Devenir propriétaire, qui n’en caresse pas le projet ? Assurer ses vieux jours, avec une pension retraite de plus en plus menacée, transmettre un patrimoine à ses enfants, améliorer son cadre de vie face à un parc HLM de plus en plus vétuste… La propriété serait devenue la panacée d’une société marquée par l’incertitude et l’individualisme. En ces temps de crise, le rêve est en train de se muer en cauchemar pour bien des familles populaires.
« Vous avez vu les prix de l’immobilier ?, s’inquiétait durant la campagne présidentielle une mère de famille nombreuse vivant dans une commune populaire située à une dizaine de kilomètres au sud de Paris. Comment voulez-vous que ma fille aînée trouve à se loger après sa formation dans la police ? Au moins, avec Sarkozy elle pourra devenir propriétaire ! » Les revenus de la famille sont modestes. La femme fait quelques heures de ménages alors que son mari est employé par la Ville de Paris comme éboueur. Parmi leurs filles, certaines ricanent volontiers devant l’obstination de leur mère à acheter tous les livres du candidat UMP. Il n’empêche, avec « le candidat du pouvoir d’achat », du « travailler plus pour gagner plus », de nombreuses familles populaires caressent le rêve de devenir propriétaires.
Ce désir est parfaitement analysé par les sociologues depuis le milieu des années 60. Ainsi, Marie-Geneviève Dezès établit, dès cette époque, que « la maison individuelle peut apparaître comme un refuge : au moins n’y est-on pas marqué au front du signe des parias, au moins y est-on responsable de soi-même, au moins peut-on compenser, par le soin que l’on prend de sa maison, le handicap que le statut socioprofessionnel pourrait constituer pour accéder au standing social que l’on souhaiterait atteindre » [1].
Quand Sarkozy copie Giscard
Reconnaissons aussi que Nicolas Sarkozy, dès septembre 2006 lors de la présentation du volet logement de son programme présidentiel, a alors bien senti que « le logement [s’était] imposé parmi les principaux sujets d’inquiétude des Français » [2], qu’il était « absolument au cœur des préoccupations de nos concitoyens ». Le futur président de la République n’hésite pas, à l’époque, à dresser un panorama très sombre et, par certains aspects, assez réaliste de la situation du logement en France, en dépit de quelques approximations : « Notre pays affronte depuis plusieurs années une crise du logement, à la fois terrible et paradoxale. (...) Jamais depuis l’après-guerre, la construction n’a été aussi dynamique dans notre pays. [3] (...) Et pourtant, (...) la situation du logement demeure préoccupante pour beaucoup de Français », notamment car « l’habitat pèse d’un poids de plus en plus grand dans le budget des ménages » et que « l’accès au logement reste difficile pour bon nombre de Français ».
Nicolas Sarkozy en profite pour remettre en cause un modèle social français incapable de résoudre ces problèmes. Pour sortir de cette situation, sa promesse est des plus claires : « Notre projet est de rendre possible l’accès à la propriété pour tous », car le logement « est l’une des premières sécurités que chacun veut offrir à sa famille ». Le candidat voulait permettre « à tous ceux qui le souhaitent de réaliser leur rêve (...), en particulier dans les milieux populaires (...) parce que la propriété est la meilleure des protections contre la précarité ».
Loin de briller par son originalité, le héraut auto-proclamé de la « rupture » met en réalité ses pas dans ceux de Valéry Giscard d’Estaing, qui lui-même puisait dans une tradition chère à la droite la plus cossue depuis la Révolution française. En 1976, ce dernier n’avait pas encore quitté l’Elysée sous l’œil des caméras et les huées des passants ; il assurait déjà : « Notre démocratie doit assurer à tous ses membres la possibilité concrète d’acquérir un patrimoine minimum, une sorte de "patrimoine social" » [4]. La même année, Valéry Giscard d’Estaing confiait à son gouvernement la tâche de donner « la préférence à l’accession à la propriété (...), au logement individuel (...) sur la construction neuve » assimilée aux « grands ensembles d’inspiration collectiviste ». Dès la fin des années 1970, Valéry Giscard d’Estaing allait donner une inflexion décisive vers une France de Propriétaires en cassant la principale subvention qui avait permis de produire des logements en masse. En dépit des différentes politiques menées depuis, tous ses successeurs suivront la même voix, entraînant la chute de la construction neuve et la flambée des prix.
« Tous propriétaires ! »...
Le credo présidentiel est repris dès juillet 2007 par François Fillon, devenu Premier ministre. « Quand on est propriétaire, on a une sécurité, une confiance dans l’avenir qui est beaucoup plus grande que quand on est locataire », récite celui qui s’est attelé à démanteler le système des retraites, lors d’une visite de quartiers situés à la périphérie de Dreux, dans l’Eure-et-Loir, aux côtés de la ministre du Logement de l’époque, Christine Boutin. « Nous voulons une France de propriétaires », reprennent-ils en choeur.
