salarial de trois ans, un régime de pensions à contribution déterminée pour les nouveaux engagés, alors que le régime actuel est à prestation déterminée, une réduction considérable de l’important bonus annuel — en moyenne 25% du salaire de base — lié à la profitabilité de l’entreprise et une clause moins avantageuse d’ajustement du salaire à l’inflation.
Pourtant, contrairement à ses grands rivaux qui ont connu des problèmes de liquidité entraînant d’importantes mises à pied — pensons à Rio Tinto-Alcan au Québec — Vale est resté très profitable malgré l’effondrement des prix et n’a pas procédé à d’aussi massives mises à pied bien qu’elle est congédié quelques centaines d’employés d’Inco après l’achat de cette compagnie. Au Brésil même, elle augmentera sa main d’œuvre de 12% en 2010 suite à d’importants investissements exigés par le gouvernement brésilien dont les banques étatiques financent Vale d’une façon importante. Il est vrai qu’au Brésil et en Nouvelle-Calédonie les frais salariaux sont moindres, peut-être aussi les contraintes environnementales.
En 2008, Vale a fait un profit de 13.2 milliards $US. Sa filiale Vale Inco a fait plus de profits en deux ans (2006-2008) qu’Inco en dix ans (1996-2006), soit 4.1 milliards $US. Au troisième trimestre de 2009, en lien avec la remontée des prix du nickel et du minerai de fer, le profit a doublé par rapport au trimestre précédent même s’il ne représente que le tiers du même trimestre en 2008. La compagnie était tellement fière de ce résultat que ses dirigeants avaient prévu se déplacer aux bourses de New-York et Londres pour des événements médiatiques à la fin octobre. Mal leur en pris car ils durent les annuler suite à la venue de petites délégations de grévistes — une vingtaine à New York soutenue par des métallos étasuniens mais aussi des enseignants — qui devaient les perturber avec l’aide de syndicalistes locaux liés à la Confédération syndicale internationale (CSI).
L’optimisme de Vale est à ce point élevé que la transnationale a annoncé qu’elle distribuerait en 2009 un dividende de 2.75 milliards $ soit plus que lui coûte les salaires et bénéfices marginaux de ses plus de 100 000 employés dans 35 pays à travers le monde. Pourtant la grève est relativement efficace. La production de nickel du troisième trimestre de 2009 est inférieure de 45% par rapport à celle du second trimestre et de 55% par rapport au trimestre équivalent en 2008, sans compter un coût direct de 200 millions $US pour la grève. Il est vrai, cependant, que la remontée du prix du nickel a un peu plus qu’effacé l’effet de la baisse de volume sans compter que la production de nickel (et de cuivre que Vale Inco extrait en parallèle) est marginale par rapport à l’ensemble des opérations de la transnationale alors qu’elle était centrale pour l’ancienne Inco.
Vale profite de la crise, forte en Ontario
Depuis sa privatisation en 1997 — elle était une société d’État brésilienne fondée durant la Deuxième guerre mondiale — la multinationale minière Vale affronte systématiquement ses ouvriers. Au Brésil, ses employés n’ont pas de sécurité d’emploi : ils sont congédiés sans motif et la plupart le sont entre trois à cinq ans d’ancienneté afin d’embaucher à moindre salaire, ce qui explique que la majorité est à contrat. Dans l’actuelle grève au Canada, Vale embauche des briseurs de grève et oblige les autres ouvriers à effectuer le travail des grévistes. Le Nouveau parti démocratique (NPD) ontarien a tenté en vain à la législature ontarienne, avec l’appui de grévistes dans les tribunes dont ils ont été chassés, de présenter une législation anti-briseurs de grève sur le modèle québécois. À noter que le NPD, parti social-libéral lié au mouvement syndical et le plus à gauche de la législature ontarienne partage le nord et le nord-est ontarien, région très col bleu surtout hors de ces quelques grands centres, avec les Libéraux au pouvoir même s’il ne compte en Ontario pour seulement 10 députés sur 107.
