À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

25/05/2009

Non, malgré la crise, les libéraux n'ont pas renoncé à faire pire

Thomas Lemahieu

Révélations. Pendant la crise, les prosélytes du libre-échange et les ennemis de la dépense sociale font le dos rond. Mais si, dans leurs salons ou leurs colloques, ils gardent le moral, ils le doivent au miracle d’une construction européenne qui a réalisé leur utopie… Et, quand on va les écouter, ils ne s’en cachent guère.

Il n’y a pas quelque chose qui vous surprend, vous, ces derniers temps dans le débat public ? Un silence d’or, une chape de plomb. Oui, c’est ça, vous y êtes : mais où sont passés les libéraux ? Les chantres du libre-échange ? Les promoteurs de l’orthodoxie monétariste ? Les grandes gueules du marché, de la concurrence libre et non faussée sont aphones, ou quoi ? Avec la crise mondiale, sûr que chez ces gens-là, on a senti le vent du boulet. Peu à peu, pourtant, certains d’entre eux reprennent du poil de la bête et sortent de leurs tanières.

Ainsi, par exemple, à l’initiative de l’Institut Hayek, un laboratoire d’idées néo-libéral autrichien, un « pèlerinage pour l’économie de marché » (« free market road show » en anglais dans le texte) vient de se dérouler dans toute l’Europe et, mardi dernier, dans la salle des mariages de la mairie du XVIe arrondissement de Paris, c’est le député UMP Claude Goasguen qui a accueilli l’étape française d’une opération idéologique visant à expliquer que la crise provient en fait de la régulation politique des marchés.

Très discrets, mais guère inquiets, les libéraux font le dos rond en attendant des jours meilleurs… En mars, à l’occasion d’une réunion à New York de la Société du Mont-Pèlerin, le réseau de croisés néo-libéraux fondé en avril 1947 par Friedrich Hayek et Wilhelm Röpke afin de contrecarrer tout à la fois l’influence du marxisme, du keynesianisme et du socialisme, l’économiste italien Antonio Martino se veut placide en petit comité : « Tout au long de l’histoire de l’humanité, mais plus encore ces trente dernières années, la liberté économique a fourni l’illustration forte et définitive de sa supériorité sur n’importe quelle autre organisation sociale, argue-t-il. Personne aujourd’hui, sauf en Birmanie et à l’université d’Harvard [censée abriter les derniers keynesiens, NDLR] ne croit qu’il puisse y avoir une alternative meilleure que le marché. Seul un coup de folie, immature, pourrait entraîner l’humanité dans la mauvaise direction. Le marché, l’une des plus grandes découvertes de la race humaine, va rester là, malgré les tentatives des politiciens qui voudront le tuer. »

Chez les libéraux, la confiance règne donc. Et pour tout dire, on les comprend… Prenez l’Union européenne transformée dès l’origine en meilleur vecteur du néo-libéralisme sur le continent et même sur la planète. Aujourd’hui, à la différence des partisans sérieux d’une Europe sociale et démocratique, les libéraux n’ont même pas besoin, eux, d’être bien nombreux, de descendre dans la rue, de gagner des référendums, de rejeter des traités qui gravent dans le marbre des conceptions politiques particulières de l’Union européenne ou encore d’élire, à l’occasion des prochaines élections européennes, des représentants défendant réellement leurs intérêts. Comme le démontrent François Denord et Antoine Schwartz dans « L’Europe sociale n’aura pas lieu », l’utopie néo-libérale a justement été réalisée à l’échelle du continent grâce à ces cinquante ans de construction européenne. Le cadre institutionnel de l’Union roule pour les partisans des marchés libres : unanimité toujours requise au Conseil des ministres sur les grandes questions sociales ou celles liées à la fiscalité, indépendance de la Banque centrale européenne ou de la Commission placées hors du contrôle démocratique… Le processus d’un élargissement sans harmonisation sociale dilue, lui aussi, toute perspective d’une Europe qui puisse aller au-delà de la simple mise en concurrence générale des sociétés entre elles.

