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29/05/2009

La Peste publicitaire

Alain Accardo

La publicité, propagande de la marchandise, est devenue progressivement la principale instance éducative chargée de façonner le nouveau type d’humain que réclamait le productivisme capitaliste: le consommateur, individu soumis au despotisme insatiable de ses envies du moment et dont l’essence sociale tend à se réduire à son pouvoir d’achat.

Que la peste publicitaire, dont la pandémie affecte désormais toute la planète, ait atteint aussi l’Ecole, voilà qui ne peut guère surprendre.

Car c’est bien d’un fléau qu’il s’agit, et le terme de peste utilisé ici ne doit pas être entendu comme une simple métaphore. La publicité est effectivement, comme la peste, la lèpre ou le sida, une saloperie, une infection de l’organisme (social en l’occurrence) extrêmement virulente, contagieuse et meurtrière. Elle peut certes avoir des effets physiques, ne serait-ce qu’indirectement, comme c’est le cas par exemple avec les maladies provoquées par l’alcool et le tabac, ou l’obésité des jeunes entraînée par l’abus des sucres et des graisses de la «fast-food», ou la traumatologie lourde liée aux accidents de la pratique sportive, etc. Mais les effets spécifiques de la publicité sont symboliques, c’est-à-dire qu’ils concernent le psychisme humain, le façonnement des structures intellectuelles et affectives de personnalité, l’aptitude des individus à percevoir le réel et à lui donner sens.

La publicité est fille de l’économie capitaliste. C’est une arme forgée dans la concurrence impitoyable des entreprises, et qui n’a jamais eu d’autre finalité que de maximiser ou optimiser la part de profit prélevée sur un marché donné. A l’origine elle était censée diriger les besoins solvables existants vers une offre ponctuelle appropriée. Avec le développement du capitalisme occidental, la constitution d’empires industriels et financiers, et l’emballement de la mécanique productiviste, la concurrence s’est exacerbée, à la mesure de la difficulté pour les entreprises d’accroître ou maintenir leur part de profits. Cette dynamique implacable a entraîné bien sûr une rationalisation de l’exploitation du travail salarié devenu principale variable d’ajustement, une course démentielle à l’innovation et corollairement un déferlement publicitaire – y compris la publicité pour le crédit – qui n’avait plus pour objet d’aiguiller les besoins réels vers les produits et services correspondants, mais de faire surgir et d’attiser de nouveaux besoins répondant à une offre préexistante et démultipliée. Peut-on d’ailleurs parler de besoins, là où en vérité il ne s’agit plus que de susciter et manipuler des désirs aussi irrationnels qu’impérieux, quitte à enfoncer l’acheteur dans un irrémédiable surendettement.

C’est ainsi que la publicité, propagande de la marchandise, est devenue progressivement la principale instance éducative chargée de façonner le nouveau type d’humain que réclamait le productivisme capitaliste: le consommateur, individu soumis au despotisme insatiable de ses envies du moment et dont l’essence sociale tend à se réduire à son pouvoir d’achat. L’évolution du capitalisme a abaissé d’un degré encore, par le biais de la publicité, le niveau de formation de la masse de la population. Jusque-là ce niveau était celui du travailleur manuel ou intellectuel, dont l’école républicaine, prétendument libératrice, se chargeait de faire un semi-robot bien formaté que son appartenance à l’entreprise réduisait à sa force de travail. On était déjà en cela très éloigné du modèle humain défini par les Lumières, celui d’un individu citoyen, fondant sur sa capacité de réflexion, sur le libre usage de sa raison, l’exercice de droits et de devoirs à la fois personnels et universels. Grâce à la technologie publicitaire, le système capitaliste a fait accomplir à l’ensemble des populations un pas de plus dans l’aliénation. Les entreprises tendaient à transformer en ilotes disciplinés les travailleurs qui franchissaient leur seuil. La publicité tend désormais à transformer les hommes et les femmes en somnambules hallucinés, perpétuellement en proie au mirage consumériste, qui voue le plus souvent leur existence aux fantasmes et à la frustration, parfois jusqu’à la névrose et aux anti-dépresseurs.

