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05/11/2009

Contrefaçon d'actions à Wall Street : l'histoire d'une escroquerie monumentale

En 2008, de mystérieux spéculateurs ont inondé les marchés financiers d'énormes quantités d'actions de contrefaçon, ce qui a contribué à tuer Bear Stearns et Lehman Brothers. Le gouvernement américain ne se presse pas pour enquêter...

Scandale : De la vente à découvert d'actions à la contrefaçon d'action

Cet article est la traduction résumée d'une longue et complète enquête de Matt Taibbi pour le compte de Rolling Stone - une vulgaire... contrefaçon, en quelque sorte ?

L'après-midi du 11 mars 2008, les actions de la vénérable banque d'investissement Bear Stearns s'échangeaient à 62,97 $. Mais l'établissement commença sa descente aux enfers dès le lendemain. A la fin de la semaine, l'entreprise avait perdu la quasi-totalité de sa trésorerie et pendant le week-end, elle fut achevée par la FED et le Trésor US, forcée de se vendre à JPMorgan Chase (qui a utilisé 29 milliards de dollars d'aides publiques pour ce faire) au prix humiliant de ... 2 $ par action.

Quand Nostradamus joue en bourse...

Ce qui est remarquable, c'est que le 11 mars 2008, "quelqu'un" a fait l'un des paris les plus fous de l'histoire de Wall Street, investissant 1,7 millions de dollars dans une série d'options (produits financiers complexes) bien particulières : pour gagner, il fallait que Bear Stearns perde plus de la moitié de sa valeur en moins de neuf jours. À ce moment là, il ne s'agissait pas d'un pari fou, mais d'une pure folie ! Aussi dingue qu'"acheter pour 1,7 millions de billets de loterie". Mais ce qui est encore plus fou, c'est que notre Nostradamus boursicoteur a gagné son pari... empochant 159 fois sa mise, soit environ 270 millions $.

Réunion secrète à la FED

Il faut savoir que le 11 mars 2008, une réunion s'est tenue à la réserve fédérale de New York, présidée par les deux grands manitous de la FED (Federal Reserve System), Ben Bernanke et Timothy Geithner. Toutes les grandes entreprises américaines étaient présentes, à la notable exception de... Bear Stearns. Cette petite sauterie entre gens bien habillés a longtemps été tenue secrète. Et c'est par accident, quand un journaliste de Bloomberg a déposé une demande en vertu du Freedom of Information Act, qu'une mention succincte a été découverte dans une annexe d'un document officiel. Les participants, contactés un à un par Rolling Stone, ont tous refusé de commenter la réunion : "La règle de base du repas, c'est la confidentialité", a affirmé un porte-parole de Morgan Stanley.

De la vente à découvert à la contrefaçon d'actions

Dès le lendemain, le 12 mars, la chasse à l'ours (du nom de la banque) était ouverte. Et la banque fut prise dans le tourbillon fatal d'une attaque par "vente à découvert". Le principe est simple : vous vous engagez à acheter des titres... après les avoir vendus. En gros, vous spéculez à la baisse. Cette procédure est en général utilisée lorsqu'une entreprise montre des signes de faiblesse. Ou - mais c'est alors illégal - lorsque vous voulez dézinguer une société. Plus le nombre d'actions à la vente est élevé, plus son cours de bourse baisse : c'est le principe de l'offre et de la demande. Sauf que pour réaliser une vente à découvert de 1000 actions, il faut - pour être dans la légalité - préalablement s'assurer que ces 1000 actions sont bien disponibles quelque part, chez un courtier prêt à vous les vendre, par exemple.

Le problème est que ce système est totalement opaque, et que personne ne vérifie jamais. D'ailleurs, aucune sanction financière n'est prévue pour ceux qui contreviendraient à la règle... Seule une limite temporelle a été actée. Le spéculateur doit ainsi racheter les actions virtuelles moins de deux semaines après les avoir vendues. Sauf que personne - et surtout pas le SEC, le gendarme de la bourse US - ne vérifie l'application de cette règle. Ainsi, un beau jour, une entreprise (Overstock) s'est-elle réveillée avec 18 millions d'actions fictives sur le paletot, dont certaines étaient détenues depuis plus de deux ans par des spéculateurs bien peu scrupuleux. Résultat : une véritable économie parallèle d'actions virtuelles - vendues mais non achetées.

Mais revenons à notre ours (bien mal léché). Le mardi 11 mars, 201 768 de ces actions fictives illégales de Bear Stearns étaient dans la nature. Le lendemain, le nombre d'actions virtuelles a bondi à 1,2 millions. À la clôture des marchés du vendredi, le nombre a grimpé à 2 millions, et le lundi suivant, il planait à 13,7 millions. Une attaque au Napalm... Ces chiffres constituent l'un des cas les plus flagrants de manipulation des marchés dans l'histoire de Wall Street. "Il n'y a aucun doute dans mon esprit, pas un seul doute" que la vente à découvert a contribué à détruire Bear Stearns, a déclaré le sénateur Ted Kaufman, un démocrate du Delaware. Invité à évaluer la probabilité d'une manipulation, sur une échelle de 1 à 10, l'ancien avocat de la SEC Brent Baker n'hésite pas : "Facilement a 10".

