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03/07/2009

L’actualité de la crise : Non-résolus, les problèmes s’empilent

François Leclerc

Une chatte n’y retrouverait pas ses petits. Les discours sur la crise se chevauchent et deviennent à force contradictoires entre eux, la confusion s’installe en conséquence (dans les esprits, car pour le reste, c’est déjà fait).

D’un côté, les appels à se préparer à lever haut l’étendard de la lutte contre l’inflation se multiplient, les banques centrales interrogées sur les mesures qu’elles envisagent de prendre. Prenant pour argent comptant un autre discours, à propos des « jeunes pousses », ou bien éblouis par une embellie boursière qui s’est pourtant résumée à envol de poules (n’allant pas bien loin). De l’autre, des indices chiffrés de déflation sont enregistrés en Europe, qui demandent à être confirmés le mois prochain, même si l’OCDE les accrédite en baissant encore ses prévisions de croissance pour 2009 et prédit un très faible +0,5%, alors que nous ne sommes qu’à mi-parcours. Induisant l’idée, pour tout observateur parvenant à garder malgré tout son flegme dans cette cacophonie, que c’est donc la stagflation qui nous menace (stagnation + inflation), rien de moins.

En réalité, si les experts se raccrochent à l’idée que cela va être long et difficile, sans s’attarder à préciser pour qui, une inquiétante question est sous-jacente dans tous les esprits, à propos d’une échéance ressentie comme très déterminante. Non pas afin de savoir si une vague scélérate va de nouveau - et quand - déferler et submerger le système financier, car cela serait reconnaître de facto que le temps du bricolage est révolu, et l’on préfère faire l’impasse sur cette hypothèse, bien que les récentes nouvelles en provenance du marché immobilier américain ne soient pas rassurantes de ce point de vue. Mais à propos du délai dans lequel la reprise, tant espérée et annoncée, va effectivement intervenir. Sans trop se poser une troisième question, toute aussi désespérante, d’où proviendra-t-elle ? Se contentant à ce propos d’une réponse implicite, la force de l’habitude aidant, en louchant vers les Etats-Unis. Car on ne parle plus de la Chine, emberlificotée dans ses propres problèmes, que l’on ne comprend pas.

Le calendrier de la reprise, même à minima, est en effet vital à bien des égards. Le compteur de l’accroissement de la dette publique tourne et il faudrait pouvoir l’arrêter. Il a déjà atteint des sommets qui présagent de sérieux serrages de boulons dans les budgets des Etats, ainsi qu’une inévitable augmentation de la pression fiscale, pour de nombreuses années à venir. La commissaire européenne à la concurrence, Neelie Kroes, a annoncé hier mardi la couleur, devant l’association des banques britanniques (BBA) : « il n’y a plus d’argent pour un second sauvetage des banques » (ce qui laisse entendre qu’il pourrait bien se révéler nécessaire). Il faudra si nécessaire restructurer, a-t-elle conclu. Ce qui ne fera qu’accélérer, devons-nous remarquer à notre tour, un processus de concentration bancaire redoutable pour l’avenir, générateur d’aléa moral (moral hazard), c’est à dire renforçant la probabilité que les banques prennent des risques excessifs avec l’assurance de ne pas en supporter les conséquences.

De tous côtés, il faut donc tenir la dette et espérer un calendrier favorable, avec le soutien d’une banque centrale dont le levier monétaire de la baisse des taux est devenu inopérant, à qui les Allemands interdisent par ailleurs de s’engager dans une politique de relance, dont rêvent pourtant à voix haute les « petits » pays de la zone Europe comme l’Autriche, Chypre ou la Slovénie.

Heureusement, la BCE vient d’apporter au système bancaire un nouveau et décisif concours en lui prêtant 442,24 milliards d’euros. Cette somme considérable a visiblement son usage, puisqu’elle résulte de l’addition des demandes de 1.121 banques de la zone euro, toutes satisfaites sans discussion. Mais il est semble-t-il considéré comme Strictement confidentiel. Elle a aussi une fonction non moins importante, bien que toute aussi discrète: transférer au bilan de la BCE, en garantie de ces prêts, des actifs dont on est droit de se poser des questions sur leur qualité. C’est ce qui s’appelle faire d’une pierre deux coups, aider les banques à faire face à leurs fins de mois, alors qu’elles doivent refinancer des prêts pour éviter des situations de défaut, leur permettant également de mettre de côté dans les coffres de la BCE de quoi faire face à de nouveaux coups durs (comme si elles s’y préparaient), et deuxièmement de les débarrasser à la sauvette, comme une vulgaire bad bank, de leurs actifs toxiques, avec à la clé une augmentation plus que notable de la masse monétaire, mais toujours sans dévoiler les dessous de l’opération. C’est ce que l’on appelle un biais. Et aussi une politique systématique du secret.

