À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

11/07/2010

À deux temps

Maurice Ulrich

Puissant ou misérable, on sait depuis La Fontaine ce qu’il en coûtera en matière de justice. Certes, dans les prétoires, la balance semble égale pour tous et la déesse qui la tient a toujours les yeux bandés. Mais l’inégalité, les inégalités sont à chercher ailleurs. Le temps de la justice, lui, n’est pas le même. Il est réduit à quelques heures pour le voleur de mobylette condamné en comparution immédiate. Il s’étale sur des mois et plus sûrement sur des années pour les affaires économiques ou financières, la règle en la matière étant de gagner toujours plus de temps, fût-ce en niant les évidences avec tous les grands airs de la vertu outragée. Toute ressemblance avec les affaires en cours ne serait aucunement l’effet du hasard, mais le problème est plus vaste encore.

Tous les jours des dizaines de jeunes sont enfermés dans des prisons surpeuplées condamnées depuis des années par les instances européennes. Mais il faut des années, pour que soient indemnisées des centaines de victimes de l’amiante. Certes, ce n’est pas la même chose. Mais pourquoi ces lenteurs de la justice quand elle est si rapide à se prononcer dans de nombreux cas ? Manger l’herbe d’autrui, comme dit l’âne de la fable, est un délit. Qu’en est-il de provoquer le cancer de dizaines de salariés ?

Il est bien sûr question de moyens, de durée nécessaire des investigations et d’établissement des preuves. Est-ce tout ? Non, car il y a dans cette situation des choix politiques. Au cours des derniers mois, les projets de réforme que le gouvernement a dû remiser provisoirement dans ses cartons face au tollé qu’ils ont soulevé, en particulier dans les milieux judiciaires, ne sont pas des erreurs d’aiguillage, bien au contraire.

Allongement des délais de prescription pour les abus de biens sociaux. La garde des Sceaux, Michèle Alliot-Marie, proposait que le délai coure à partir du moment où l’infraction était découverte et non à partir du moment où elle était commise.

Suppression, annoncée par le chef de l’État lui-même, des juges d’instruction avant de faire en partie machine arrière. Faut-il souligner, dans le cadre des affaires actuelles, ce que signifierait une telle suppression au profit du parquet qui dépend, lui, de l’exécutif ?

Suppression annoncée, plus récemment, des jurés d’assises, composés de citoyens, au motif que cela ferait gagner du temps. Si l’on ajoute à cela, évoqués plus haut, le traitement en temps réel pour les petits délinquants, la comparution immédiate et les peines planchers, on voit se dessiner une justice prenant son temps et tendre aux riches, en même temps qu’une justice d’abattage dure aux faibles, pilotée d’en haut, écartant, avec les citoyens bannis des jurys, cet acquis de civilisation qui est encore le nôtre : c’est la république qui juge et non la raison d’État. Et l’on sait à quel point le chef de l’État est tenté, en permanence, d’indiquer aux juges quel serait selon lui leur devoir, et de leur dicter les peines.

Le procès de Villiers-le-Bel doit nous tenir en alerte. Tirer sur des policiers est absolument condamnable, mais qu’est-ce qu’un procès avec des témoins sous X, dont certains sollicités par la police elle-même ou avec de l’argent ? Quoi qu’il en soit, les avocats de la défense ont été fondés à évoquer un procès pour l’exemple. D’un autre côté, quelles investigations vont être menées dans ce qu’il est convenu d’appeler l’affaire Woerth-Bettencourt, par qui, à quel rythme, avec quelle détermination ?

On voit se dessiner une justice prenant son temps, tendre aux riches, et une justice d’abattage dure aux faibles.

http://www.humanite.fr/07_07_2010-%C3%A0-deux-temps-449439

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