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09/10/2009

Emploi, conditions de licenciement, un voyage dans la France des conflits sociaux

Les conflits sociaux, médiatisés ou ignorés, durs ou "soft", se comptent par centaines. Les salariés ne se battent pas tous pour les mêmes revendications - sauvegarde de l'emploi ou primes de licenciement importantes -, mais ces luttes témoignent d'une conflictualité bien réelle. Tour de France de 7 conflits dans des secteurs très différents.

"L'incompétence" de la direction
Serta, transports routiers, La Vaupalière (Seine-Maritime)

Début du conflit : août.
Pourquoi ? Obtenir la liquidation de l'entreprise et 15 000 euros.
Avec qui ? CFDT.

Les chauffeurs de Serta ont exigé la liquidation de leur entreprise et l'ont finalement obtenue après plusieurs semaines de lutte. Pour les 150 salariés de Serta, une entreprise de transport routier implantée sur plusieurs sites, dont La Vaupalière dans la banlieue de Rouen, c'est une curieuse victoire. Ils ont préféré dire "non" à un candidat à la reprise qu'ils connaissaient trop bien pour avoir été un de leurs dirigeants avant le rachat par le groupe Logitrans en 2006.

L'entreprise est occupée depuis deux mois et les salariés sont unanimes pour dénoncer "la gabegie et l'incompétence" du groupe Logitrans, qui a "mis à mort la boîte". "Les salariés ne veulent plus de ces gens-là qui imposaient des conditions de travail inacceptables", explique Jean-Pierre Villemin, délégué CFDT.

"A bout d'arguments" après une décision du tribunal de commerce qui ne leur convenait pas, fin août, ils avaient menacé de déverser dans les égouts des produits toxiques. Soutenus par la CFDT, les chauffeurs exigent une indemnité de départ de 15 000 euros et non pas les 800 euros dont avaient dû se contenter leurs collègues licenciés en avril.


Une mise en faillite arbitraire
Legré-Mante, production d'acide tartrique, Marseille

Début du conflit : 6 juillet.
Pourquoi ? Sauvegarder l'emploi.
Avec qui ? CGT.

Les 48 salariés licenciés de Legré-Mante occupent leur entreprise depuis le 6 juillet. Ils ont redemandé, lundi 5 octobre, l'ouverture d'une table ronde avec le préfet et tous les protagonistes du dossier. Unique producteur français d'acide tartrique, la société a été placée en liquidation judiciaire le 23 juillet. Ce produit "naturel" est surtout utilisé pour l'acidification du vin. La fabrication par la Chine d'un produit de synthèse a dérégulé le marché, divisant le prix par deux. Directeur adjoint de Legré-Mante, Benjamin Margnat explique aussi la faillite par des règles environnementales de plus en plus drastiques ayant nécessité d'importants investissements. "L'acide tartrique, c'est encore une mine d'or", dit Martial Eymard, secrétaire CGT du comité d'entreprise. Les salariés soupçonnent une opération immobilière - l'usine occupe 17 hectares presque en bordure de mer -, mais aussi le rachat par une distillerie du Vaucluse afin d'intégrer la production d'acide dans la filière vinicole. "Une délocalisation faite correctement aurait coûté cher, observe Martial Eymard. Alors on a provoqué une mise en faillite."


"Les Américains" ferment l'usine
Sermed, moteurs électriques, Eternoz (Doubs)
Début du conflit : fin juillet.
Pourquoi ? Eviter le départ des machines et obtenir 11 000 euros de prime.
Avec qui ? Aucun syndicat.

Pour ne pas "mourir oubliés" au milieu des pâtures à vaches, les ex-salariés de l'usine Sermed - 28 employés dans l'entreprise lors de la cessation d'activité, fin juillet - ont déployé des banderoles : "Au nom du profit, les Américains ferment Sermed". Kinetec, l'actionnaire américain, fera fabriquer en Chine ses nouveaux moteurs électriques à courant alternatif. Le 26 septembre, les 19 salariés des ateliers ont reçu leurs lettres de licenciement. Celles des travailleurs à domicile ont suivi. Le 28, les ouvriers ont bloqué l'usine. Ils veulent obtenir 11 000 euros de prime chacun, soit dix mois de salaire net, en plus des indemnités légales. Leur arme ? Empêcher le départ des machines et des 150 000 euros de pièces usinées. Ils ont établi un "planning d'occupation", envisagent de manifester. "On n'a pas d'interlocuteur", explique leur porte-parole, Martine Jeandenand. Le gérant, Jean-Marie Blondeau, jure que Kinetec veut "fermer proprement" et évoque un repreneur qui réembaucherait douze personnes.


Sans illusion sur un reclassement
Freescale, semi-conducteurs, Toulouse

Début du conflit : 7 septembre.
Pourquoi ? Une prime de licenciement "conséquente".
Avec qui ? CGT, CFDT et CFTC.