Tout n’est peut-être pas joué pour autant, car les néo-libéraux ont, malgré tout, été effarouchés par les résultats des consultations populaires sur le traité constitutionnel en France et aux Pays-Bas. « L’une des grandes leçons des référendums, c’est que les Européens ayant le sentiment que les Etats membres ne pourraient plus leur garantir un certain niveau de protection sociale vont rejeter l’Union européenne », observe par exemple la Konrad Adenauer Stiftung, une fondation très proche de la CDU allemande, l’une des pièces maîtresses du réseau de think tanks ultra-libéraux européens, rassemblés dans l’European Ideas Network. Mais aujourd’hui, à la faveur de la « paralysie » de l’Union européenne, les libéraux comptent bien enrayer toute velléité de construire autre chose qu’un grand marché. Et chez certains d’entre eux, déjà, pointe un nouveau rêve, celui de parachever les libéralisations dans l’Union en effaçant définitivement les pourtant très modestes capacités de régulation qui subsisteraient à l’échelle européenne. En somme, après avoir privé les Etats de leurs prérogatives essentielles en matière économique, budgétaire et monétaire, il s’agirait de retirer à l’Union européenne toute ambition politique commune.

Souvent outranciers et pousse-au-crime, parfois énamourés, gais comme des pinçons ou agiles comme des cabris : « L’Europe, l’Europe, l’Europe… Oui, à fond, mais celle-ci, et pas celle-là ! » L’Humanité est allée lire et écouter ce que disent les néo-libéraux du passé, du présent et de l’avenir de l’Union européenne quand ils sont entre eux, dans leurs colloques ou leurs salons. Révélations.

Services publics. Mille mercis, l’Europe !

Comment les libéraux défendent leurs acquis communautaires

« L’Europe est une opportunité sans égale. » Porte-parole de l’association Liberté chérie, qui a eu le vent en poupe trois semaines durant au printemps 2003 quand il s’agissait de rassembler les « otages » de la grève contre la réforme des retraites, Edouard Fillias a, sous un titre pince-sans-rire - « De l’Europe ultra-sociale » -, craché le morceau lors du débat référendaire en France. « Nous percevons l’Union européenne comme une promesse de liberté, elle est une circonstance heureuse de l’Histoire, synthétise-t-il. En cinquante ans, la construction européenne s’est affirmée comme l’alliée la plus précieuse des libertés : liberté de circulation des biens et des personnes, liberté du commerce, contre-pouvoir aux abus des Etats grâce à la Cour de justice des communautés européennes. (…) Dans notre pays, l’homme fort des réformes, c’est l’Union européenne. Elle a initié l’abrogation progressive des monopoles d’Etat dans la téléphonie ou l’électricité, l’ouverture de l’économie, le contrôle des finances publiques par un tiers indépendant, la Commission… »

Quatre ans plus tard, on retrouve ces boy-scouts hardis de la cause libérale en pleine campagne électorale pour les européennes. Avec Sabine Herold, ancienne pasionaria de Liberté chérie, à la tête du mouvement Alternative libérale. « Pendant la crise, nous, les libéraux, on se refait de traiter de monstres », pleurniche-t-elle. Le 20 avril dernier, par exemple, devant une quinzaine d’étudiants d’une petite école de management parisienne, la jeune femme de 27 ans livre une démonstration édifiante, et passablement échevelée, de ses « idées »… « L’Union européenne s’est bâtie sur le libre-échange et sur la libre circulation des capitaux et des personnes, rappelle-t-elle. Dans ces temps de crise économique, avec les interventions massives de l’Etats et les tentations protectionnistes, l’Europe doit veiller à ce qu’aucun Etat ne ferme ses frontières. C’est son premier rôle, elle n’a pas forcément à coordonner des plans de relance qui de toute façon ne marcheront pas… Face à la misère sociale, il faut continuer le commerce et, c’est vrai, redonner du pouvoir d’achat aux Français. Comment faire ? Le levier de la planche à billets est, fort heureusement, dans les mains de la BCE qui lutte, et c’est fort heureux là encore, contre l’inflation… Ce qui grignote du pouvoir d’achat, ce sont les monopoles. La libéralisation de la téléphonie et du transport aérien, en permettant d’aller sur des compagnies low cost, ça a donné beaucoup de pouvoir d’achat à nos compatriotes ! Et grâce à l’Europe, le monopole de la SNCF va sauter en 2009 et idem pour la Poste en 2011. Mais il y en a un autre que l’Europe peut nous aider à faire sauter et dont on parle peu, c’est celui de la Sécu ! » Pour Sabine Herold, « ce n’est pas avec nos hommes politiques qu’on aurait eu la fin de ces monopoles publics, mais c’est de l’Europe qu’est venu cet espoir ! On est bien conscients que l’Europe nous a apporté beaucoup de choses. »


Hommage. Happy birthday, Miss Maggie !

