À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

01/08/2009

«La presse ne produit plus de reportages» - Interview Bruno Stevens, 50 ans, est photoreporter indépendant depuis onze ans

PHILIPPE BROCHEN

«Aujourd’hui, quand tu es sur le terrain, on te demande de faire la photo du jour, pas de construire un récit. La presse ne produit plus de reportages. Il n’y a plus de budget pour cela. La preuve : ce qui est demandé aux iconographes dans les rédactions, c’est de prendre des images d’agences filaires comme AFP, Reuters et AP, auxquelles leurs rédactions sont abonnées et pour lesquelles elles ne paient pas de supplément.

«Ceux qui, comme moi, essaient d’écrire des histoires ont de plus en plus de mal à survivre. Alors on doit se diversifier. J’en viens à proposer des workshops, des cours, ou travailler pour des ONG. Il y a dix ans, le travail pour la presse éditoriale représentait 90 % de mes revenus. Actuellement, c’est à peine le quart de ce que je gagne.

«Un autre problème réside dans l’Internet. Quand les éditeurs décideront de payer les photographes en fonction de l’audience de leur site, ce sera pas mal… Je prends un exemple : en 2004, j’ai passé quatre mois au Darfour. Le magazine américain Newsweek [un million d’exemplaires, ndlr] a publié une partie de mon reportage pour 3 000 euros. Le même travail a été publié sur leur site internet, où il a généré 30 millions de pages vues. Pour cela, j’ai été rémunéré 600 euros… Alors que n’importe quel imbécile qui fait une photo exclusive d’une célébrité en maillot de bain prend 25 000 euros !

«En 2006, je suis parti en reportage en Somalie et dans le Nord Kenya. Personne n’a voulu m’avancer un kopek pour ce reportage. Mais, à mon retour, tout le monde a voulu publier mon travail. J’ai eu seize pages dans Stern [hebdomadaire allemand, ndlr]. Un hebdo français m’a aussi acheté mes images. Mais peu avant la parution, on m’a dit : «On ne va pas passer ton reportage car on a de la pub qui ne va pas avec.» Alors il est passé quinze jours plus tard.

«L’autre gros problème du photojournalisme est le passage au numérique, car il génère de nouveaux comportements au niveau de la production et de la diffusion, et change les habitudes en terme de demande et de coûts. Pourtant, C’est un peu paradoxal, car le numérique est censé faciliter le travail. Mais en fait nous sommes obligés d’envoyer les images au jour le jour. Une image qui a six heures est une vieille image.

En Tchétchénie, en 1999, j’étais seul. Pour autant, mes photos n’étaient pas publiées quotidiennement. Cela m’a permis d’écrire mon histoire, de construire mon reportage que j’ai pu vendre dans le monde entier. Quand je suis rentré, mes images sont passées dans trente publications.

Un dernier exemple. Il y a peu, un hebdo a consacré un dossier au photojournalisme. Problème : il n’y avait pas une image de photographe actuel pour l’illustrer. On ne peut pas faire plus symbolique…»

Libération - 31.07.09

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