Le relatif isolement des grévistes par rapport aux grandes régions métropolitaines du sud ontarien n’a pas facilité la construction de la solidarité. On peut cependant signaler celui des autres syndicats métallos et de la branche ontarienne du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), connu pour son avant-gardisme dans la campagne pro-palestinienne pour le boycott, le désinvestissement et les sanctions (BDS) et pour ses locaux affiliés des travailleurs municipaux de Toronto et de Windsor qui ont fait de dures grèves cet été afin d’éviter le pire des reculs exigés par les autorités municipales, dont celle dite « progressiste » de Toronto, profitant du désarroi de la crise de l’industrie de l’automobile, de l’acier et de la finance qui a frappé de plein fouet l’économie ontarienne comptant pour 40% du PIB canadien. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard que le conflit de Vale Inco ait débuté cet été au moment où ces importantes grèves avaient lieu.
Reste que cette solidarité consiste au mieux en visites de quelques dirigeants, avec parfois chèques à l’appui, et de la mobilisation de noyaux restreints de militants lors des visites de grévistes à Toronto soit pour mobiliser à Queen’s Park, siège du gouvernement ontarien, soit pour répondre à l’invitation du cinéaste iconoclaste Michael Moore lors de sa visite à Toronto pour la première de son film Capitalism, a love story. La mobilisation internationale, jusqu’à tout dernièrement, restait aussi modeste : lettre d’appui syndicales d’un peu moins d’une dizaine de pays puis visites en Allemagne et en Suède en compagnie de dirigeants internationaux pour convaincre certaines compagnies de ne pas importer du minerai de nickel de Vale. Même le grand rassemblement de la fin septembre avec des invités internationaux dont le président de la CUT, la grande centrale brésilienne, n’a rassemblé que 3 000 personnes, légèrement moins que le nombre total de grévistes à Sudbury.
Un possible tournant en octobre
Il semble, cependant, qu’un tournant pour le mieux soit apparu en octobre. Le comité d’appui des femmes, qui avait joué un rôle si important dans la grève très militante de neuf mois en 1978-79, s’est remis sur pied avec l’aide des anciennes militantes. Avec le comité de soutien lui aussi récemment constitué, il organisera une série d’activités familiales en novembre. La communauté ukrainienne de la région s’est aussi mise de la partie. Peut-être retrouvera-t-on cet esprit de 1978-79. On sent aussi un changement au niveau de la solidarité internationale. On a déjà mentionné la virée de New-York. Une petite délégation revient d’une tournée en Australie, où Vale a acquis plusieurs mines de charbon en 2007, et en Nouvelle-Calédonie où Vale Inco ouvrira sous peu une nouvelle mine de nickel. Au-delà des directions syndicales, des dizaines de mineurs australiens ont sympathisé avec la délégation… mais leur contrat se termine seulement en 2011.
En Nouvelle-Calédonie, ce qui fut remarquable fut la couverture médiatique et la rencontre chaleureuse avec les élus kanak, première nation de cette colonie française qui ne forme plus que 45% de la population totale. Y a-t-il eu des atomes crochus entre franco-ontariens et kanak, deux nationalités fortement opprimées tant au niveau de l’autonomie territoriale, de la langue que des conditions économiques ? Qu’on songe que le site web des métallos consacré à ce conflit [1], où la très grande majorité des informations de cet article est tirée, est bilingue… anglais-portugais brésilien. Pourtant la principale région touchée, comme on l’a vu, est fortement francophone tout comme elle est limitrophe du Québec. De même, le matériel disponible est unilingue anglais. Est-ce que cette uniforme et formelle unité renforcera la capacité de mobilisation de masse ? Est-ce la meilleure manière de construire un mouvement pan-canadien ? Internationalisme bien ordonné commence par chez soi.