Comment le thatchérisme a gagné en Europe

En France, l’anniversaire est passé largement inaperçu, mais il y a trente ans, début mai 1979, Margaret Thatcher arrivait au pouvoir en Grande-Bretagne. Et contrairement aux fables colportées ici ou là, son influence sur le projet technocratique et néo-libéral de l’Union européenne aura été déterminante. Passé par l’Institut français pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (IFRAP), recyclé à l’Institut de recherches économiques et fiscales (IREF), Nicolas Lecaussin se charge de célébrer l’événement, avec trompettes et flonflons. « La grande victoire de Madame Thatcher réside surtout dans le fait que de nombreux pays ont suivi son exemple et ont mis en pratique des réformes qu’elle avait menées, écrit-il. De l’Irlande aux pays de l’Est en passant par les pays du Nord de l’Europe, les gouvernements ont privatisé et déréglementé. Même la bureaucratie bruxelloise, sévèrement épinglée dans son fameux discours de Bruges [en 1988, soit après avoir largement inspiré l’Acte unique européen, NDLR] comme une potentielle ennemie de la Grande-Bretagne, ne fait que prêcher la déréglementation économique, l’ouverture à la concurrence, la privatisation des entreprises et la baisse des dépenses publiques. »

Euro et BCE. Et maintenant, tuons les banquiers centraux !

Comment éviter tout saccage par des « canailles »

Au tournant du siècle, Erika, la fille d’Antonio Martino, économiste, député en Italie et ex ministre berlusconien de la Défense, a écrit une thèse sur l’euro et le dollar. Et le père a eu la bonne idée de la transmettre au pape de la fameuse Ecole de Chicago, Milton Friedman. « Comme tu sais, je suis plutôt cynique vis-à-vis de l’euro et assez sceptique sur comment ça fonctionnera, lui répond l’ami ultra-libéral américain dans une lettre du 12 mars 1999. Ceci dit, je suis désormais moins pessimiste qu’auparavant, simplement parce que je ne me serais jamais attendu à ce que les différents pays fassent preuve de la discipline exigée pour entrer dans l’euro. La convergence entre les taux d’inflation, les taux d’intérêts, etc. a été plus forte et plus rapide que je le pensais. »

Dans une longue « étude » publiée en juillet 2008 par une fondation libertarienne de Turin (Istituto Bruno Leoni), Antonio Martino se déclare « convaincu que la constitution fiscalo-monétaire adoptée avec l’introduction de la monnaie unique européenne est en harmonie avec l’héritage intellectuel de Friedman ». Et il le démontre de manière convaincante : la monnaie unique est confiée à « un système de règles impartiales » qui « interdisent aux gouvernements d’endetter leurs propres pays jusqu’à la faillite » ; la stabilité des prix est impérative ; l’inflation est combattue et - ce qu’il ne dit pas explicitement - la modération salariale est garantie… « Au moins dans ses intentions, écrit-il, le monde de Maastricht est un monde de règles rigoureuses et impartiales, un monument vivant à la gloire du libéralisme et du marché. » L’euro est donc bien une « application des leçons de Milton Friedman », mais il a encore une grosse faiblesse : les banquiers centraux « indépendants » demeurent des hommes de chair et de sang, et pas de simples textes de loi qui dépossèdent strictement les Etats et les institutions européennes des politiques monétaires. « La sagesse libérale a, conclut-il, toujours soutenu que, vu la possibilité que les canailles finissent par arriver au gouvernement, les constitutions doivent circonscrire ce risque. Pas parce que ce scénario est inévitable, mais simplement parce qu’il est possible. Jusqu’ici la BCE s’est comportée de manière acceptable et elle a réussi à résister aux pressions des gouvernements nationaux, mais nous n’avons aucune garantie que cela restera le cas dans le futur. Comme Milton disait souvent, « la monnaie est trop importante pour être abandonnée à des banquiers centraux ». Il pourrait avoir eu raison une fois de plus. »

Démocratie. Vive la division européenne !

