Prêter ses salariés à une entreprise prospère quand on traverse une passe difficile et ainsi éviter des mesures de chômage, c'est l'objet du prêt de main-d'oeuvre débattu ce lundi à l'Assemblée nationale. Mais la solution est controversée du côté des syndicats.
Les députés examinent à partir de lundi une proposition de loi UMP, soutenue par le gouvernement, assouplissant les restrictions auquel est soumis depuis 1848 le prêt de main d'oeuvre entre entreprises. S'il est voté, il libéralisera le partage de salariés par un groupement d'employeurs, possibilité actuellement limitée aux PME se partageant par exemple un secrétariat ou un comptable.
Le prêt de main-d'oeuvre, qu'est-ce que c'est ?
Le prêt de main-d'oeuvre consiste à céder un salarié pendant une durée déterminée à une autre entreprise, sans qu'il y ait rupture du contrat de travail. Alors qu'une entreprise a un carnet commande qui se dégarnit, une autre, du même secteur, a du mal à faire face à la demande. En bonne intelligence, la première va prêter temporairement à la seconde ses salariés pour lui permettre d'accroître sa production. A la fin de cette période, les salariés « prêtés » réintégrent l'entreprise dans laquelle ils ont été embauchés.
Alors que les entreprises sont tentées de licencier en période de crise, la formule permet d'offrir une alternative au licenciement et au chômage partiel. L'avantage pour le salarié est que tous les avantages de son contrat de travail sont maintenus, à commencer par le salaire...
Pour l'entreprise prêteuse, l'intérêt est de réduire ses coûts sans avoir à se séparer définitivement des compétences qui lui seront nécessaires lors de la reprise. De son coté, l'entreprise emprunteuse, qui n'a pas forcément les moyens d'embaucher, peut faire face à un besoin temporaire de main-d'oeuvre avec un maximum de flexibilité..
Que prévoit la loi sur le prêt de main-d'oeuvre ?
Actuellement, le code du travail interdit qu'une entreprise, autre qu'une agence d'intérim, fournisse de la main-d'oeuvre à une autre dans un but lucratif.
Dans le cas du prêt de salariés, l'entreprise prêteuse doit donc justifier du fait qu'elle ne gagne pas un euro lors de ce transfert temporaire de collaborateur. Elle doit facturer au centime près les salaires et les charges, faute de quoi elle se rend coupable d'un « délit de marchandage », réprimé avec constance par la jurisprudence.
Afin de faciliter le recours à ce dispositif, le député UMP Jean-Frédéric Poisson a donc déposé une proposition de loi, débattue ce lundi à l'assemblée nationale, précisant la définition du prêt de main-d'oeuvre dans le but d' « encourager la mobilité professionnelle ». Concrètement, cette proposition tente d'assouplir la règle interdisant le délit de marchandage en affirmant qu'il n'y aura « pas de but lucratif quand l'entreprise prêteuse ne tire pas de bénéfices ». La notion d' « absence de bénéfices », volontairement « floue », selon les juristes interrogés, facilitera donc le recours au prêt de salariés.
Est-ce que ça fonctionne ?
Sur ce point, les avis sont extrêmement partagés. En pratique, les entreprises qui ont recouru à ce dispositif n'ont pas évité les licenciements. Et pour cause, les masses salariales engagées sont généralement faibles. Quant à d'éventuelles créations d'emplois, même l'auteur du projet de loi l'admet : « je ne sais pas si ça créera beaucoup d'emplois. (Mais) les entreprises qui n'osent pas y recourir par peur du risque juridique s'y mettront », déclarait récemment Jean-Frédéric Poisson.
Certains avocats spécialisés en droit du travail s'inquiètent pourtant de cette mobilité qui éloigne le salarié de ses collègues et de ses délégués syndicaux. « C'est la porte ouverte à la fragilisation des salariés », tempête ainsi Me Emmanuelle Boussard-Verracchi, dans les colonnes de Libération. C'est d'ailleurs pour cette raison que la CGT a refusé de signer un accord dans la métallurgie encourageant le prêt de main-d'oeuvre. Selon elle, il ne respecterait ni la volonté du salarié, ni l'obligation de négocier un accord avec les syndicats. Un avis largement partagé par la CFDT : "proposer le prêt de main-d'oeuvre entre entreprises en laissant les employeurs libres de l'organiser à leur guise est dangereux et inacceptable", écrivait récemment la confédération dans un communiqué. Pour elle, cela doit se faire via "un accord collectif".
Or pour l'heure, de nombreux points entourant ce dispositif n'ont effectivement pas encore été réglés. Propriété intellectuelle (brevets), votes aux élections professionnelles, responsabilité en cas d'accident du travail, ancienneté... sur tous ces sujets, la proposition de loi est muette. Pas sûr que cela favorise une plus grande protection des salariés.
Quelques entreprises pionnières
Rhodia compte prêter en 2009 des salariés au sein du groupe et en dehors. Parallèlement le groupe de chimie a annoncé la suppression de 130 emplois.
Le fabricant de matériaux en silicium Soitec, qui devrait prêter 50 salariés pour 18 mois au Commissariat à l'énergie atomique, a également annoncé un plan de départ volontaire pour 10% de son effectif (soit près de 90 personnes).
L'équipementier automobile Inoplast va prêter une centaine de salariés à une entreprise voisine, Iribus-Iveco. Aucun licenciement n'est prévu.
Le fabricant de puce électronique Freescale qui recourait au prêt de main d'oeuvre avant le début de la crise a annoncé la suppression de 800 emplois d'ici 2011
Par ailleurs, certaines entreprises ont largement favorisé la mobilité en interne. Chez Renault, PSA ou encore Daher, de nombreux salariés se sont vu proposer d'aller travailler sur d'autres sites.
L'Expansion - 25.05.09
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