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04/07/2009

Comment agir pour l'émancipation du travail ?

Une tribune de Danièle Guillemot, économiste et statisticienne, et Jacques Leger, syndicaliste à la CGT.

La place que le travail occupe dans l’existence de chacun ne se résume pas au nombre d’heures qui lui est consacré. Si les tendances séculaires sont pour les uns à la diminution du temps de travail, entre -tout au moins jusqu’à la fin du siècle dernier- allongement des études, départs plus précoces à la retraite et réduction du temps de travail ou encore montée du chômage et temps partiel, elle augmente pour d’autres, notamment les femmes qui rejoignent de plus en plus la sphère du travail. Mais au-delà de ces grandes évolutions du temps, le travail détermine toujours largement le niveau de vie au travers du revenu qu’il procure et demeure au fondement des identités sociales et personnelles : ne se présente-t-on pas au travers de son métier, on est vendeuse, mécanicien, infirmière… Le travail reste à l’origine des divisions sociales, entre dirigeants et exécutants, salariés et non-salariés, qualifiés et non qualifiés, riches et pauvres… Son absence est source de pauvreté, mais aussi de sentiment « d’inutilité au monde » (Robert Castel) engendrant de grandes souffrances sociales mais aussi personnelles, dans les relations entre conjoints, ou entre parents et enfants. C’est ce drame du chômage et de la précarité qui a pu ces dernières décennies occulter, dans les débats syndicaux et sociaux, les enjeux du travail lui-même. Pourtant, la dégradation des conditions de travail, son intensification, le retour en force de la prescription et du contrôle, sont des réalités vécues par un très grand nombre de travailleurs.

C’est pour analyser ces transformations, repenser l’approche du travail en s’appuyant sur l’expérience vécue, débattre des facteurs de son émancipation, que la CGT a organisé, avec des chercheurs, un séminaire en juillet 2008 sur ce thème. L’objectif était d’organiser un dialogue entre personnes qui produisent des connaissances sur des bases différentes, les unes à partir d’approches théoriques et d’observations produites dans le cadre d’une démarche scientifique, les autres à partir de pratiques et de réflexions militantes. La démarche implique de reconnaître ces logiques différentes, l’autonomie du travail de recherche par rapport à la logique revendicative, et dans le même temps créer les conditions d’un échange qui permette de construire de nouvelles connaissances et de nourrir de nouvelles pratiques syndicales, sans gommer les débats, différences d’approches ou désaccords. La qualité des réflexions et échanges au cours de ces trois demi-journées semble bien valider la méthode : la discussion devrait se poursuivre au cours d’un deuxième séminaire. Voici quelques-unes des questions soulevées dans ces débats.

Le constat de la dégradation des conditions du travail et des souffrances que cela engendre, l’analyse de la responsabilité d’une gestion managériale qui fait descendre les objectifs de profit dans le quotidien du travail, qui affaiblit les collectifs, l’interrogation sur ce qui fait, malgré tout, « tenir » au travail, ont traversé les débats. Beaucoup de salariés confrontés à ces réalités, notamment parmi les jeunes, cherchent en dehors du travail les moyens de se réaliser, en tentant de s’engager le moins possible dans la « galère » du travail. Mais les réalités de celui-ci se répercutent bien au-delà du cadre dans lequel il s’exerce. La précarité par exemple provoque une double instabilité pour la vie professionnelle et sociale. S’il est difficile de s’inscrire dans un déroulement de carrière, il est également difficile de construire un projet de vie sans assurance minimum du lendemain. L’intensité du travail pèse encore de tout son poids quand on a quitté son travail, soit qu’on récupère, soit qu’on y pense encore.

Ne plus avoir de temps pour réfléchir à ce que l’on fait au travail conduit à reporter les problèmes professionnels dans la vie personnelle. Et si le travail, au final, est dévalorisé, diminué par une attitude de retrait pour échapper à sa dureté, le désœuvrement vécu à l’intérieur du travail s’empare du hors travail. Même si elles ne peuvent servir sur le long terme de supplétif à une vie professionnelle difficilement supportable, la vie familiale, culturelle, les activités associatives ou syndicales, ont cependant leur propre fonction émancipatrice et peuvent nourrir elles-mêmes l’activité de travail. Ainsi, chercheurs et syndicalistes ont débattu de la question de l’équilibre travail hors travail, aspiration forte des femmes et des hommes, et condition de l’émancipation du travail.

Ce qui permet de tenir, c’est peut-être ce qui demeure d’acte libre dans l’activité de travail, la mise en œuvre du geste et de la pensée propre à chaque personne, quelle que soit sa responsabilité, et qui s’exerce malgré la codification de plus en plus étroite de nombre d’activités de travail par des normes gestionnaires. C’est une facette essentielle de l’activité professionnelle, dont les transformations ont été débattues tout au long du séminaire. Mis à mal lorsque l’obsession du profit prend le dessus sur les objectifs de production de biens ou services de qualité, de travail « bien fait », ou lorsque la multiplication des normes prive le travailleur de l’autonomie nécessaire pour son exercice, le métier est au cœur de l’identité professionnelle. Les participants ont débattu du réinvestissement du métier comme un des facteurs d’émancipation du travail. Au-delà de l’appartenance à une communauté de pairs, la reconnaissance du métier contient celle de l’autonomie, des capacités, de « l’utilité au monde » des travailleurs qui l’exercent.

Mais sans doute faut-il réfléchir aujourd’hui au lien entre la stabilité à laquelle cette notion est souvent rattachée -fondée sur l’acquisition de savoirs, sur la reconnaissance de règles- et la nécessaire évolution, la transférabilité des pratiques dans des parcours professionnels diversifiés. La reconnaissance du métier dans un cadre renouvelé suppose aussi de soulever la question de la maîtrise de l’organisation et du contenu du travail, de bousculer l’idée que l’organisation du travail serait la chasse gardée des directions d’entreprise. Ce sont, au contraire, des questions sur lesquelles les salariés ont en premier chef leur mot à dire, des problématiques à investir pour discuter et proposer.

Horaires flexibles et décalés, turn-over, intérim, sous-traitance, toutes ces transformations massives qui affectent le salariat participent de son morcellement et de la fragilisation des collectifs de travail. Des travailleurs isolés et mis en concurrence ont bien plus de difficultés à se défendre contre les formes les plus extrêmes de l’exploitation. Ils ne peuvent, au quotidien, compter sur l’aide des autres. La reconstruction du collectif est au cœur de la question syndicale. Mais alors que les situations de travail sont diversifiées, éclatées, comment rassembler les salariés dans une démarche collective ? Tout d’abord, la dimension collective du travail est loin d’avoir disparue, même si elle change de forme. Les participants au séminaire l’ont souligné, il est crucial de ne pas confondre collectif et approche uniforme, et pousser les gens en désaccord, qui ne se retrouveraient pas dans l’orientation choisie, à s’éloigner du syndicalisme, parfois pour d’autres formes d’action. En partant très concrètement des difficultés et aspirations vécues, il s’agit de ne pas écarter les différences et divergences tout en construisant du collectif, tout en fédérant.Nous sommes au cœur du débat qui a parcouru le séminaire de 2008 et se prolongera lors du séminaire de 2009. Disputer au patronat et aux directions d’entreprise le contenu et l’organisation du travail, n’est-ce pas une des dimensions décisives de l’émancipation du travail ?

L'Humanité - 04.07.09

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