Le scandale de la contrefaçon d'action

L'administration américaine au coeur du scandale

Dans le même temps, Bear Stearns a été victime d'une autre attaque en règle, un classique des raids baissiers : les rumeurs négatives disséminées dans les médias sur la solvabilité de l'entreprise. Du coup, l'action de la banque a terminé la semaine à 30 dollars. Le pari était déjà gagné pour notre Fantômas des marchés boursiers. Puis, une chose étrange s'est produite. La ligne de crédits d'urgence que la FED avait débloquée à l'attention de la banque devait initialement durer 28 jours. Mais ce vendredi, la réserve fédérale a brusquement changé d'avis. Et Hank Paulson - ancien patron de Goldman Sachs, rivale de Bear Stearns - a forcé la main à la banque, menaçant de lui retirer le bénéfice des aides publiques si elle ne trouvait pas de solution avant le dimanche soir. Miracle, JPMorgan s'est proposé au rachat... entre 1 et 5 dollars par action, alors que la cotation à Wall Street était de 30 dollars ! Pour un montant global de 29 milliards de dollars, versés par l'Etat à JP Morgan quelques jours avant... Tape-là !

Résultat : un (ou plusieurs) parieur fou a gagné des centaines de millions de dollars, et des spéculateurs ont fait exploser, façon puzzle, une des plus grandes entreprises du pays, tout en se remplissant les poches, de façon totalement illégale. La SEC mène l'enquête, sauf que les choses ne sont pas aussi simples. Un régulateur de Goldman Sachs, Jonathan Breckenridge, a ainsi avoué que le système informatique permet aux opérateurs (intermédiaires qui lancent les ordres d'achat et de vente pour les clients finaux) pouvaient saisir absolument ce qu'ils voulaient dans le champ texte destiné à identifier l'acheteur. Avec un petit faible pour les "trois points de suspension"... A ce moment là, la salle a éclaté de rire. Aujourd'hui, après plus de 50 auditions de responsables financiers des plus grosses firmes de Wall Street, la SEC n'a pas encore identifié le coupable. "J'ai vu la SEC envoyer des agents à l'étranger dans des affaires d'initiés concernant des échanges de 2000 $, dit Brent Baker, un ancien conseiller de la Commission, mais ils n'ont rien fait pour résoudre cette enquête".

Lehman Brothers a subi le même sort

Le pire, c'est que trois mois plus tard, les tueurs ont encore frappé. Le 27 Juin 2008, une avalanche d'actions virtuelles s'est abattue sur Lehman Brothers. Puis, selon le scénario bien huilé, les rumeurs ont commencé. Une semaine plus tard, l'action de la banque avait perdu 44% de sa valeur. Une véritable orgie cannibale. Les banques commençaient à se manger entre elles. Le 12 août 2008, 60 millions d'actions virtuelles étaient ainsi sur le marché, la compagnie n'a eu d'autre choix que de se déclarer en faillite.

Deux poids, deux mesures...

Mais l'affaire ne s'arrête pas là. Le 15 Septembre, le cours des actions de Goldman Sachs et Morgan Stanley, deux autres banques d'affaires phares, a commencé à chuter fortement. Cette fois-ci, les ventes à découvert étaient réalisées dans les règles de l'art. Quelque chose d'extraordinaire s'est alors produit. Morgan Stanley s'est mis à faire pression sur la SEC pour interdire la vente à découvert légale de valeurs financières. La demande sera honorée quelques heures plus tard, et le cours de bourse de Goldman et Morgan Stanley a rapidement rebondi. Toujours plus fort, en pleine nuit, l'Etat est grossièrement passé outre ses propres règles en autorisant le versement dans l'instant d'une aide d'urgence aux deux banques impliquées, malgré le délai de 5 jours imposé par la loi. "J'ai passé des années à essayer d'obtenir ne serait-ce que l'attention de la SEC pour empêcher la contrefaçon illégale des actions de mon entreprise, a déclaré Patrick Byrne, PDG d'Overstock, mais lorsque Morgan Stanley demande une interdiction sur la vente à découvert légale, ils l'obtiennent littéralement du jour au lendemain".

L'enquête impossible

Concrètement, il ne serait pas très compliqué pour un organisme comme la SEC d'enquêter, de déplier les ordres d'achat ou de vente, de disséquer mails et conversations téléphoniques. Mais 18 mois après la grande manipulation, le gouvernement fédéral a quasiment renoncé à dénouer les deux plus grands meurtres de l'histoire de Wall Street. Questionné par Rolling Stone, la SEC s'est refusée à tout commentaire, se contentant de déclarer que "les enquêtes liées à la crise financière sont une priorité". Ce système de contrefaçon existe à tous les niveaux, y compris sur le marché obligataire. Mais personne ne fait rien pour l'empêcher. C'est en fait tout le système financier qui est basé sur la contrefaçon. Il faut dire que les clés de Wall Street sont entre les mains de "300 types" bizarres. Ce qui n'encourage pas vraiment à la transparence... d'autant que l'accentuation de la concentration des pouvoirs - la crise a multiplié les faillites et les rapprochements d'établissements financiers - n'arrangera rien.

Conclusion

La plus grande nation regroupant les plus grands acteurs financiers mondiaux est incapable d'écrire des règles pour interdire à ses propres entreprises de voler des milliards au nez et à la barbe des autorités de régulation, et rien n'est fait pour changer les choses. Des choses aussi fondamentales pour la société civilisée que l'intégrité d'une action, une note d'hypothèque, ou encore une obligation du Trésor américain, ne sont pas protégées, pas même en cas de crise. Et le recours systématique depuis des années à un crime aussi vulgaire et visible que la contrefaçon de produits financiers reste impuni. Une caste de voleurs règne actuellement sur l'économie mondiale. Et personne ne tente de les arrêter.

Une pierre de plus à rajouter à l'édifice de "Capitalism a love story", de Michael Moore...

Les mots ont un sens - 05.11.09




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