La visite au Sri Lanka la semaine dernière du secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-Moon, a clairement mis en relief l'intense rivalité internationale qui s'exerce depuis la fin de la longue guerre civile qui a sévi sur l'île.
Reflétant la position des puissances américaine et européenne, Ban a appelé à une ouverture de l'accès aux centres de détention dans lesquels l'armée sri lankaise a parqué 265 000 réfugiés tamouls. Il a aussi appelé le gouvernement de Colombo à « panser les blessures » du conflit long de 26 ans en apportant une réponse aux doléances de la minorité tamoule.
L'Union européenne (UE) a fait augmenter d'un cran la pression sur Colombo la semaine dernière en appelant à une enquête sur les crimes de guerre concernant le massacre de civils tamouls. La secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton a appelé le président sri lankais Mahinda Rajapakse jeudi dernier pour demander que les agences des Nations unies aient accès aux camps d'internement et pour appeler à la réconciliation avec la minorité tamoule.
Il ne fait pas de doute que Rajapakse et son gouvernement ont perpétré des crimes de guerre. Les Nations unies estiment à 7000 le nombre de civils ayant perdu la vie dans la zone de guerre depuis janvier où l'armée sri lankaise a encerclé de plus près la zone réduite tenue par le LTTE (Tigres de libération de l'Eelam tamoul) séparatiste. Des reportages filmés faits par des journalistes accompagnant Ban qui survolait la région montrent des scènes de dévastation, des bâtiments démolis, des véhicules brûlés et des cratères produits par des bombes.
Mais ces inquiétudes de la part des Etats-Unis et de l'Europe n'ont rien à voir avec des sentiments de compassion pour les victimes de la guerre. Depuis ces trois dernières années, ces mêmes puissances soutiennent la reprise de la guerre par Rajapakse et gardent un silence calculé sur les ruptures du cessez-le-feu de 2002 par l'armée, ses bombardements sur les cibles civiles et ses violations des droits démocratiques, parmi lesquels les exactions d'escadrons de la mort, pro-gouvernementaux.
Conduits par la Grande-Bretagne et la France, 17 membres du Conseil des droits de l'Homme des Nations unies ont exigé que se tienne cette semaine une session extraordinaire concernant le Sri Lanka. Ces mêmes membres n'appelleront bien sûr pas à une session extraordinaire pour débattre des crimes de guerre perpétrés par les Etats-Unis en Irak ou en Afghanistan où les puissances européennes sont aussi soit directement responsables, soit complices du massacre de civils et de violations flagrantes des droits démocratiques.
Les puissances américaine et européennes sont tout simplement en train d'exploiter la menace d'une enquête pour crimes de guerre et la menace de bloquer un prêt du FMI absolument nécessaire, comme leviers pour étayer leur influence politique sur le régime de Rajapakse. La plus grande inquiétude est que des puissances rivales, principalement la Chine, utilisent la guerre pour accroître leur influence sur Colombo. Les analystes occidentaux ont fait remarquer avec amertume que Rajapakse avait pu faire un pied de nez aux appels à un cessez-le-feu des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, car il était sûr d'avoir le soutien de la Chine.
Ainsi, une analyse intitulée « Le Sri Lanka esquisse un pas vers l'Est » dans le Sydney Morning Herald du week-end se demandait comment Rajapakse était en mesure d'ignorer la pression exercée par l'Occident. « Entrent en scène le dragon et une série d'autres nouveaux amis », explique le journal, « l'aide chinoise s'est élevé l'année dernière à un milliard de dollars, principalement pour de grands projets bien visibles tels une autoroute, deux centrales thermiques et un nouveau port de marchandises à Hambantota au sud de l'île, qui se trouve être la ville de résidence de Rajapakse. »
La Chine est un grand fournisseur d'armes à l'armée sri lankaise, et serait allée jusqu'à fournir gratuitement six chasseurs bombardiers. En contrepartie, Beijing aura accès au port de Hambantota, participant de sa stratégie de se garantir des voies commerciales essentielles vers le Moyen-Orient et l'Afrique, ainsi que des droits d'exploitation du pétrole dans la mer au large de la côte nord-ouest de l'île. Une délégation chinoise d'industriels est venue au Sri Lanka la semaine dernière pour débattre d'une « zone réservée » sur l'île pour les investisseurs.