Pas seulement d’ailleurs les hommes et les femmes adultes, mais aussi les enfants, de plus en plus jeunes, que la publicité s’en va maintenant chercher là où ils se trouvent, c’est-à-dire à l’école, de la maternelle au supérieur.

Une fois de plus l’Ecole n’a rien vu venir. Accaparée par les impératifs de sa mission institutionnelle, obsédée de pédagogisme, sous couvert de démocratiser l’accès du peuple à un savoir censé le «délivrer de ses chaînes», elle n’a pas su ni voulu voir que son travail avait pour résultat objectif massif de légitimer par la distribution du capital culturel la soumission de ce peuple à des «élites» déjà favorisées par la distribution du capital économique. Le même aveuglement idéologique qui avait empêché l’Ecole du début du XXème siècle de comprendre quelle part irremplaçable elle prenait au contrôle social des masses laborieuses par le pouvoir du Capital, a empêché l’Ecole de la fin du siècle de déceler sous quel travestissement symbolique le loup, c’est-à-dire «le nouvel esprit du capitalisme», était en train de pénétrer dans la bergerie. Quand les classes laborieuses étaient encore des «classes dangereuses», l’Ecole les endoctrinait en leur prêchant la bonne morale des familles. L’alibi idéologique était un discours de légitimation de nature éthique. Dans une société que l’évolution de l’économie capitaliste a «moyennisée», un alibi esthétique est venu se rajouter à l’arsenal de la légitimation du système. Ce n’est plus au nom du bien, du vrai, du juste et de l’utile, mais c’est au nom du beau, de l’agréable, du primat du sensible sur l’intelligible et du corporel sur le spirituel, du plaisir immédiat sur la satisfaction différée, que la publicité s’est insinuée dans tous les secteurs de la pratique sociale, y compris à l’école, où elle aurait dû en principe se heurter, plus qu’ailleurs, au barrage de l’intelligence. Mais à l’exception de minorités plus lucides et combatives, le corps enseignant dans son ensemble ne lui a guère opposé de résistance. On peut même dire que la publicité a rencontré chez les enseignants la même complaisance et la même complicité niaise que dans les autres fractions des classes moyennes.

Entendons-nous bien, le QI personnel de chaque individu n’a rien à voir avec le niveau d’imbécillité du groupe social auquel il appartient. Celui-ci relève d’une forme de cécité structurale, un effet d’écran automatiquement provoqué par le poids spécifique des intérêts de classe (ou de fraction) auxquels adhère spontanément tout agent du seul fait de son appartenance à tel ou tel groupe socialement situé. Ces intérêts objectifs inhérents à la condition et à la position de classe, sont capables, en l’absence de tout travail d’autosocioanalyse, de tout effort d’autoréflexivité, d’obnubiler l’entendement, même le plus intelligent, et de faire prendre littéralement des vessies pour des lanternes, par exemple la publicité pour de l’art, ou pour de l’information. Si le corps enseignant n’était pas essentiellement constitué d’agents appartenant aux classes moyennes, et par là même prédisposés à adhérer globalement aux normes et valeurs du style de vie cher à la petite-bourgeoisie, c’est-à-dire à cet art-de-vivre-avec-art dont les agences de publicité sont les ateliers, la peste publicitaire n’aurait peut-être pas pu contaminer aussi aisément l’Ecole.

On touche ici à un autre problème: celui du rapport compliqué, de connivence et de réticence à la fois, pour une part objectif et involontaire, pour une part conscient et intentionnel, que les classes moyennes n’ont cessé d’entretenir avec le système capitaliste qui les a engendrées, et auquel elles n’ont cessé d’apporter leur collaboration tout en le critiquant (...)

Agone - 29.05.09

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