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09/03/2011

Sondage Le Pen : fabriquer l’opinion pour ne pas parler de politique !

Un sondage a sondé ! Normal puisque c’est sa fonction. Il a sondé « une » opinion. Celle d’un échantillon (estimé par les sondeurs), représentatif des électeurs français qui voteront l’année prochaine lors de l’élection présidentielle. Il s’agissait de connaître leur préférence : pour quel candidat voteraient-ils lors du premier tour ? On conviendra que le conditionnel est de mise compte tenu que personne ne peut savoir si les noms proposés aux choix des sondés seront effectivement des candidats en mesure de se présenter le moment venu. Mais peu probable cependant que la question posée par les sondeurs l’ait été au conditionnel… Question d’efficacité sondagière qui ne peut commercer avec le doute, cette pourtant si humaine singularité. Les résultats bruts aux réponses des sondés ont été « redressés ». Terme technique qui désigne l’application de coefficients correcteurs aux réponses selon une méthode qui demeure un secret de fabrication que chaque Institut préserve compte tenu de l’environnement hautement concurrentiel dans lequel s’exerce cette activité : autrement dit, c’est un peu mystère et boule de gomme, la façon dont sont finalement produits ces résultats… Mais un « mystère et boule de gomme » lissé par la scientificité apparente d’algorithmes complexes que moulinent de puissants programmes informatiques. Un résultat a donc été proclamé : la candidate du Front national arriverait en tête au premier tour ! Un résultat provoquant stupeur et émoi, un résultat ravivant le souvenir du syndrome du 21 avril et emballant la machine à commentaires. La plupart d’entre eux pour argumenter des calculs électoraux qui crèvent l’écran. Très peu pour s’interroger au fond sur la place donnée aux sondages eux-mêmes dans la discussion politique, ce bruit de fond qui paraît avoir pris la place de la politique elle-même.
 
Refusons un instant la discussion telle qu’elle se propage, esquissons l’espace d’un instant un petit pas de côté et interrogeons-nous sur ce qu’est un sondage d’opinion. Une technique écrivait Pierre Bourdieu qui fabrique « une » opinion à partir de méthodes qui ne sont pas infaillibles et qui peuvent être contestées sur le fondement même de la science, ou du bon sens, dans certains cas. Il argumentait ce point de vue (in « Questions de sociologie ») en précisant que leur « fonction la plus importante consiste peut-être à imposer l’illusion qu’il existe une opinion publique comme sommation purement additive d’opinions individuelles. En faisant comme si (en induisant l’illusion d’une certaine façon) que la compétence politique serait universellement répandue. Alors que précise Bourdieu, elle varie grosse modo comme le niveau d’instruction. Autrement dit, que la probabilité d’avoir une opinion sur toutes les questions supposant un savoir politique est assez comparable à la probabilité d’aller au musée. On observe donc des écarts fantastiques et par exemple, mentionne-t-il, là où tel étudiant engagé dans un mouvement gauchiste perçoit quinze divisions à gauche du PSU, pour un cadre moyen il n’y a rien. Autrement dit, dans l’échelle politique (extrême-gauche, gauche, centre-gauche, centre, centre-droit, droite, extrême-droite, etc.) que les enquêtes de « science politique » emploient comme allant de soi, certaines catégories sociales utilisent intensément un petit coin de l’extrême-gauche (ou de l’extrême-droite) ; d’autres utilisent uniquement le centre, d’autres utilisent toute l’échelle, etc. Ce qui relativise d’autant la portée réelle de ces sondages quant à la connaissance de l’opinion.
 
Patrick Champagne, rappelait quant à lui (dès 1995), que les instituts de sondages, dont l’activité première (et aussi de loin la plus importante), est et reste le marketing économique. Et que ces Instituts ont en fait transposé subrepticement leurs méthodes à la politique, faisant de « l’homo politicus » un consommateur d’idées, de slogans ou d’images politiques (on pourrait ajouter de « marques ») ; que la politique, à travers la technique du sondage, tend à être traitée et perçue à travers les schèmes de l’économie : les hommes politiques sont (aussi) des « produits » ayant une « image de marque » souvent élaborée par des spécialistes en communication issus de la publicité, et que les thèmes des campagnes électorales sont souvent choisis après avoir été « testés » auprès de « panels d’électeurs ».
 
La question n’est donc pas tant de commenter ce sondage, de se réjouir ou de s’émouvoir de son résultat. Ni même de réclamer (ce que va faire vraisemblablement l’Institut de sondage) de tester d’autres « tête d’affiches » socialistes (comme DSK ou François Hollande, par exemple) pour s’apercevoir que certaines d’entre elles arriveront sans doute devant Marine Le Pen. Des résultats qui seront à leur tour abondamment commentés sur le thème de « untel battrait Le Pen au premier tour ». Ce qui est, on en conviendra aisément, une façon assez explicite de « fabriquer l’opinion » et de ne surtout pas (ou plus) parler de politique !
 
http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/sondage-le-pen-fabriquer-l-opinion-90161

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