Plusieurs centaines de salariés du fabricant de semi-conducteurs Freescale sont en grève depuis le 7 septembre, après l'annonce de la fermeture de leur usine programmée en 2011. Depuis, ils multiplient les actions spectaculaires : blocage des dépôts de bus, du périphérique, de l'aéroport de Toulouse... Ils ont tenté de séquestrer le directeur et deux de ses collaborateurs et les policiers sont intervenus à la demande du préfet.

Les syndicats et le personnel sont divisés face à la promesse patronale de retrouver un emploi aux 800 salariés. "Il y a deux entreprises en une", explique Michel Picard (CGT), qui parle du clivage entre les ouvriers et les ingénieurs, épargnés par le projet de fermeture du site de production. CGT, CFDT et CFTC se battent pour obtenir une prime de licenciement conséquente pour les ouvriers. La direction leur assure un minimum de 60 000 euros, mais les grévistes veulent plus et doutent des résultats de la cellule de reclassement. "Si c'est pour nous trouver un job précaire, je peux chercher sans eux", explique Marina, une gréviste. Même l'annonce de l'arrivée du fabricant américain de puces électroniques Intel les laisse sceptiques. Il se serait engagé à reprendre une cinquantaine de salariés.

Sacrifiés sur l'autel de la crise
Goss, imprimerie, Nantes

Début du conflit : Mars.
Pourquoi ? Sauver des postes et obtenir de meilleures conditions de départ.
Avec qui ? CGT et CFDT.

Patrick Troussé, technicien de 47 ans, sait qu'il fera partie "de la charrette de l'entreprise Goss", fabricant de rotatives qui compte 290 salariés à Nantes. Dans quelques semaines, son poste sera transféré sur le site de Montataire (630 salariés), dans l'Oise. Le conflit a débuté en mars et les prédictions les plus sombres se vérifient. Goss international, propriété d'un fonds d'investissement américain, vient d'être vendu au groupe chinois Shanghaï Electric.

Le plan de sauvegarde de l'emploi, en cours de discussion, prévoit 165 licenciements. "Maintenant, on se bat pour sauver un maximum de postes et obtenir les meilleures conditions de départ", énonce Jean-Luc Bonneau, délégué CFDT. Depuis une semaine, le site est de nouveau bloqué. Les premiers licenciements devraient être notifiés début novembre.


Fières de leur savoir-faire
Moncler, fabricant de doudounes, Grenoble

Début du conflit : 22 septembre.
Pourquoi ? Empêcher la fermeture et sauver 48 emplois.
Avec qui ? CGT.

La société Pepper-Grenoble, filiale du groupe italien Industries SPA, propriétaire de la marque Moncler, est menacée de fermeture. 48 personnes, pour la plupart des femmes, travaillent dans cette entreprise de la banlieue grenobloise. A leur grande surprise, la direction leur a annoncé, le 22 septembre, la fermeture prochaine du site. Les salariés ont fait grève le 5 octobre, pour une visite surprise à Paris à la présentation de la collection Gamme rouge du styliste Giambatista Valli et pour une rencontre au ministère de l'économie.

Fières de leur savoir-faire - la marque est née à Grenoble en 1952 -, les ouvrières se montrent confiantes. "Le groupe ne peut pas se passer de nous, Moncler est sa seule marque qui fait des bénéfices, + 300 % depuis 2005", annonce Michèle Vullot, secrétaire CGT du CE. "Le site de Grenoble n'est pas stratégique pour le groupe. Il fermera. J'ai déjà 24 propositions de reclassement en interne, et 6 en externe", affirme Lorenzo Cirasaro, le directeur des ressources humaines.


Contre le transfert de la production
Thales, électronique aéronautique, Le Haillan (Gironde)

Début du conflit : 1er juillet.
Pourquoi ? Le retrait du projet de transfert de la production.
Avec qui ? CFDT, CFE-CGC et CGT.

Le 7 octobre, des salariés de Thales Avionics-Haillan, l'usine girondine du groupe d'électronique et de défense Thales, se retrouvaient derrière la même banderole : "Contre la délocalisation". Début juillet, les 1 045 salariés du site, dont 70 % d'ingénieurs, apprennent qu'une partie de la production sera transférée à Vendôme (Loir-et-Cher) et à Singapour, où le groupe est présent. 95 postes doivent être supprimés en Gironde et 82 sur 534 à Meudon (Hauts-de-Seine). La direction invoque des raisons économiques et des besoins de gain de production.

Les syndicats, CFDT en tête, craignent à terme une délocalisation de la recherche et développement en Asie : "La production ne peut être écartée de la recherche et l'Etat singapourien finance des projets en électronique, explique le secrétaire CFDT du comité d'entreprise, Marc Fernandès. Cette délocalisation est donc certaine." Une pétition a recueilli plus de 1 000 signatures en quelques jours dans les deux usines. "On est contre les bouteilles de gaz, assure le syndicaliste, mais on ne veut pas se laisser faire et on trouvera des actions qui pénalisent la direction."

Le Monde - 08.10.09

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