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09/03/2011

Et si on faisait la révolution... des indicateurs de richesse !

Nolwenn Weiler 

Dans son nouveau documentaire Indices, le réalisateur Vincent Glenn s’attaque au sacro-saint Produit intérieur Brut (PIB), l’indicateur devenu LA référence d’évaluation de la richesse des nations. Et pour cause, cette mesure arbitraire et faussée de la croissance cache misère sociale et dégâts environnementaux, en se focalisant sur les biens produits, vendus et consommés. Face à ces limites, les sociétés entreprennent de trouver d’autres thermomètres. Enquête sur ces nouveaux indicateurs de richesse.
 © Photo : Coopérative Direction Humaine des Ressources


Il y a 60 ans que le Produit intérieur brut (PIB) fait la pluie et le beau temps sur nos économies et sur nos vies. Vincent Glenn, dans son nouveau documentaire Indices, en salle depuis le mercredi 2 mars, évoque l’obsession de nos sociétés pour cet indicateur de référence sur la richesses des nations ainsi que ses limites. Inventé dans les années 1930 aux États-Unis, le produit intérieur brut a débarqué en Europe avec les accords de Bretton Woods et le plan Marshall, pour financer la reconstruction de l’Europe après la Seconde guerre mondiale. Conçu pour mesurer l’activité du marché, le PIB est devenu l’indicateur phare de la performance de nos sociétés.
Les aberrations du PIB
Pour le calculer, on additionne tous les flux monétaires, sans tenir compte de l’origine de ces flux. C’est ainsi qu’un accident de la route, et toutes les activité « réparatrices » qu’il génère (frais d’assurance, frais de garage, etc.) augmenteront le PIB. Et la richesse du pays. Un parent qui fait le choix d’arrêter de travailler pour élever ses enfants prend par contre le risque de ne pas produire, et donc de diminuer le PIB ! Qui est parfaitement indifférent aux activités non lucratives (bénévolat, soins aux autres, activités politiques, etc), pourtant primordiales à la vie en société.
Nicolas Sarkozy a eu la brusque révélation de ces aberrations en janvier 2008, alors que la croissance qu’il promettait d’aller chercher « avec les dents », était en berne... Il institue alors une « commission sur la mesure de la performance économique et du progrès social ». Présidée par Joseph E. Stiglitz, et composée d’une majorité d’économistes, cette commission est chargée de questionner la pertinence du PIB et de faire des propositions pour combler ses lacunes.
La fin de l’idole PIB
« La contestation de la domination excessive du PIB et de la croissance, très claire dans le rapport de la commission, est pour moi l’avantage principal de ce travail entre experts », explique Jean Gadrey, économiste, membre de la commission Stiglitz et cofondateur du Forum pour d’autres indicateurs de richesse (Fair).
Constitué parallèlement à la commission Stiglitz, début 2008, le Fair réunit des économistes, sociologues, philosophes, militant associatifs. Il entend ramener la société civile au premier rang de la définition des indicateurs de richesses. « Il s’agit de définir ce qui compte pour la société. Ce sur quoi elle estime pouvoir être jugée. On ne peut raisonnablement pas laisser ces questions aux seuls économistes, souligne Florence Jany-Catrice, maître de conférence en économie à l’université de Lille I et actuelle coprésidente du Fair. Les indicateurs de richesse sont des outils politiques, qui doivent être discutés et choisis au terme de délibérations démocratiques. »
Une société civile en avance sur les financiers
L’indicateur régional de santé sociale (ISS) a été élaboré dans la région Nord-Pas-de-Calais selon cette méthode de démocratie vivante et partagée (lire également notre article sur le sujet). « On a demandé à des fonctionnaires territoriaux et à des responsables d’organisations de la société civile ce qui pour eux fait qu’une société est en bonne santé, explique Florence Jany-Catrice. Dans les groupes de réflexion, nous avons constaté qu’en prenant le temps de réfléchir, de débattre, et de dialoguer, les enjeux posés étaient acceptés, et compris comme étant très importants. »
Ce genre d’initiative, ancrée dans un territoire, de même que les nombreux débats/conférences organisées par le Fair montrent qu’en matière d’enrichissement du PIB, la société civile a plusieurs longueurs d’avance sur les institutions. « Elle est plus à même de faire le lien, nécessaire, entre les dimensions sociales et environnementales que les économistes et autres universitaires, qui ont tendance à s’enfermer dans leur discipline », poursuit Florence Jany-Catrice.
