À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

05/11/2009

Dictature 2.0 : think global, act local

Fabrice Epelboin et Jolie O'Dell

1984-hadopi-loppsi Selon un projet de traité commercial international jusqu’ici secret, un accord multilatéral de lutte contre la contrefaçon annoncerait l’arrivée de temps sombres pour les fournisseurs d’accès internet et les internautes dans un futur proche.

Un chapitre, rédigé par les américains, imposerait aux fournisseurs d’accès internet de faire la police des contenus utilisateurs, de couper l’accès internet de ceux qui porterait atteinte aux copyrights, et de censurer les contenus accusés de les violer, et ce sans la moindre preuve apportée pour soutenir l’accusation. Ce même chapitre interdirait totalement toute manœuvre visant à contourner les DRM, même pour accéder à son propre travail.

J’en ai rêvé, Sony l’a fait.

Les Etats-Unis on rédigé ce chapitre dans les conditions les plus strictes possibles du secret afin d’en assurer la confidentialité. Seul 42 personnes, comme des représentants de Google, d’Intel, de Verizon, de Time Warner, de Sony, de News Corp, d’eBay, et bien sûr de la MPAA et de la RIAA, ont eu accès au document après avoir signé des accords de confidentialité particulièrement stricts.

Les politiciens impliqués dans la rédaction de ce document sont par ailleurs lourdement financés par l’industrie de la culture et des média, on trouve parmi leurs généreux mécènes des entreprises comme Sony, Time Warner, News Corp et Disney.

Comme d’autres sections de ce projet de traité, plusieurs portions ont fait l’objet de fuites et se sont retrouvés en ligne. En l’état de nos informations, les fuites suggèrent que les internautes à travers le monde vont se retrouver sous un régime où les perquisitions numériques arbitraires, les violations de la vie privée, le principe de la présomption de culpabilité et des mesures destinés à mettre fin aux pratiques de partage de fichiers, aux logiciels libres, au téléchargement, à la culture du remix et à nombre de libertés fondamentales seront la norme.

Visiblement inspiré du traité commercial passé entre la Corée et les Etats-Unis, le traité imposera aux fournisseurs d’accès d’assurer le rôle de policiers vis à vis des activités de leurs utilisateurs au regard de possibles atteintes au copyrights. Les fournisseurs d’accès seront par ailleurs tenus responsables pour tout contenu copyrighté passant illégalement dans leurs tuyaux. C’est un rêve sur le point de devenir une réalité pour l’industrie de la Culture et un cauchemar pour les fournisseurs d’accès à internet et les internautes.

“Pour prétendre se mettre à l’abri des poursuites”, écrit Michael Geist, qui a publié l’essentiel des fuites du projet de traité, “les fournisseur d’accès internet devront établir des règles pour dissuader le stockage et la transmission de contenus litigieux. Les dispositions [...] incluront des règles pour mettre fin aux abonnements dans certaines circonstances”. Cela impliquerait que le dispositif de la riposte graduée, inauguré en France, s’appliquerait à quiconque accusé de violer le copyright de quelque façon que ce soit. Un lip-sync, un photomontage, ou même une photo de votre moitié posant fièrement devant la tour Effeil est, rappelons le, une infraction aux copyrights.

Les fournisseurs d’accès seraient obligés de couper l’accès internet d’un utilisateur pour quelque atteinte aux copyright que ce soit, et ce après trois plaintes déposées par un détenteur de droits.

What else ?

Geist continue et commente : “Censurer un contenu suite à une simple demande [ndlr: une pratique déjà en œuvre chez Dailymotion], et qui n’est pas conforme – pour l’instant – à la loi Canadienne [Geist est Canadien] ni même requis par l’organisation internationale de la propriété intellectuelle, serait requis par le traité”. Autrement dit, qu’un contenu viole ou pas un copyright serait décidé de façon parfaitement arbitraire, son simple signalement suffirait à sa censure, sans autre forme de procédure.

La censure aurait lieu sans la moindre prise en compte de notions juridique telles que le Fair Use, un élément critique de la loi sur la propriété intellectuelle dans le dispositif législatif américain, considéré par beaucoup comme une pièce fondamentale de la liberté d’expression (lire à ce sujet ‘Culture Libre’ de Lawrence Lessig, plus que jamais, une lecture indispensable).

Cette législation, qui reflète celle du Digital Millenium Copyright Act, serait instaurée dans toutes les nations signataires du traité.