C’est cependant au Brésil, de loin la base économique la plus importante de Vale, où la situation promet le plus. Pour leurs propres revendications, les mineurs de la plus importante mine brésilienne de Vale, et de deux autres mines, ont débrayé pendant deux jours, les 26 et 27 octobre 2009. Quelques jours plus tard, à deux autres mines affiliées à la plus petite centrale syndicale Conlutas, réputée pour sa combativité, le comité de négociation a symboliquement intégré la représentante des métallos canadiens provoquant la colère des négociateurs patronaux qui ont rompu les négociations. Ajoutant l’insulte à l’injure, 700 travailleurs de ces deux mines ont signé une lettre à la compagnie les enjoignant de régler la grève canadienne où les négociations n’ont jamais repris depuis le début de la grève. Comme le disent les dirigeants du syndicat local Conlutas :
« Vale craint davantage que la seule possibilité d’une victoire de la grève de nos frères et sœurs canadiens, une possibilité renforcée par notre action d’aujourd’hui. Elle craint aussi une croissante unité internationale en construction au sein des travailleurs de Vale et aussi dans les communautés à travers le monde où les profits de Vale ont causé des désastres environnementaux… »
Optimisme internationaliste et contradiction bureaucratique
Il y a ici un grand optimisme internationaliste. Mais il en faut. Jusqu’ici le développement des liens internationaux fut avant tout à l’initiative des bureaucraties syndicales. Il ne faut pas cependant sous-estimer leur volonté de le développer car elles sont pris de court par cette grève voulue par la base contre une transnationale très puissante et très dure qui peut endurer une grève nationale isolée même militante. Elles se rendent compte que les méthodes bureaucratiques habituelles de négociations appuyées par une grève nationale limitée aux piquets de grève et contrôlée par en haut entraînera inévitablement des reculs. Quand la base syndicale hésite à riposter devant une situation objective difficile, comme dans le secteur automobile, les directions peuvent faire avaler des reculs. Mais le prix à payer en termes de crédibilité peut être élevé quand le seuil de la grève illimitée a été franchie. Pour faire plier Vale, il faut un certain degré de coordination internationale des grèves, sauf peut-être pour le Brésil où une coordination nationale intersyndicale pourrait suffire.
La nécessité pour la bureaucratie syndicale de mobiliser la base jusqu’à un certain degré, ou de la laisser se mobiliser sans trop d’entraves, ouvre la porte de l’auto-organisation. Le comité des femmes a-t-il donné le signal de départ ? La nécessité de développer des liens internationaux, particulièrement avec les syndicats brésiliens, oblige les bureaucraties à restreindre l’expression de chauvinisme de petite puissance impérialiste, genre « défendre notre statut de classe moyenne… anti-écologique » en faveur d’une ouverture vers l’internationalisme prolétarien, genre niveler par le haut les salaires horaires et les conditions de travail des employés de Vale à travers le monde.
Il y a ici une ambiguïté du mot d’ordre de nationalisation évoquée par le président « international », c’est-à-dire regroupant les locaux étasuniens et canadiens, des métallos lors de la grande assemblée de la fin septembre et applaudie debout par les grévistes. Si nationalisation signifie prise en charge par l’État (capitaliste) pour se soustraire aux conditions de vie brésiliennes, il y a recul internationaliste… et illusion économique car le marché du nickel est mondial. L’entreprise étatique fera ce que fait Vale. Par contre, nationalisation peut signifier la première étape pour la prise en charge par le collectif des travailleurs à la manière de l’entreprise autogérée Zanon en Argentine. Le collectif autogéré mettra l’État devant ses responsabilités de financement, d’aide technique et de garantis de marchés internationaux, à défaut de reconversion de l’entreprise ou des travailleurs. Il se liera à la communauté et, dans le cas d’une entreprise intrinsèquement exportatrice, il se liera aussi aux travailleurs des entreprises étrangères clientes et concurrentes pour appuyer leurs revendications et leurs luttes dans une perspective de collaboration pour une mise en marché conjointe dans le cadre d’un nivellement par le haut des conditions de vie. Il y aurait là le premier pas vers une autogestion internationaliste.
Peu importe qu’elle débloque ou qu’elle s’épuise, cette grève contre Vale donne une idée de ce que sera le mouvement gréviste du XXIiè siècle. Les grèves mondiales contre les transnationales seront un pilier essentiel de l’internationalisme. Elles ne font que commencer.
Notes
[1] Voir http://www.fairdealnow.ca/
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