D’autres indicateurs plus pertinents
L’ISS postule six conditions de « santé sociale », dont l’accès équitable au marché du travail et la présence de liens interindividuels et sociaux solides. Ces conditions sont notées de 0 à 100. L’ISS démontre une absence de corrélation entre niveaux de « santé sociale » et hauteur du PIB. L’Île-de-France, première en PIB par habitant, n’est ainsi que 17ème selon l’ISS. Et la Bretagne, 11ème en PIB par habitant, est 2ème selon l’ISS !
L’apparition de l’Indice de développement humain (IDH), dans les années 1990, avait commencé à mettre en lumière cette évidence : la croissance ne fait pas nécessairement le bonheur. Mis au point au sein du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), sous l’impulsion de Mahbub ul Haq et Amartya Sen, deux économistes pakistanais et indien, l’IDH entreprend de mesurer le bien-être des sociétés en tenant compte du niveau de vie, du taux de scolarisation et de l’espérance de vie à la naissance. Il est compris entre 0 (exécrable) et 1 (excellent).
Comment décrire la société avec justesse ?
C’est à la même époque qu’a émergé le concept d’empreinte écologique, peu après le Sommet de la Terre de Rio, qui s’est tenu en 1992. Exprimée en « hectares globaux », l’empreinte écologique est une estimation de la superficie de la Terre nécessaire à chacun pour assurer son mode de vie. Elle transforme ainsi les besoins de l’humanité en « biocapacité disponible ». Elle souligne l’insoutenabilité des modes de vie occidentaux, qui, étendus au reste du monde, nécessiteraient plusieurs planètes. En choisissant une unité de mesure physique, l’empreinte écologique rompt avec la logique purement monétaire et distille une façon radicalement nouvelle de regarder le monde, nos modes de vie et le développement.
L’Indice de progrès véritable, l’Indice de bien-être économique durable, le Bip 40, sont autant d’initiatives visant à décrire le plus précisément possible l’état de nos sociétés. Pour mettre au jour ses inégalités et déséquilibres, et se doter de politiques solides capables d’y suppléer. Cette multiplicité semble essentielle, pour mettre fin au rôle fétiche du PIB. Selon Jean Gadrey, « il faudrait un nombre limité d’indicateurs, disons entre 5 et 10, mais ayant une forte légitimité. Certains seraient centraux et d’autres plus secondaires. On aurait alors un tableau de bord fiable et compréhensible. »
Des illusions vertes
Actuellement, pour tenter de ne pas couler, nos dirigeants sont plutôt décidés à s’accrocher aux vieilles valeurs du capitalisme, que sont la croissance (du PIB), et l’argent. L’alternative qui consiste à « internaliser les externalités », c’est à dire inclure dans le prix d’un produit tous les coûts induits (épuisement des ressources, pollution, traitement des déchets...) « ne remet en pas en cause le modèle de développement capitaliste, n’a pas d’effet à long terme et aggrave les inégalités  », note Élise Lowy, chercheuse en sociologie, à l’université de Caen et auteure de travaux portant sur les indicateurs de qualité de la vie. Incarné par le principe pollueur-payeur, cette alternative permet en effet aux plus riches de s’en sortir les mains propres ! « C’est la logique du "productivisme durable version libérale" », ajoute Elise Lowy. Il existe aussi cette délicieuse idée de croissance verte. Qui promet que la technologie va permettre de résoudre les problèmes environnementaux sans modifier (ou si peu) nos modes de vie.
Nicolas Sarkozy avait bien promis, lors de la remise du rapport de la commission Stiglitz, en septembre 2009, qu’il y aurait « un avant et un après ce rapport ». Et qu’il fallait changer radicalement nos modes de vie et de production. Dans un élan de générosité (ou de délire), il avait même qualifié la réflexion engagée par la commission de « formidable révolution ». Mais « honnêtement, il n’y a pas eu beaucoup d’après », relève Jean Gadrey. « Si ce n’est des prises en compte de quelques-unes de nos recommandations dans la réalisation des travaux de l’Insee. Globalement, l’addiction de la recherche de la croissance à tout prix reste très forte. » En témoigne le dernier G20, qui a eu lieu à Paris au mois de février. Réfléchissant à la bonne manière de définir les déséquilibres de leurs pays, les dirigeants ont parlé taux de change, balance courante et déficit de dette. Pour la révolution, il faudra repasser.


http://www.bastamag.net/article1452.html

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