À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

13/10/2010

Etats-Unis : ces firmes françaises qui financent des candidats

François Krug 

Pour défendre leurs intérêts, Areva, Vivendi ou GDF-Suez soutiennent des candidats aux élections de mi-mandat.

Dessin de Baudry
Des groupes français financent directement des candidats aux élections américaines de novembre, mal parties pour Barack Obama. Objectifs : obtenir la construction d'un réacteur nucléaire pour Areva, soutenir la lutte contre le piratage pour Vivendi, ou limiter la régulation du secteur financier pour Axa.
Ces élections de mi-mandat renouvelleront toute la Chambre des représentants, un tiers du Sénat et 38 gouverneurs. Et, selon les sondages, elles s'annoncent difficiles pour Barack Obama et les démocrates. Ceux-ci ripostent en dénonçant le financement de candidats et de pubs par les entreprises étrangères :
  • indirectement, par exemple comme adhérentes de la Chamber of Commerce, soupçonnée de mener une campagne anti-Obama ;
  • directement, via la constitution d'un PAC, un « political action committee » (« comité d'action politique »).
C'est parfaitement légal. Certes, seuls les citoyens américains peuvent financer un PAC, mais l'astuce est simple : les filiales locales de sociétés étrangères peuvent créer leurs PAC, à condition de récolter les fonds auprès de leurs salariés américains (en général, leurs cadres dirigeants). Ces fonds sont ensuite redistribués :
  • aux associations créées par les partis démocrate et républicain pour financer la campagne ;
  • directement aux candidats locaux.
Les fonds récoltés et distribués doivent être déclarés à la FEC, la Federal Election Commission (« commission électorale fédérale »). Des données éparses, réunies et tenues à jour par OpenSecrets.org, le site du Center for Responsive Politics, un centre de recherche indépendant spécialisé dans le financement électoral et le lobbying.
Voici les dix groupes français qui contribuent le plus au financement de la campagne depuis 2009, via leurs PAC :
Lorsqu'ils choisissent un candidat, ces groupes français ne votent ni pour les démocrates, ni pour les républicains. Peu importe le parti, du moment que les positions du candidat correspondent aux intérêts de l'entreprise. Les démocrates sont un peu plus gâtés, mais c'est d'abord une prime aux sortants.

Axa vote pour les candidats qui assurent

Axa Equitable Life Insurance, filiale américaine d'Axa, est le premier contributeur français à la campagne électorale : 321 784 dollars (231 749 euros) depuis 2009, avec une cinquantaine de bénéficiaires.
Les quatre candidats préférés d'Axa ont reçu chacun 10 000 dollars (7 237 euros). Ils sont tous démocrates et, autre coïncidence, ils s'intéressent tous à la finance et aux assurances :
  • Charles Schumer, sénateur de l'Etat de New York : ce démocrate est moins résolu que Barack Obama à réguler le secteur financier, un des principaux employeurs de son Etat.
  • Kirsten Gillibrand, également sénatrice de l'Etat de New York.
  • Barney Frank, représentant du Massachusetts : il est le co-auteur du « Dodd-Frank Act », la loi de réforme du secteur financier votée en juillet.
  • Melissa Bean, représentante de l'Illinois : elle siège au comité des Services financiers et au sous-comité des Assurances à la Chambre des représentants.

Vivendi vote pour les mélomanes

En Californie, les électeurs votent démocrate. Universal Music aussi. La filiale de Vivendi, installée à Los Angeles, a distribué 185 145 dollars (133 341 euros), notamment à des associations de financement du parti démocrate. Elle soutient directement les candidats qui aiment la musique ou, en tout cas, l'industrie musicale :

Sanofi-Aventis vote pour entretenir sa santé

Le groupe pharmaceutique Sanofi-Aventis est le troisième contributeur français au financement de la campagne : Sanofi-Aventis US, a distribué 86 225 dollars (62 504 euros), et sa filiale Sanofi-Pasteur, 79 219 dollars (57 426 euros). Coïncidence sans doute, les deux candidats les plus gâtés ont été très impliqués dans la réforme du système de santé américain :

GDF-Suez vote pour des candidats pleins d'énergie

La contribution de GDF-Suez est tout aussi désintéressée. Et généreuse, puisqu'elle s'élève à 119 071 dollars (85 755 euros). Les chouchous du groupe sont :
  • Rick Boucher, représentant démocrate de la Virginie (6 000 dollars, soit 4 349 euros) : il préside le sous-comité de l'Energie et de la Qualité de l'air à la Chambre des représentants, et il a obtenu des abattements fiscaux pour la production de charbon « propre », une activité dont GDF Suez se veut justement le champion.
  • Lisa Murkowski, sénatrice républicaine de l'Alaska (5 000 dollars, 3 624 euros) : elle est la principale élue d'opposition au sein du comité de l'Energie et des Ressources naturelles au Sénat, et elle est favorable au développement des forages en Alaska.

