Mohamed Belaali
« ...Alors que les Haïtiens ordinaires souffrent, les riches familles de Port-au-Prince continuent de vivre dans le luxe » (1). Si les soldats américains, les forces de l’ONU et les ONG humanitaires par dizaines sont toujours présents sur le sol de ce pays meurtri, rien ou presque rien n’a été fait pour la population qui continue à vivre dans des conditions inhumaines neuf mois après le terrible séisme qui a emporté des centaines de milliers de vies humaines. L’humanitaire n’est qu’un cynique prétexte utilisé par les puissances capitalistes pour servir leurs propres intérêts.
Les rescapés du tremblement de terre du 12 janvier 2010 sont toujours livrés à eux-mêmes. Ils continuent à vivre dans des camps improvisés : « 1,5 million de personnes vivent encore dans des abris de fortune » selon l’ONU citant des sources gouvernementales (2). Les haïtiens par milliers s’entassent dans les rues et les places publiques chassés des camps installés auparavant sur des terrains privés. Les rues sont toujours encombrées de gravats rendant la circulation quasi impossible. « Je ne vois pas de changement, il n’y a aucune évolution » disait une rescapée de Port-au-Prince (3).
Selon Le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH) en Haïti, « les hôpitaux de campagne et les cliniques mobiles ont disparu alors que paradoxalement, la situation des victimes n’a pas changé » (4).
Le Service Jésuite aux Réfugiés (SJR) déplore une situation « critique » dans les camps non officiels et dénonce la violence exercée sur les femmes lors de la distribution de l’aide humanitaire (5).
Les premières intempéries du mois de septembre 2010 ont déjà fait des victimes dans les camps, toujours provisoires, des sinistrés : « Une première évaluation a permis de dénombrer cinq morts dans les camps où sont réfugiés des dizaines de milliers de sans-abri du séisme du 12 janvier » a déclaré à l’AFP Edgard Célestin, responsable de communication de la Protection civile haïtienne.
Des hommes, des femmes et des enfants déjà durement frappés par le séisme, se retrouvent à nouveau sans protection aucune, à la merci de vents violents et de fortes pluies.
Les grands blessés du séisme vivent dans des conditions épouvantables et leur état de santé risque de se dégrader davantage encore. Les plus pauvres, c’est à dire la majorité de la population, sont maintenant menacés de famine et de maladies mortelles.
Quel contraste entre le zèle déployé avec faste par les « humanitaires » les premiers jours du séisme et la sinistre situation actuelle de l’immense majorité de la population haïtienne !
Où sont passés les milliards de dollars promis au peuple haïtien ? Qui va demander des comptes sur l’utilisation des fonds réunis par toutes ces ONG grâce à leur marketing « humanitaire » et à la cynique exploitation de la générosité des citoyens ?
Quel est le résultat concret de ce show humanitaire et de ce tapage médiatique sur les sinistrés et notamment sur les plus démunis d’entre eux neuf mois après le séisme ? Nul ou quasiment nul.
Car l’aide humanitaire n’a pas pour objectif d’aider les hommes et les femmes dans la détresse, mais d’utiliser les drames humains pour servir les intérêts de ceux qui la manipulent. Ce sont ces mêmes impérialistes qui ont détruit, à travers leurs programmes d’ajustement structurel, les services publics pour les remplacer par la charité des ONG humanitaires. L’aide humanitaire est subordonnée aux calculs et aux stratégies des puissances impérialistes notamment des États-Unis qui l’instrumentalisent cyniquement pour leurs seuls intérêts. L’humanitaire est une forme de corruption par des aumônes plus ou moins déguisées. Il sert à maintenir dans la dépendance les dominés pour mieux les asservir. Il est au service des classes dominantes.
Mais les sinistrés savent en même temps que l’aide humanitaire ne leur est pas vraiment destinée puisque leur situation matérielle reste désastreuse malgré la présence massive de toute sorte d’acteurs humanitaires. Les ONG par exemple ne sont pas toujours bien vues par la population locale qui doute de leur impartialité. Les salaires élevés des cadres de ces organisations, les 4x4 qu’ils utilisent parfois pour circuler dans les quartiers sinistrés et les hôtels de luxe qu’ils fréquentent contrastent tristement avec la situation misérable des rescapés. Leur proximité avec l’armée américaine et l’arrogance avec laquelle elles traitent parfois les sinistrés les éloignent de ceux qu’elles veulent aider. « Nous ne voulons pas de ce type d’aide humanitaire qui profite beaucoup plus aux ONG qu’à nous autres qui sommes dans les camps à l’attente de miettes qui tombent des ONG comme si nous étions des mendiants », pense l’un des déplacés (6) . Il n’est pas rare de voir sur les murs de Port-au-Prince des slogans dénonçant les USA, l’ONU, le président René Préval et les ONG. L’hostilité de de la population locale à leur égard devient de plus en plus grande. Certaines ONG, obsédées par la sécurité, contractent à des prix exorbitants une protection armée auprès des compagnies de sécurité privées pour lesquelles l’humanitaire n’est qu’un marché parmi tant d’autres (7). Tout le monde trouve son compte sauf les... sinistrés !
Les manifestations et les révoltes de la population sont réprimées par le pouvoir local très contesté et par la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (Minustah) c’est à dire par ceux-là mêmes qui sont sensés « soutenir les efforts humanitaires » ! (8).
L’un des objectifs des élections du 28 novembre 2010, outre de permettre de placer au pouvoir celles et ceux qui serviront le mieux les intérêts de l’impérialisme américain et de la bourgeoisie locale, est justement d’empêcher toute révolte populaire. C’est ce que craignent le plus les classes aisées et les acteurs humanitaires qui se précipitent à les organiser. Car ils sentent monter dans tout le pays la colère du peuple qui a plus besoin d’améliorer sa situation matérielle que de participer aux élections : « Le problème le plus immédiat, en dehors de la reconstruction, est l’organisation des élections présidentielles et législatives (...) Le risque d’agitation sociale existe, et le peuple haïtien peut être fier qu’il n’y ait pas eu de troubles importants jusqu’à présent, malgré la dureté et la précarité de la situation dans laquelle se trouvent tant de Haïtiens », écrit Ban Ki-moon (9).
Il faut que l’ordre règne pour que les familles aisées continuent à s’engraisser. En effet pendant que des millions de travailleurs pauvres vivent dans des conditions dramatiques « ces familles (...) font des bénéfices actuellement grâce à la dernière tragédie de leur pays » (10).
L’aide humanitaire est une forme de violence sociale invisible exercée sur les plus démunis qui doivent, de surcroît, se courber pour l’obtenir. C’est une espèce de charité laïque utilisée par les classes dominantes pour leurs seuls intérêts. L’humanitaire, comme la charité, c’est en quelque sorte la morale d’une société de classes amorale.
Mohamed Belaali
(1) wsws.org/articles cité in http://blog.emceebeulogue.fr
(3) tahiti-infos.com/Haiti-neuf-mois-apres-le-seisme
(4) haitilibre.com/article-607-haiti-reconstruction-apres-6-mois
(7) humanitaire.blogs
(8) minustah.org
(9) un.org/apps/news
(10) Patrick Martin, wsws.org cité in http://blog.emceebeulogue.fr
http://www.legrandsoir.info/L-humanitaire-au-service-du-capital-retour-sur-le-cas-de-Haiti.html
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