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28/05/2009

En (re)passant par la Lorraine

Mehdi Fikri

Que reste-t-il des grandes mobilisations de 1979 dans le bassin de Longwy ? L’exposition photographique « Retour en Lorraine » du Bar Floréal est l’occasion d’un voyage dans le temps.

Les anciens sont arrivés les premiers. Une troupe d’ex-sidérurgistes, qui s’interpellent, se donnent l’accolade, échangent des vannes. Le 30 avril à Mont-Saint-Martin (Moselle), le vernissage de l’exposition « Retour en Lorraine » avait des allures de réunion d’anciens combattants, rescapés d’une grande guerre sociale. Leur conflit à eux a commencé en 1978 quand 21 750 licenciements, frappant particulièrement les cités de Longwy et Denain, ont été annoncés dans le cadre du « plan de sauvetage de la sidérurgie ». Une exposition qui replie le temps sur elle-même, qui met en vis-à-vis la Lorraine de 1979 et de 2008, c’est pour ces ouvriers l’occasion rêvée de se raconter, de montrer à leurs petits-enfants, aux visiteurs étrangers, ce qu’il reste d’une lutte qui a marqué le territoire.

Les séquestrations ? C’était pire à l’époque !

Marcel Tibéri, soixante-treize ans, s’arrête face à la photo d’un bâtiment cubique : « C’est là qu’on a bloqué le comité d’établissement d’Usinor et qu’on a empêché la délibération, au moment de l’annonce des suppressions d’emploi », raconte-t-il avec un sourire. Marcel poursuit, plus amer : « Maintenant ces bureaux vont être retapés pour faire des apparts, avec vue sur le golf qu’ils ont construit à la place des hauts-fourneaux. » Les luttes d’aujourd’hui, Marcel Tibéri les suit dans les journaux. Ces anciens collègues aussi, d’ailleurs. Et les séquestrations, les comités d’entreprises pris d’assaut, ça ne les émeut pas du tout.

« Nous, on a attaqué plusieurs fois le commissariat de Longwy au moment où il tentait de fermer la radio de la CGT, Lorraine Cœur d’acier ! », lance Jean-Pierre Maïa , soixante-trois ans, ancien ouvrier chez Usinor. Y en a même qui ont tenté d’enfoncer la porte du commissariat au bulldozer ! Alors les actions d’aujourd’hui, je vois pas pourquoi on en fait tout un plat. C’est normal quand les gens n’ont rien à perdre. » Jean-Claude Dehlinger se rappelle, lui, des « opérations pastilles ». « On faisait des petits trous ronds dans les tuyaux qui convoyaient le gaz naturel, qui commençait à remplacer le gaz de cokerie. C’était du sabotage quoi », explique-t-il avec le sourire malicieux du gosse fier de son coup.

Sur les murs, ces éclats de mémoire ont parfois un aspect infernal. De la fumée, des cendres, des visages encrassés. « Ce sont des gens qui sont morts ? », s’inquiète même un petit garçon. Toute cette noirceur contraste avec la luminosité de certaines photos, représentant souvent des jeunes gens, prises en 2008 par les photographes du Bar Floréal. Amélie a vingt-cinq ans. Elle est tout en vert, du manteau au fard à paupières, et elle bosse dans l’hôtellerie.

« Je suis né ici, ces photos, c’est que des endroits que je connais », dit-elle. C’est dingue tout ce qu’il y avait comme pollution, à l’époque. Quand ma mère voyait le nuage de fumée descendre sur Longwy, elle savait que c’était le moment d’aller travailler. » Aldo Cavion, soixante-seize ans, travaillait à l’entretien de l’usine d’Herserange, il montre la photo d’un dôme gris, qui sort de la brume. En dessous, une inscription : « Le crassier, c’était le point de repère. L’aciérie enfumait tout le monde. Les toits n’étaient plus rouges, ils étaient blancs. Aujourd’hui, plus de pollution, mais plus de travail non plus. »

« Je suis pas nostalgique de cette époque »