Comment l’élargissement joue pour le marché

Chercheur à l’European Enterprise Institute, Fredrik Segerfeld vient, le 17 mars dernier, de publier un vibrant appel « en défense de l’élargissement de l’Union ». Pour lui, derrière les sempiternels arguments « humanistes » et « généreux » - il s’agit d’« élargir la famille européenne, d’accueillir un nombre croissant de pays dans une claire identité démocratique, occidentale, basée sur l’économie de marché et le respect des droits de l’Homme » -, l’essentiel est ailleurs. « Il y a beaucoup d’aspects de l’Union européenne qui tendent à éliminer les différences entre les Etats membres, regrette-t-il. Et pas seulement dans des législations ou des réglementations qui harmoniseraient des standards ou d’autres éléments de la vie économique, mais aussi parce que la libre circulation des facteurs de production conduit automatiquement à des convergences entre les Etats membres. Avec le temps, comme les pays deviennent de plus en plus similaires, il y a moins de place pour la concurrence institutionnelle. L’élargissement crée un appel d’air dans ces processus. D’abord, parce que les nouveaux entrants ne sont pas semblables aux anciens Etats membres, ce qui, par définition, relance la concurrence institutionnelle ; ensuite, parce que les nouveaux entrants rechignent à accepter des limitations, législatives ou réglementaires, à leur possibilité d’utiliser leurs avantages comparatifs et que, dès lors, ils coupent l’herbe sous le pied aux défenseurs d’intérêts particuliers qui voudraient entraver la concurrence et la création de richesses par des mesures politiques. Plus il y a de diversité dans l’Union européenne, moins il y a de place pour la planification centrale ; et moins il y a de planification centrale, plus il y a de croissance économique et de prospérité. Dans une perspective économique, c’est peut-être le meilleur argument pour un élargissement continuel… »

Mythologie. A bas l’harmonisation !

Comment Christophe Colomb a découvert la concurrence

« Pourquoi l’Europe s’est-elle imposée comme la principale économie mondiale pendant des siècles jusqu’à devenir la région dominant le commerce mondial, le centre des politiques planétaires, doté d’une puissance militaire supérieure aux autres ? Et pourquoi réussit-elle encore, en commun avec les Etats-Unis, à jouer un rôle si important sur la scène mondiale ? » Co-directeur de l’European Enterprise Institute et vice-président du groupe PPE au Parlement européen, le suédois Gunnar Hökmark a sa petite idée : alors qu’au 16e ou 17e siècle, la Chine, l’Inde ou le monde arabe « n’étaient pas inférieurs à l’Europe tant sur le plan culturel que sur le plan intellectuel », notre continent était, avance-t-il dans un éditorial de 2007, dirigé par des élites différentes entre elles. « Ce qui était impossible ou interdit dans un Etat était accepté, toléré ou même soutenu dans un autre. C’est ainsi qu’après avoir été rejeté quelque part, Christophe Colomb a réussi à trouver ailleurs de quoi financer son entreprise. » Dans une tribune plus ancienne (décembre 1990), le Français Pascal Salin, membre de la Société du Mont-Pélerin qui, sous le patronage de Friedrich Hayek, rassemble aujourd’hui la crème de la crème des reaganiens encore en circulation sur la planète, estime que « l’immense mérite de la civilisation européenne est qu’elle a incité les hommes à se différencier toujours davantage ». A l’époque, l’économiste de combat ultra-libéral feint de croire à l’imminence du péril d’une « harmonisation » fiscale ou sociale en Europe : « Harmoniser !, s’étrangle-t-il. Est-ce là un objectif digne des êtres humains ? Les hommes ne sont pas les ouvrières interchangeables d’une ruche d’abeilles. Leur donner pour but de vivre dans des environnements semblables les uns aux autres, c’est poursuivre un rêve totalitaire. (…) A l’harmonisation des fiscalités, des réglementations, des lois, il convient de substituer la concurrence et le libre choix des producteurs et des consommateurs. Un marché unique n’est pas un marché unifié, c’est un marché libéré. »

Atlantisme. Vite, un grand marché avec les USA !

