Pierre Ivorra
En ce début de semaine, le dollar est resté insensible à la réunion des ministres des Finances du G7 (les principaux pays capitalistes) qui s’est tenue durant le week-end à Istanbul, en marge de l’assemblée générale du FMI et de la Banque mondiale. La devise américaine a continué à céder du terrain vis-à-vis de l’euro et des principales monnaies. Sur un an, elle a perdu 7 % de sa valeur par rapport à la monnaie européenne, un mouvement qui s’est accéléré dans la dernière période.
Il faut dire qu’à Istanbul les grands argentiers se sont contentés de déclarer qu’ils continueraient « de surveiller étroitement les marchés des changes » sans annoncer pour autant une intervention conjointe afin de redonner des couleurs à la monnaie américaine. Mais avant eux les dirigeants du G20 ne s’étaient-ils pas bien gardés d’évoquer la question du dollar ?
LES PUISSANCES JOUENT au poker menteur
Ce recul du billet vert semble pourtant en contradiction avec les déclarations du secrétaire d’État au Trésor états-unien, Timothy Geithner, qui, hier encore, s’est prononcé « en faveur d’un dollar fort ».
À vrai dire, avec ces tribulations monétaires les puissants de ce monde ne font pas que jouer au poker menteur. Côté dollar d’abord, il est objectivement tiré vers le bas par l’énorme dette extérieure des États-Unis. Ces derniers sont en effet les seuls au monde à posséder une monnaie nationale qui est en même temps universelle. Ils peuvent ainsi s’endetter continuellement auprès des autres et les rembourser en… dollars. Ils font marcher la planche à billets et c’est pourquoi leur fille est muette, leur secrétaire d’État au Trésor bavard et le dollar faible.
washington tentée par le billet vert faible
En même temps, il y a chez les dirigeants américains la volonté d’utiliser l’arme monétaire pour engager leur reprise économique au détriment des autres. Un dollar faible peut leur permettre de relancer leurs exportations, notamment en direction de la zone euro et de la Chine. Ils soumettent particulièrement cette dernière à une vive pression. C’est ainsi que si le G7 se garde bien d’évoquer les risques que le dollar fait courir à la croissance mondiale, il cite nommément la monnaie chinoise dans son communiqué, incitant les autorités de Pékin à réévaluer le yuan et, par là même, à réduire leurs exportations et à augmenter leurs importations.
Cette évolution du dollar est en même temps favorisée par l’attitude des dirigeants de la zone euro. En rivalité avec les États-Unis, ils cultivent une politique de l’euro fort afin d’attirer les capitaux sur leurs places financières à Francfort et Paris, en pratiquant des taux d’intérêt plus élevés que ceux en vigueur de l’autre côté de l’Atlantique. Le jeu est évidemment dangereux et risque de contribuer à étouffer les quelques tendances à la reprise perceptibles dans certains pays du Vieux Continent. Cela explique pour partie le pronostic récent du FMI qui prédit pour l’Europe une « reprise lente et fragile ».
Jusqu’où le dollar peut-il baisser ? Son effondrement provoquerait évidemment un véritable cataclysme. Et c’est parce qu’il est conscient de ce risque que Timothy Geithner multiplie les déclarations en faveur d’un dollar fort. Il ne s’agit de rien de moins que d’une injonction aux autres pays afin qu’ils soutiennent la monnaie américaine. Comme le disait John Connally, secrétaire au Trésor de Richard Nixon, au reste du monde : « Le dollar est notre monnaie et c’est votre problème. »
Les choses peuvent-elles rester en l’état ? Pas si simple. Les autorités chinoises ne se résignent pas à réévaluer leur monnaie. D’autres pays, comme le Brésil, le Venezuela, la Russie, l’Inde, etc., cherchent leur voie pour s’émanciper de la tutelle du dollar. Il se murmurait hier que des pays du Golfe, conjointement avec la Russie, la Chine, discuteraient afin de remplacer le dollar dans les échanges pétroliers.
La question d’une alternative au dollar, d’une autre monnaie commune mondiale posée en mars dernier par les autorités chinoises est appelée à revenir sur le tapis.
L'Humanité - 08.10.09
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