Faire l’économie, autant que faire se peut, de la création de bad banks, et des coûts correspondants que les Etats devraient supporter en les créant, est donc l’objectif non avoué de la BCE dans cette affaire. Il s’inscrit dans le cadre d’une stratégie plus à long terme visant à permettre aux banques de lentement reconstituer leurs fonds propres, sans avoir à se recapitaliser, ni a fortiori à transformer ses dettes en actions. Deux très simples mécanismes éprouvés auxquels leurs actionnaires refusent de souscrire depuis le début de la crise, avec l’assentiment des autorités. C’est une stratégie à la japonaise qui a été choisie, fort chère et aléatoire, vu qu’elle a déjà démontré qu’elle n’était pas efficace. Le chemin, en tout état de cause, sera très long à parcourir. Pour en donner une idée, Neelie Kroes a souligné, toujours lors de la même conférence londonienne, que la taille du bilan de la Royal Bank of Scotland (RBS), depuis nationalisée à 70%, avait triplé de 2006 à 2008, pour atteindre 2.400 milliards de livres. Plus que le PIB de n’importe quel pays dans le monde entier, exception faite des Etats-Unis, du Japon, de l’Allemagne et de la Chine. Autre image de la bulle financière à l’origine de la crise, les ratios de prêt ont atteint 180% de l’épargne en caisse dans le cas de HBOS (avant fusion avec TBS, pour créer LBG).

Les données mêmes de la BCE, qu’elle vient de rendre publiques, témoignent que, dans le secteur jugé essentiel à la relance économique, celui du crédit, sa politique d’injection massive de liquidité est un total échec. Le système bancaire continue de vivre sous perfusion, c’est d’ailleurs aussi largement le cas aux Etats-Unis, alors que la Fed a décidé de prolonger ses programmes financiers jusqu’à la fin de l’année, et que l’on peut d’ores et déjà penser qu’elle devra renouveler cette première prolongation. Si quelques mégabanques caracolent en tête, aux Etats-Unis et à une moindre échelle en Europe, sans qu’il soit trop fouillé dans leurs comptes, le gros du peloton est désormais constitué de banques zombies et il n’y a pas de raison que cela change prochainement. Le système financier s’installe aussi confortablement qu’il peut dans la crise. Se souciant tout de même un peu de la crise économique, sa créature, car il ne peut en attendre que du mauvais, si le processus de désendettement qui n’a fait que débuter s’amplifie et se précipite trop. Car il reste en première ligne.

Que ce soit en Europe, ou aux Etats-Unis, les banques centrales jouent leur rôle de prêteur en derniers recours, non seulement vis-à-vis du système bancaire, mais aussi des Etats, ce qui est plus inédit et élargit leur mission de base, sans qu’il ait été nécessaire d’en statuer formellement. C’est qu’il n’y a – pas encore – de constitution de l’économie. Aux Etats-Unis, il n’est plus une analyse sérieuse à propos des rendements des T-bonds, les obligations d’Etat proposées aux marchés afin de financer, semaine après semaine, le déficit américain, qui ne fasse référence au rôle majeur que jouent, non seulement la Fed, mais l’ensemble des banques centres, afin de contenir leur montée. Observant que les achats massifs de T-bonds (plus de 65% des volumes) proviennent de ces banques. Ce qui pose la question de savoir jusqu’à quand elles pourront continuer de procéder ainsi. Là aussi, le compteur tourne. Avec à la clé la sanction la plus redoutée de tous, si ces acquisitions devaient être stoppés, la poursuite rapide de la hausse des rendements, et donc l’augmentation plus ou moins supportable du coût de la dette. Ainsi qu’un affaiblissement du dollar, contribuant à son tour à l’accroissement de ces mêmes taux. La Fed, qui consacre un programme de 300 milliards de dollars à ces achats, déjà bien écorné, n’est plus en mesure d’en augmenter le montant, sans prendre le risque d’aboutir à l’effet inverse à celui recherché : la hausse des rendements qu’elle voudrait contenir. C’est ce qui s’appelle une impasse.

La même question se pose déjà avec acuité pour la Grande-Bretagne, qui n’a plus le bénéfice d’une monnaie de réserve. Sans multiplier les chiffres, il est impressionnant d’enregistrer qu’une baisse de –4,3% du PIB y est déjà prévue sur l’année en cours (OCDE), alors qu’elle est ce mois-ci à –4,9% en valeur annuelle (Office national des statistiques), ce qui suppose donc une reprise bien peu vraisemblable avant la fin de l’année, si l’OCDE voit juste. Mais le pire, pour revenir à la dette, c’est qu’il est estimé que la Grande-Bretagne va devoir emprunter 900 milliards de livres dans les 5 prochaines années, et que la Bank of England ne va pouvoir acheter qu’un tiers des gilts (les obligations britanniques, dont la dénomination correspond aux placements de famille des Français). Il faudra donc trouver le solde sur les marchés, alors que tous les Etats vont beaucoup les solliciter. De mars à juin, le rendement des gilts est déjà passé de 2,9 à 3,6%. Inutile de dire, dans ces conditions, que l’avenir de la livre est en question.