Comment les néo-libéraux renouent avec leur utopie ancestrale

Début mars 2008, à l’initiative de l’European Ideas Network, le réseau qui fédère les think tanks néo-libéraux, un groupe de travail sur « L’Union européenne face aux défis de 2025 » a élaboré une feuille de route bigrement intéressante, sous le haut patronage d’Edouard Balladur, ancien premier ministre français et surtout auteur, en 2007, d’un livre intitulé « Pour une union occidentale entre l’Europe et les Etats-Unis ». Selon le compte-rendu officiel de la réunion, les participants s’accordent pour appeler de leurs voeux un rapprochement structurel entre les Etats-Unis et l’Europe dans le cadre de la mondialisation « où l’Occident pèse de moins en moins lourd ». « La solution n’est autre qu’un grand marché transatlantique, aussi approfondi que le marché unique, avec une véritable liberté de circulation et une harmonisation fiscale, qui réunirait un milliard de consommateurs. (…) De même, une coopération transatlantique sur les problèmes géostratégiques est possible. Cette coopération pourrait par exemple se faire au sein d’un Conseil transatlantique réunissant les présidents américain et européen, entourés d’autres personnalités. Les présidents de la FED et de la BCE pourraient y participer. (…) L’Union occidentale ne se fera pas en quelques années. Cela fait cinquante ans qu’on construit l’Europe et elle n’est pas encore achevée. Mais si dans cinquante ans l’Union occidentale a fait autant de progrès que l’Union européenne au jour d’aujourd’hui, ce sera un grand pas en avant. Il faut faire l’Europe non pas pour se défaire des USA, mais pour refaire l’Alliance atlantique. »

Taxes. Il n’y a pas d’impôt heureux

Comment les paradis fiscaux sauvent l’Europe

En France, Contribuables associés, le lobby anti-redistribution des richesses, a fait début mai une série d’éloquentes « propositions pour réformer l’Europe » : plafonnement du budget européen à 1% du PIB des Etats membres pour tarir la « source d’une immense gabegie », réduction de moitié des fonds structurels européens, suppression progressive de la politique agricole commune (PAC), refus de toute perspective d’harmonisation fiscale « prétexte à l’augmentation des impôts et jamais à leur réduction », etc. Selon eux, « les technocrates de Bruxelles souhaitent ardemment une harmonisation fiscale de l’Union européennes » - on ne sait pas trop où ils sont allés chercher ça, et ils confondent sans doute les « technocrates » avec les millions de salariés et de chômeurs qui subissent les multiples effets du dumping social et fiscal, mais passons ! D’après eux, on voudrait « priver les contribuables les plus écrasés d’impôts, au premier rang desquels les contribuables français, de positions de repli à l’intérieur de l’Union ». Une « position de repli » est un paradis fiscal et c’est cela qu’il faut défendre, comme le fait aussi Guillaume Vuillemey, chercheur à l’Institut Molinari : « L’existence de territoires combinant secret bancaire et fiscalité faible est tout à la fois une protection pour les contribuables et une limitation au pouvoir de taxation des Etats. » Pour le Suisse Pierre Bessard, président du Liberales Institut, « en limitant la capacité des gens à voter avec leurs pieds et à emporter leurs capitaux avec eux, une harmonisation favoriserait les charges fiscales les plus élevées et saperait le droit de propriété. Elle encouragerait également les politiques sociales invraisemblables et la régulation envahissante des marchés, tout en handicapant l’innovation institutionnelle qui est la conséquence de l’émulation entre les meilleures pratiques. Cela menacerait de détricoter les conditions qui ont mené au succès exceptionnel de l’Europe et de la renvoyer vers la gestion coûteuse en déficits publics, et sans espoir, de gouvernements paternalistes… »

Libéralisations. Europe : à consommer avec modération

Comment les libéraux font le coup de la « panne »

