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28/05/2009

Pôle emploi. Maltraités des deuxcôtés du guichet

Chômage . La crise et les dysfonctionnements d’une fusion menée à la hussarde provoquent la montée de tensions dans les agences Pôle emploi.

Le face-à-face entre chômeurs et agents de l’ANPE ou des Assedic n’a jamais été tout rose. Mais depuis quelques mois, le climat se dégrade à grande vitesse aux guichets du service public de l’emploi, fusionné et rebaptisé Pôle emploi le 1er janvier dernier. Pour le seul premier trimestre 2009, la direction a fini par communiquer aux syndicats un premier recensement, non exhaustif, des incidents : en trois mois, il y aurait eu sur tout le territoire 1 125 agressions verbales, 41 agressions physiques et 175 dégradations matérielles. « La comparaison est difficile avec les années d’avant la fusion car nous n’avions des chiffres nationaux que côté ANPE, mais il est certain que les incidents augmentent de façon exponentielle », commente Philippe Sabater, du SNU-Pôle emploi (ex-ANPE). Même sentiment à la CGT : « Certaines régions refusent de donner leurs chiffres, ce total est donc édulcoré, mais les agressions sont très largement en augmentation », appuie Liliane Charbonnier, qui siège au Comité national d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CNHSCT). Début mars, le suicide d’un agent sur son lieu de travail, à Saint-Quentin dans l’Aisne, est venu confirmer le climat délétère régnant à Pôle emploi.

Altercations dans les agences

À l’origine des tensions se croisent et s’additionnent deux facteurs. La crise amène en moyenne 3 000 nouveaux inscrits par jour au chômage, un afflux brutal forcément déstabilisant pour Pôle emploi. Mais dans ce contexte tendu, la fusion lancée au pire moment perturbe encore plus le fonctionnement du service et ébranle le professionnalisme des agents, qu’ils soient ex-Assedic ou ex-ANPE. Le tout provoque, des deux côtés du guichet, un ras-le-bol énorme. « Avec des milliers de chômeurs en plus chaque mois, les agents de Pôle emploi sont en infériorité numérique », témoigne Jean-Luc, qui tient à Lille les permanences d’Agir contre le chômage (AC !), et déplore des retards et des « bourdes » dans le traitement des dossiers. « On assiste souvent à des altercations dans les agences. Les gens s’en prennent aux salariés de Pôle emploi qui ne savent pas leur répondre. On dirait que le gouvernement met en place une politique pour dresser les gens les uns contre les autres. » « Il n’y a que des victimes dans cette histoire », renchérit Jean-Jacques Mignana, de la CGT ex-ANPE à Montpellier. « Les agents se prennent en pleine poire les vagues de licenciements, ils subissent une intensification jamais vue du rythme de travail. Au prix d’une grande fatigue, ils font leur maximum pour que les chômeurs ne soient pas lésés sur leurs allocations. Mais l’accompagnement de la recherche d’emploi devient une mascarade. » Christian Charpy, directeur général de Pôle emploi, affirme que la moyenne est à 92 chômeurs par agent Pôle emploi. Mais, sur le terrain, la réalité est souvent proche, voire au-delà de 200. Dans ces conditions, le « conseil » devient abattage. « Les entretiens durent dix minutes, quand ils ne sont pas remplacés par de simples contacts téléphoniques », raconte Jean-Jacques Mignana.

Stressés et débordés, les agents font les frais d’une fusion menée, selon l’expression des syndicats, « à marche forcée », et à leurs dépens.

« Rien à leur proposer »

À Lille, Fabienne Terzan, militante au SNU et trente-sept ans de carrière comme conseillère à l’emploi, pointe les dégâts de la campagne médiatique du gouvernement. « Avec son battage sur la fusion, l’opinion publique est maintenant persuadée qu’on est compétent sur les deux champs, l’indemnisation et la recherche d’emploi. Le chômeur arrive, il pense qu’il peut poser toutes les questions mais, en face, les agents ne savent pas répondre parce qu’ils n’ont pas été formés. La tension monte. Et les agents culpabilisent de ne pas être à la hauteur. » Le problème devient ultrasensible s’il s’agit de l’indemnisation. « Après un licenciement, la première chose qu’une personne veut savoir, c’est combien elle va toucher pour vivre, souligne Paul-André Delannoy, également du SNU à Lille. Si elle tombe sur un agent ex-ANPE qui ne sait pas lui répondre, elle a du mal à garder son calme ! » Le climat est d’autant plus tendu qu’en termes d’offres d’emploi, Pôle emploi est à sec. « Le volume a baissé de 30 % par rapport à l’an dernier, rapporte Fabienne Terzan. On convoque les gens pour leur dire qu’on n’a rien à leur proposer. Ça participe à l’agressivité. »

Autre source d’exaspération, la barrière de plus en plus haute qui se dresse entre les chômeurs et le service public. Depuis plusieurs années, la plupart des sites ANPE et Assedic ont supprimé le « service immédiat », qui permettait de recevoir les usagers qui se présentent spontanément pour régler un problème. Aujourd’hui, un chômeur qui arrive en agence est orienté à l’accueil vers une borne téléphonique, d’où il compose le 3949, pour prendre rendez-vous… Dans des délais qui s’allongent du fait de la crise. « On marche sur la tête, déplore Jean-Jacques Mignana. Imaginez la personne qui vient pour un problème de radiation… Le ton monte immédiatement. » Sans compter que comme tous les services du genre, le 3949 est souvent saturé. « J’ai attendu jusqu’à vingt-cinq minutes pour avoir quelqu’un », témoigne Jacqueline Balsan, de la Maison des chômeurs à Montpellier. Parfois, l’appel n’aboutit pas.

L'Humanité - 28.05.09

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