Prenant prétexte que 75% des ménages européens en moyenne sont propriétaires de leur résidence principale, les deux membres du gouvernement fixent comme objectif de porter à 70% la proportion de ménages français propriétaires, contre moins de 57% actuellement. Ces préoccupations sont très vite déclinées en décisions politiques. D’où l’exonération fiscale touchant les remboursements de prêts immobiliers et la mise en vente de logements sociaux à leurs occupants. Pourtant, cette obsession du « tous propriétaires » n’est pas une solution. Elle fait même partie du problème posé par « la question du logement » [5].
Ainsi, l’Office HLM des Hauts-de-Seine, département que dirigeait par Nicolas Sarkozy avant son entrée à l’Elysée, est devenu un laboratoire de la vente des logements sociaux. Le centre-ville du Plessis-Robinson, une ville située à une petite dizaine de kilomètres au sud-ouest de Paris, est animé par les programmes de construction. A proximité se trouve le square Grunebaum-Ballin [6], constitué de petits immeubles construits il y a 30 ans. Automne 2007 : Agnès et son compagnon Éric sont ravis d’être devenus propriétaires, lors de l’été précédent, de leur appartement de 80 mètres carrés qu’ils occupaient depuis dix ans. Comme les autres locataires de la résidence, ils assistent aux réunions d’information organisées par le bailleur public. « Quand on voyait les prix en agence, tout le monde se disait : ‘‘ça va être cher !’’ », se rappelle Agnès, qui est fonctionnaire à la préfecture.
... Grâce aux heures supplémentaires
Le service des Domaines évalue le prix de leur appartement. Puis, comme leur logement était déjà loué, l’administration applique à leur estimation la décote habituelle de 20%. A son tour, l’Office des Hauts-de-Seine accorde un rabais de 35% par rapport à l’estimation des Domaines, ramenant ainsi le prix du logement à 155.569 euros. « Je me souviens du chiffre à l’euro près », souligne Agnès. L’Office leur présente les quatre prêts à taux zéro mis à leur disposition, financés par les collectivités et par l’Etat. « C’était inespéré ! Jamais nous n’avions pensé que nous pourrions devenir propriétaires à Paris », s’exclame Eric, jardinier indépendant payé par chèques emploi-service. Ils ont pris un prêt de 15 ans, grâce à un petit pécule. « A l’échéance, on revendra pour partir à la retraite dans notre région d’origine, le Nord », se projette Agnès.
Leur mensualité est de 600 euros pour un revenu de 2.800 euros par mois en moyenne. « Cela équivaut à notre précédent loyer », indiquent-ils en cœur, comme leur avait promis l’Office. A cela, il faut désormais ajouter, chaque mois, 100 euros de charges supplémentaires. A la taxe d’habitation, de 750 euros, viendra aussi s’ajouter la taxe foncière. « L’Office nous a dit que cela devrait être du même ordre », se souvient Éric qui n’est pas pour autant à l’abri d’une mauvaise surprise. Dans dix ans, il faudra commencer à rembourser le prêt à taux zéro de l’Office. Ce qui portera la mensualité à 800 euros.
« D’ici là, on n’aura plus nos trois enfants à charge et avec l’évolution du coût de la vie, ça devrait aller », raisonne Agnès. Ils font déjà des efforts. L’année de l’achat, ils ne sont partis que 15 jours en vacances. « C’est un état d’esprit d’être propriétaire. Dans notre famille, dans le Nord, ils le sont tous », relève Agnès. Il n’empêche, en dépit des efforts fait par la collectivité pour transformer ces locataires en propriétaires, la famille prend des risques mal évalués. « En général, nous évitons ce type de financement qui augmente par palier, car les accédants à la propriété ont très souvent du mal à monter la marche », assure un spécialiste de la Fédération nationale des sociétés coopératives d’HLM.
Trente ans d’endettement...
D’autres ménages populaires consentent d’importants sacrifices pour devenir propriétaires. Quitte à se mettre en danger. Ainsi, Éric et Christine, un couple de salariés travaillant à Trappes et vivant dans l’une des cités HLM de la ville [7]. Gagnant à eux deux 2.000 euros par mois, ils achètent la maison de leurs rêves pour 172.000 euros. Un prix qui intègre dix ans de flambée des prix. Sans aucun apport financier, ce couple modeste a dû s’endetter pour les trente prochaines années. Ils ont pourtant déjà 39 et 35 ans, respectivement.