Le flamboyant Frits Bolkestein, ex commissaire européen en charge du Marché intérieur et auteur de la fameuse directive de libéralisation des services, est connu pour ne pas avoir sa langue dans sa poche. On s’en souvient pendant le débat référendaire en France, après des mois de fanfaronnades - à chaque visiteur, il montrait fièrement la Une de « L’Huma » en juin 2004 avec son titre « Le missile Bolkestein » -, les partisans du « oui » l’avaient très chaudement prié de la fermer. Depuis qu’il n’est plus aux affaires, que le traité a été rejeté et sa directive amendée, il est de nouveau libre. Le 8 avril 2007, au cours d’un déjeuner-conférence organisé à Bruxelles par trois think tanks ultra-libéraux (Ludwig von Mises Institute, Institut Turgot et Hayek Institute), le bouillant Hollandais invite l’Europe à se reconcentrer sur ses « activités principales » définies depuis plus de 50 ans dans le traité de Rome. Selon lui, en dehors du « commerce international » et de la « politique de la concurrence », il n’y a rien à attendre de l’Europe et c’est très bien ainsi ! « Beaucoup sont désenchantés parce que l’ Union européenne a été survendue », remarque-t-il. Pariant sur l’inflexibilité ultra-libérale de l’Angleterre ou des nouveaux entrants à l’Est, Bolkestein fustige les réticences face au modèle du travail flexible : « Que peut bien avoir de social un modèle économique qui crée 12 % de chômage en Allemagne et 10 % en France ? (…) Il est certain que les chômeurs français préféreraient un petit travail à pas de travail du tout. Il fut un temps où l’axe Bonn-Paris était le moteur de l’Europe. Le couple actuel est un frein. (…) La seule façon d’avancer est d’améliorer notre compétitivité en permettant la concurrence et en rendant les marchés plus flexibles. Les gouvernements italien, allemand et français ne le feront probablement pas. La « vieille Europe » existe, elle se cramponne désespérément à une pensée économique obsolète. Il appartient donc à la Commission de sonner le tocsin. »

Surenchère. L’essence de l’Europe est le marché, rien que le marché

Comment les ultras des ultras jouent les aiguillons

Alors que le néo-libéralisme constitue l’ADN de l’Union européenne, certains ultra-libéraux multiplient, ces derniers temps, les surenchères face à un hypothétique « approfondissement » de l’intégration européenne, au point qu’ils font mine de croire que le traité de Lisbonne pourrait finir par menacer les traits essentiels de l’Europe libérale. Parmi eux, Vaklav Klaus, le président de la République tchèque, ami personnel de Milton Friedman et habitué des raouts organisés par la Société du Mont-Pèlerin, est en passe de devenir une idole. Dans un entretien récent accordé à Henri Lepage, un des derniers madelinistes français, il revendique l’étiquette d’« euroréaliste » libéral plutôt que celle d’« europhobe » nationaliste, hâtivement véhiculée dans la presse internationale. Et, le 20 février dernier, au Parlement européen, c’est le même qui ose expliquer que « tous les acquis positifs obtenus en Europe durant les cinquante dernières années » seraient aujourd’hui mis en péril par des « tentatives visant à accélérer, à approfondir l’intégration et à transférer davantage de décisions touchant aux conditions de vie des citoyens des Etats membres ». « Il faut dire sincèrement que le système actuel de l’Union est celui du marché opprimé et du renforcement continu de la gestion centrale de l’économie », ne craint-il pas d’avancer.

En France, dans leur « Nouvelle Lettre » hebdomadaire, la poignée de forcenés libéraux que compte encore l’Association pour la liberté économique et le progrès social (ALEPS) dissèque, le 2 mai, la campagne électorale pour les européennes. Abhorrant le slogan, pour le moins opportuniste, de l’UMP - « L’Europe qui protège » - ou moquant Philippe de Villiers qui prétend renouer avec le « protectionnisme » du traité de Rome - « ce qui est une interprétation du traité plutôt discutable », notent-ils avec délectation -, ceux qui considèrent qu’aujourd’hui la France est « en réalité victime du socialisme extrême » déplorent de ne rien entendre sur l’Europe libérale à droite. « Tous jouent sur la fibre protectionniste, souverainiste, sur l’harmonisation obligatoire, l’uniformisation fiscale ou sociale : ils n’ont donc rien compris à ce qui fait l’essence de l’Europe, sa diversité, ses libertés. Si l’Europe est malade, ce n’est pas de son économie, c’est de l’Etat, de Bruxelles, de sa bureaucratie, de sa volonté d’uniformiser. Si on veut sauver l’Europe, il faut qu’elle assume son rôle prioritaire de défenseur des libertés, pour rester une zone de libre-échange, abandonnant ses politiques communes. »

L'Humanité - 25.05.09

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