On comprend que de nombreux facteurs s’additionnent pour contribuer à la hausse des taux obligataires : la crainte de l’inflation découlant de la politique suivie par les banques centrales, la baisse des achats de ces dernières, le déplacement de l’intérêt des investisseurs vers des actifs plus risqués (à la bourse des valeurs), ainsi que la remontée des prix des matières premières. Non sans de fortes conséquences sur les monnaies, présageant de leur instabilité accrue. Il a été calculé aux Etats-Unis que les détenteurs des T-bonds avaient subit des pertes, si l’on considérait les douze mois venant de s’écouler, vu la dévalorisation enregistrée par le dollar sur cette même période et les rendements de ceux-ci. Cette situation est acceptable pour les investisseurs tant qu’ils sont à la recherche d’un refuge. Qu’en sera-t-il demain ?

Une autre conséquence se pointe à l’horizon, que le rapport de la Cour des comptes française intitulé « Les concours publics aux établissements de crédit » vient d’évoquer au détour d’un petit paragraphe de ses 135 pages (cette crise n’est décidemment pas propice à d’autres lectures). C’est celle d’une nécessaire recapitalisation de la Banque de France, vu la taille de son bilan et la qualité des collatéraux qui y figurent. Ce qui est valable pour la Banque de France l’est en réalité pour toutes les banques centrales, mais s’il y a un sujet tabou, c’est bien celui-ci. En Europe, ce seront aux Etats d’y pourvoir, accroissant d’autant une dette qu’ils cherchent à tout prix à contenir, si cela devait advenir. C’est un vrai jeu de la patate chaude, mais ce sont des centaines et même des milliers de milliards qui sont en cause. Du même ordre de grandeur que les 4.000 milliards d’euros engagés par les gouvernements européens afin de soutenir les banques, tels que les services de Neelie Kroes les ont calculé.

Dans son rôle, la Banque des Règlements Internationaux (BRI), vient de tenter de recadrer dans les grandes lignes les débats et les initiatives, à l’occasion de son assemblée générale annuelle. Jaime Caruana, le directeur général de la banque centrale des banques centrales, a enveloppé son propos mais a été à l’essentiel en estimant en premier lieu que « les hésitations des officiels à rapidement nettoyer les banques, alors que beaucoup d’entre elles sont désormais pour une large part la propriété des gouvernements, pourrait bien retarder la reprise ».

Si les réformes financières sont destinées à préparer l’avenir, il a toutefois considéré vital qu’elles soient sans tarder élaborées, « alors que la patient était toujours en soins intensifs ». Il s’est ainsi fait l’avocat de réformes visant à limiter les échanges financiers entre banques et en faveur de chambres d’enregistrement centrales, aux fins de régulation et, tout aussi classiquement pourrait-on dorénavant dire, de mesures visant à ce que les banques susceptibles de créer des risques pour le système financier créent, pendant les meilleurs périodes, des provisions financières tampon pour faire face aux moments difficiles. Plus original, empruntant à nouveau au vocabulaire médical, il a également recommandé la mise en place d’un dispositif similaire à celui qui supervise les produits pharmaceutiques, évaluant selon une échelle les produits financiers les plus sûrs, que tout le monde pourra acheter, et ceux qui seront considérés comme illégaux. Tout cela ne menant pas très loin, il faut bien le dire.

Il a poursuivi que, « dès qu’apparaîtront les signes incontestables d’une reprise, il faudra mettre fin rapidement à ces mesures (de relance) », car « leurs effets inflationnistes (…) pourraient dès à présent perturber les marchés de la dette souveraine, ce qui pourrait gravement remettre en question l’ampleur des interventions des pouvoirs publics et contraindre ceux-ci à se désengager précipitamment ». Mais seulement une fois le système financier totalement assaini. Selon ses propres termes, cette fois-ci plus audacieux, il faut « forcer le secteur bancaire à encaisser des pertes », dans le cadre de la poursuite de son délestage des actifs toxiques et du rétablissement de ses fonds propres.

Le système financier réparé et la croissance revenue de manière stable, il a enfin été recommandé de réduire les dépenses publiques et de relever les impôts, ainsi que de redimensionner le secteur financier, en évitant toutes les mesures protectionnistes faisant obstacle au développement du commerce international. On revient dans le classique.

Jaime Caruana a du reconnaître, précieuse indication, qu’« une sortie précoce serait hasardeuse », mais qu’il « serait plus hasardeux encore de se désengager trop tardivement et trop lentement ». A vos marques, ne partez pas !

Blog de Paul Jorion - 01.07.09

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