Aldo a vécu une longue période creuse à la fin du conflit : « De 50 à 55 ans, j’ai été en dispense d’activités. De 55 à 60 ans, j’ai été en cessation d’activités. De 60 à 65 ans, j’ai été en garantie de ressources, payés par les Assedic. » Pour beaucoup d’autres, la préretraite, même arrachée de haute lutte, c’est un sale souvenir. Amar Boudine, 62 ans, Christian Prahy, 58 ans et Jamy Duval, 66 ans, n’en démordent pas : « Quand tout le monde s’est retrouvé en préretraite dans les années 1980, il y a eu beaucoup de divorces et de suicides. Des gens pleuraient, ils ne voulaient pas arrêter de travailler. L’usine avait même organisé une cellule de soutien psychologique. Les mecs, ils pétaient un câble, ils se retrouvaient entre eux, sur la place de Longwy Haut, pour parler de l’usine. » Tous les trois s’estiment « marqués par la sidérurgie ». « Mais 1979, c’est le début de la fin, estime Christian Prahy. On ne s’est pas battu pour rien : on a gagné dix ans. Mais à présent, à Gandrange comme à Florange, partout le long de la frontière, tout ferme peu à peu. » Amar Boudine : « Nos enfants ont dû se démerder. Heureusement qu’il y a le Luxembourg. »

Fernand Tibéri, le frère de Marcel, ancien délégué CGT d’Usinor, licencié en 2000, refuse de mythifier cette époque : « Si 1979 a eu lieu, c’est qu’avant il y a eu avant les mobilisations de 1963, de 1967, toute une série d’événements qui ont préparé le terrain. Il y a eu aussi le référendum que le PCF a mené dans les communes où la sidérurgie était implantée. On a réussi à ancrer dans la tête des gens qu’il fallait défendre cette industrie. » Mais l’ancien responsable de la section communiste de l’Usinor, âgé de 63 ans, refuse de vivre dans le passé. « Je suis pas nostalgique de cette époque. Il faut savoir tourner les pages et se demander « qu’est-ce qu’on fait derrière ? ». Il faut se battre pour la réindustrialisation, pour l’avenir. » L’avenir n’a pas l’air de trop inquiéter Anthony Soulignac, 14 ans. Mais ce qui semble le fasciner dans ce glorieux passé, c’est ces photos de foules en marche, « qui font comme une grande famille ». Il glisse à sa grand-mère : « Vous avez dû bien rigoler quand même ! »

Un peu de tristesse, pas mal d’allégresse, mais partout, sur les clichés de 1979 comme de 2008, une certaine tension. L’âme de la région peut-être. Certaines photos s’en font l’écho. Des exemples ? Une vieille photo noir et blanc d’une rue dépavée fait face à une photo récente. Dessus, une ado encapuchée, visage fermé, qui attend dans une rue désertée. Plus loin, deux petits Maghrébins, planqués derrière un muret, semblent guetter les ouvriers de 1979 qui posent sur le cliché d’à côté.

Mehdi Fikri

Le retour en Lorraine du bar Floréal

La photographie, trente ans après, telle la trame d’un roman épique ne serait qu’une fabrique à souvenirs si elle ne concernait le démantèlement de tout un pan de l’industrie lourde française, socle ancestral de l’économie, rayant de la carte des symboles des forteresses comme Usinor / Sacilor, jetant vingt mille ouvriers lorrains sur le marché du travail avec la seule promesse d’avenir de jouer aux Schtroumpfs dans un parc d’attraction ou d’animer l’indispensable écomusée de la sidérurgie. Cet avenir dérisoire en dit long sur le scandale. La Lorraine, ce bassin de vies, héritières glorieuses et aristocratiques d’une histoire ouvrière forte et emblématique. André Lejarre et Alex Jordan, membres fondateurs du bar Floréal y avaient fait leurs premières armes, figurant leur engagement social déjà fort et tissant là les prémices d’une oeuvre « concernée »* qui se poursuit aujourd’hui dans le partage avec une dizaine d’autres photographes. Leurs travaux, ancrés dans une double tradition, celle de l’indignation citoyenne d’abord et celle des photographes qui en décousent avec la réalité de notre monde, qui documentent le paysage social… « depuis trente ans donc ». Au noir et blanc aussi radical qu’engagé de l’époque, la couleur ou le panoramique tout comme le moyen format qui se substitue au Leica ou encore le moyen de l’installation signifient l’ancrage contemporain de ces photographes qui réfutent tout romantisme de l’avant/après : celui de l’esthétique de l’herbe folle et du désenchantement. Ils sont dix à dresser une carte du paysage humain de la Lorraine, gageons que ce nouveau travail, dans la perspective originale de leur engagement respectif, délivre à nouveau cette observation attentive de cette région de l’acier. - Dominique Gaessler

L'Humanité - 28.0809

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