Cerise sur le gâteau, le traité inclue une interdiction formelle de contourner les dispositifs de DRM (protection logicielle des contenus) ainsi que toutes les mesures de protections que l’on trouve dans des logiciels ou sur du matériel, tout comme une l’interdiction d’importer et de distribuer les outils permettant de contourner ces protections. Là aussi, cette interdiction ne prend nullement en compte les circonstances ou le fait d’être propriétaire du contenu (une spéciale dédicace pour les hackers, en quelques sorte).

Nos amis de l’Electronic Frontier Foundation, grands gardiens des libertés sur internet, on fait la déclaration suivante :

“Les négociateurs Américains mettent au point une législation qui portera atteinte à l’industrie des technologies américaine et aux citoyens du monde entier. La riposte graduée est la priorité de l’industrie de la Culture [...] Le texte de l’ACTA ouvre la porte à des changements majeurs dans les régimes appliqués à internet depuis le milieu des années 90, qui préservaient un status quo. Ces régimes ont permis et porté à la fois une innovation technologique phénoménale et une avancée de la liberté d’expression dans un monde où les contenus générés par les utilisateurs ont fait leur apparition, choses que nous considérons comme acquises aujourd’hui.

Les citoyens Européens devraient également être concernés et indignés [ndt: tu m’étonnes]. En l’état, le traité apparait comme incompatible avec les directives européenne et les lois nationales existantes”

What’s next ?

Plus que jamais, après la trahison de Catherine Trautmann (député PS Européenne) lors des dernières négociations du paquet Télécom à Bruxelles, l’enjeu des prochaines élections est critique, c’est la dernière occasion pour faire en sorte que les dirigeants politique entendent l’opinion de la population et cessent de n’écouter que la voix des lobbys. L’enjeux est désormais clair, il ne s’agit plus du tout de défendre un quelconque piratage, mais de ne pas prendre la voie d’une société réprésive basée sur la surveillance généralisé, des enjeux parfaitement décris par Orwell dans 1984. Le monde d’Orwell est bel est bien celui décrit par ce traité, la seule chose qu’Orwell n’vaiat pas prévu, c’est que cela aurait lieu sur internet et non dans la vie réelle.

Les élections dans les années qui viennent – le temps qu’il nous reste avant que ce traité deviennent une réalité, sont la dernière occasion pour lutter contre cet avenir qui s’annonce de façon démocratique. La seule alternative, après demain, sera de l’ordre de la résistance, et ne passera vraisemblablement pas par les voie de la démocratie.

Ce traité est également une réponse cinglante à ceux qui, comme moi, voyaient dans Hadopi, le résultat de l’ignorance de la classe politique et refusaient de croire à une théorie du complot.

La position de la France [mp3:play:La Marseillaise] est, à ce moment de l’Histoire, unique et décisive. Nous avons été le territoire d’expérimentation de la riposte graduée, nous somme à l’avant garde de cette lutte que les américains observaient jusqu’ici d’un œil distant et amusé, et qui s’avère aujourd’hui globale et mondialisée. La bataille d’Hadopi est belle et bien une bataille, un épisode, pas plus, le début d’un période qui s’annonce longue, et cette bataille est très loin d’avoir été perdue.

En forçant les politiques à dévoiler leur incurie et leur ignorance, ces derniers ont laissé des traces indélébiles qui seront très sévèrement jugés par les générations futures, quand l’écrasante majorité de la population considèrera comme tragi-comique la confusion entre firewall et openoffice, quand, d’ici à quelques années, Hadopi sera enfin appréhendé par toute une population comme le début de l’instauration d’une dictature numérique, où les tyrans sont des industriels et non des politiques (bien que dans bon nombres de pays la distinction soit subtile).

La bataille d’Hadopi, épisode exotique aux relents comiques, qui a tourné en ridicule bon nombre de politiciens Français au point de faire trembler les puissants et de ruiner carrières et réputations, est désormais une guerre mondiale. Si ce traité est mis en application, les conséquences sur la démocratie telle que nous la connaissons, sur la culture, sur le monde de demain, seront phénoménales, et nous avons, nous, petits Français, un savoir faire à partager avec la terre entière.

Demain, des dizaines de batailles similaires aurons lieu aux quatre coins du globe.

Identité Nationale

La lutte menée par les opposants à Hadopi et celles qui ont suivit (#mitterrand, #jeansarkozypartout, etc) sont un phénomène pour l’instant assez unique dans les grandes démocraties du monde, à ce titre, c’est une nouvelle et moderne composante de notre identité nationale. Ce billet sera donc une modeste contribution au débat participatif initié récemment par ce qui fut naguère secrétaire d’état à l’économie numérique. Ecoutez bien les paroles, finalement, ça n’a pas pris une ride, et il y a de quoi être fier, non ?

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fr.readwriteweb.com - 04.11.09

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