Le Sydney Morning Herald fait remarquer que « Le Sri Lanka est le bienvenu dans les tyrannies des pays eurasiens, la Shanghai Cooperation Organisation (SCO) qui jusqu'ici comprend la Russie, la Chine et les pays d'Asie centrale se terminant par « stan ». » Selon le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, cette année le Sri Lanka et la Biélorussie deviendront les premiers à entamer le dialogue avec la SCO.
Dans la sphère politique, le soutien de la Chine a été tout particulièrement utile. Beijing et Moscou ont à plusieurs reprises bloqué la discussion ou toute motion contraignante au Conseil de sécurité des Nations unies, concernant le Sri Lanka. En réponse à la mise en place d'une session extraordinaire au Conseil des droits de l'Homme des Nations unies, 12 pays conduits par la Chine et la Russie ont proposé une contre résolution félicitant Colombo d'avoir gagné la guerre contre « un groupe terroriste » et appelant à des fonds internationaux pour le Sri Lanka.
Il est significatif que l'Inde qui soutenait le cessez-le-feu afin de faire taire la colère des Tamouls du sud de l'Inde a aussi apposé son nom au bas de la contre-résolution. Inquiète de toute évidence de l'influence grandissante à Colombo de la Chine rivale, New Delhi essaie de regagner sa position dans un pays qu'elle a longtemps considéré comme faisant partie de sa sphère d'influence.
A Colombo, le gouvernement Rajapakse est tout à fait conscient que le soutien de la Chine a été essentiel. Au début du mois, le ministère de la Défense dirigé par le frère de Rajapakse, Gotabhaya a publié une déclaration dénonçant « l'hypocrisie et l'attitude moralisatrice des puissances occidentales » à l'égard du Sri Lanka. Sans nommer les cibles de sa critique, cette déclaration disait que Colombo était « reconnaissante pour le soutien entier » d'autres pays, dont la Chine et la Russie.
La semaine dernière, le président Rajapakse, son frère Gotabhaya et le commandant de l'armée sri lankaise ont couvert d'éloges la Chine dans leurs discours et déclarations de victoire. L'allié du gouvernement, Athuraliye Rathana, moine bouddhiste et dirigeant du parti Jathika Hela Urumaya (JHU) s'en est pris ouvertement aux Etats-Unis et à la Grande-Bretagne pour avoir essayé de « sauver les terroristes », ajoutant que « nos vrais amis sont la Chine et la Russie ».
Dans un éditorial la semaine dernière, le journal de droite Island déclarait triomphalement : « La victoire du petit Lanka ne vient pas en seconde position des rares hauts faits, quasiment impossibles, de l'humanité tels que marcher sur la Lune. Cette guerre avait tout du combat de David contre Goliath, le Sri Lanka contre les puissances occidentales... Même les Nations unies ont traité la guerre du Sri Lanka comme si le LTTE était un Etat membre ! C'est un miracle que le Sri Lanka ait réussi à écraser le terrorisme. »
La guerre au Sri Lanka n'était pas une guerre contre le terrorisme, mais un conflit communautariste sanglant provoqué par des décennies de discrimination officielle contre les Tamouls. Et la victoire n'était pas non plus un miracle. L'armée sri lankaise, soutenue par toutes les puissances, grandes et petites, a surpassé en nombre et en armes le LTTE et poursuivi cette guerre d'usure au mépris total de la vie des civils.
Suite au massacre du reste des combattants du LTTE la semaine dernière, le Sri Lanka est devenu le centre d'une bataille d'un genre différent. Le schisme déclaré au Conseil des droits de l'Homme des Nations unies donne une idée des divisions qui s'aggravent entre les principales puissances, soulevant le danger de conflits internationaux plus larges tandis que chacun lutte pour obtenir des avantages économiques et stratégiques sur ses concurrents aux quatre coins du monde.
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