Éric et Christine devront rembourser auprès de leur banque 900 euros par mois, une somme deux fois plus élevée que leur loyer HLM. « Il faudra faire des heures supplémentaires », souffle l’homme qui est employé de restauration scolaire à Trappes. Cela tombe bien, elles sont défiscalisées… Mais, ce n’est pas tout. Même à ce prix, la maison manque de confort. Dans l’incapacité de financer les travaux nécessaires, Eric et Christine prévoient d’y consacrer tous leurs week-ends et tous leurs congés. Pendant deux ans.
... Ou trente années d’épargne
Les difficultés ne s’arrêtent pas là. Compte tenu de leur marge de manœuvre extrêmement faible, ils n’ont trouvé de maison qu’à Dreux, une ville distance de plus de 50 kilomètres de Trappes où se situent leurs lieux de travail et l’école de leur fille unique. Résultat : ils prennent tous les trois la voiture chaque matin, très tôt, et reviennent chaque soir, très tard, épuisés par les bouchons. Avant même la flambée du prix du baril de pétrole, l’essence est devenu un budget très lourd pour la famille. Fragilisée par l’achat de cette maison, la situation du ménage risque de basculer en cas de séparation, d’accident de voiture ou de perte d’emploi. Tout cela pour un pavillon que le couple paiera au total 324.000 euros, si l’on inclut les frais financiers, et qui risque fort de perdre de la valeur. En effet, cette maison devait valoir moins de 100.000 euros à la fin des années 1990, avant la constitution de la bulle immobilière.
Si Éric et Christine avaient économisé, en restant locataires, la différence entre leur loyer et le montant de leur remboursement (soit 450 € par mois), ils auraient pu garnir plusieurs plans d’épargne (Livret A…), par exemple. Cet investissement sans risque aurait pu, au bout de 30 ans, leur permettre de transmettre à leur enfant un pécule de 162.000 euros, sans même compter les intérêts.
200.000 familles surendettées
Ces personnes ont témoigné avant la crise qui a provoqué la montée des cas de surendettement [8]. Entre juillet 2008 et juin 2009, 205.297 dossiers de surendettement ont été enregistrés, selon les statistiques de la Banque de France. Soit 20.000 de plus que lors de années précédentes. Une augmentation qui s’explique par la montée du chômage. Ainsi, à Clairoix, près de Compiègne, Continental va être délocalisée en Roumanie, supprimant au passage plus de 1.100 postes. Cet été, sur le parking de l’usine, les ouvriers ne cachaient pas leur craintes. Comme par exemple, David et Christel. Ils travaillent tous les deux du vendredi au dimanche, de nuit un week-end sur deux. Les salaires, autour de 1.700 euros par mois, étaient suffisants pour acheter une maison. Le couple s’est endetté pour les 24 prochaines années.
« On touche environ 800 euros de moins par mois et avec la baisse de l’immobilier, on ne peut pas la vendre », regrette Christel. « On met tout de côté pour conserver notre maison. C’est notre priorité. » Un peu plus loin, une casquette ’’Conti’’ vissée sur la tête, Robert, confectionneur sur chaîne, porte le même regard : « On avait investi dans une voiture, une maison. On y a fait d’importants travaux. Avant, on prenait une location. Cette année, Jennifer partira en vacances avec ses grands-parents. Les loisirs, c’est pareil. Pour la petite, le club de poney, c’est plus possible. Il n’y a plus d’extra car il faut garder la maison. » Les efforts consentis pour posséder sa maison ne remplace malheureusement pas la lutte pour un renforcement des droits sociaux. Ce fameux modèle social que Nicolas Sarkozy jugeait dépassé. Tous propriétaires qu’il disait…
Notes
[1] La politique pavillonnaire, Marie-Geneviève Dezès, L’Harmattan, Paris, réédition 2001
[2] Contre la précarité, permettre à chacun d’être propriétaire, Nicolas Sarkozy, 14.09.06. Les citations de Nicolas Sarkozy sont toutes extraites du même séminaire, sauf mention contraire.
[3] En réalité, la construction après-guerre est extrêmement faible. Après-guerre, le parc de logement est notoirement insuffisant en raison de décennies de faible construction. Un état de sous-investissement aggravé par les destructions provoquées par les deux guerres mondiales. En réalité, le pic de construction est atteint dans la première moitié des années 1970, après deux décennies de mise en place d’outils favorisant la construction de masse.
[4] Démocratie française, Valéry Giscard d’Estaing, Fayard, 1976
[5] La question du logement, Friedrich Engels, Londres 1887
[6] Signes des temps, ce square porte le nom d’un député socialiste qui avait milité, dans l’immédiat après-guerre, pour la constitution d’un service public du logement sur le modèle d’EDF/GDF afin de résorber la pénurie de logement.
[7] Smicards et classe moyenne : enquête sur la France qui galère, Zone Interdite, M6, 24.10.07
[8] Les Echos, 10.08.09
Basta! - 04.11.09
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