Areva vote pour ses réacteurs nucléaires

Areva se montre lui aussi généreux, investissant 117 912 dollars (84 920 euros) dans la campagne électorale. Le hasard faisant bien les choses, les candidats financés ont soutenu des projets de réacteurs nucléaires confiés à Areva :
  • Ted Strickland, gouverneur démocrate de l'Ohio (5 000 dollars, soit 3 624 euros) : Areva veut justement construire un réacteur EPR dans l'Ohio, mais le projet a pris du retard.
  • Steny Hoyner, représentant démocrate du Maryland, et leader de la majorité à la Chambre des représentants (5 000 dollars également) : dans le Maryland, Areva participe à un projet de réacteur nucléaire qui risque d'être abandonné.
Areva regrettera peut-être d'avoir versé ces 5 000 dollars au représentant du Maryland. Il devait y construire un réacteur nucléaire, qui aurait été exploité par EDF et le groupe américain Constellation. Catastrophe : celui-ci vient de se retirer du projet, qui pourrait donc être abandonné.
En revanche, Areva peut compter sur la fidélité de Ted Strickland. Invité à une réunion organisée par Areva, le gouverneur de l'Ohio expliquait dans son discours :
« J'étais pour le nucléaire avant que ce soit à la mode. Franchement, si le changement climatique est notre prochain gros défi -et je crois que c'est le cas-, il serait irresponsable d'ignorer la seule source d'électricité qui n'émet pas de carbone. »

Lafarge vote pour des candidats bétons

Les industriels du béton et du ciment ont eux aussi leurs candidats. Lafarge a distribué 95 779 dollars (68 980 euros) depuis le début de la campagne. En privilégiant deux candidats sensibles à ses intérêts :
  • Charlie Dent, représentant républicain de Pennsylvanie (10 000 dollars, soit 7 249 euros) : il préside un comité réunissant des représentants et des sénateurs de régions productrices de ciment, le Congressional Cement Caucus, et il siège au comité des Transports et des Infrastructures à la Chambre des représentants.
  • Kirsten Gillibrand, sénatrice démocrate de l'Etat de New York (7 500 dollars, soit 5 437 euros), déjà financée par Axa : elle veut développer les infrastructures routières et ferroviaires dans son Etat, ce qui nécessitera évidemment du ciment et du béton.

Sodexo vote pour ses voisins et amis

Sodexo a peut-être bien fait d'investir 44 250 dollars (31 869 euros) dans cette campagne électorale. Le groupe de restauration collective est en effet accusé de violer le « droit syndical » aux Etats-Unis. Il peut compter sur le soutien de plusieurs élus au Congrès, notamment :

Louis Dreyfus vote pour des candidats qui carburent

Le groupe Louis Dreyfus est un des premiers négociants de matières premières agricoles au monde. Les Etats-Unis en sont un des premiers producteurs. Rien d'étonnant, donc, à ce que le groupe ait investi 38 000 dollars (27 367 euros) dans la campagne électorale. Avec une attention particulière pour les élus des Etats agricoles :

Alcatel vote pour des candidats connectés

Alcatel Lucent, qui a distribué 25 000 dollars (18 005 euros), sait entretenir ses relations avec les élus qui comptent. Le fabricant d'équipements pour les télécoms soutient notamment :
  • Frank Pallone, représentant démocrate du New Jersey (2 500 dollars, soit 1 808 euros), déjà financé par Sanofi-Aventis : président du sous-comité de la Santé à la Chambre des représentants, il était récemment l'invité d'une conférence sur « l'hôpital connecté » organisée par Alcatel ; les laboratoires du groupe sont par ailleurs installés dans sa circonscription.
  • Rick Boucher, représentant démocrate de Virginie (2 000 dollars, soit 1 446 euros), déjà financé par GDF-Suez : un contact à cultiver, puisqu'il préside le sous-comité des Communications, de la Technologie et d'Internet à la Chambre des représentants.

Les Français financent même des candidats à Hawaï

Quatre autres groupes français ont créé un « political action committee » (PAC) :
  • Suez Environnement : sa filiale United Water a dépensé 27 600 dollars (19 877 euros), dont 2 000 dollars (1 446 euros) versés au représentant démocrate du New Jersey Frank Pallone, déjà financé par Sanofi-Aventis et Alcatel.
  • Air Liquide : le producteur de gaz a distribué 14 314 dollars (10 350 euros) ; parmi les bénéficiaires, Tom Carper, sénateur démocrate du Delaware, où Air Liquide possède un centre de recherche (4 800 dollars, soit 3 470 euros), et sa collègue républicaine de l'Alaska, Lisa Murkowski, déjà financée par GDF-Suez (2 500 dollars, soit 1 808 euros).
  • Converteam : cette ex-filiale d'Alstom, spécialisée dans les équipements électriques et qui compte parmi ses clients la marine américaine, a consacré 7 824 dollars (5 657 euros) à la campagne électorale ; elle a ainsi versé 1 000 dollars (723 euros) à Jason Altmire, représentant démocrate de Pennsylvanie, où se trouve le siège américain de Converteam.
  • BNP Paribas : sa filiale BancWest a déboursé 10 000 dollars (7 230 euros), et une autre filiale plus exotique, la First Hawaiian Bank, a versé 14 430 dollars (10 434 euros) aux élus démocrates de Hawaï.
Illustration : dessin de Baudry

http://eco.rue89.com/2010/10/13/des-candidats-us-finances-par-des-entreprises-francaises-170607

Sem comentários:

Related Posts with Thumbnails