Seuls 38 % de ces "fins de droits" devraient bénéficier de la solidarité nationale : "Sur la période de juillet 2008 à juin 2009, 16 % des chômeurs en fin de droits étaient éligibles à l'allocation spécifique de solidarité (ASS), et 22 % au revenu minimum d'insertion (RMI), remplacé depuis par le revenu de solidarité active (RSA)", indique Jean-Paul Blouard, directeur adjoint de cette direction de Pôle emploi. L'éligibilité à l'ASS comme au RSA est en effet soumise aux conditions de ressources du foyer et non de l'individu.
Ce sont donc plus de 600 000 chômeurs qui verront leur sort remis au seul soutien familial, entraînant un accroissement sensible de la pauvreté en France.
Cette situation préoccupe les syndicats, qui ont échafaudé des propositions. Les partenaires sociaux doivent en débattre prochainement en groupe de travail avant la séance plénière de négociations du 26 février sur la " gestion sociale des conséquences de la crise économique sur l'emploi". Ils appellent d'ores et déjà à une prise de conscience urgente de la part du gouvernement.
Ce dernier sait bien que la question du chômage de longue durée n'est pas réglée. Si depuis plusieurs années les demandeurs d'emploi dits de longue durée (un an ou plus) représentent de façon stable plus de 40 % du nombre total de chômeurs, leur nombre absolu est en forte augmentation : "Il est évalué à 947 000 au troisième trimestre 2009 contre 760 000 sur la même période en 2008, soit en hausse de 24 % sur un an", indique Corinne Prost, responsable de la division emploi à l'Insee.
Mais le secrétariat d'Etat chargé de l'emploi estime que la problématique des chômeurs en fin de droits relève avant tout de l'assurance-chômage et de la négociation entre les partenaires sociaux.
"Le gouvernement a pris toutes ses responsabilités", assurait à l'Assemblée nationale, jeudi 14 janvier, le ministre de l'industrie, Christian Estrosi, qui s'exprimait à la place du secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, lors de la séance des questions au gouvernement . "Un groupe de travail s'est constitué, il faut attendre le résultat de leurs négociations", déclare-t-on encore au ministère.
Après deux ans de négociations entre syndicats et patronat, les conditions d'indemnisation de la convention d'assurance-chômage avaient enfin été redéfinies en février 2009, en pleine crise économique. Les partenaires sociaux, qui sont soucieux de pallier les carences de la protection sociale pour la majorité des personnes en fin de droits, ne veulent pas pour autant remettre en cause cette convention fraîchement signée. D'autant plus que les négociations de la prochaine convention Unedic doivent s'ouvrir au mois de décembre.
Les syndicats, pragmatiques, veulent donc trouver des solutions provisoires pour tous ces exclus de l'assurance-chômage et de la solidarité nationale. "On ne peut pas laisser 600 000 personnes sans aucune indemnité jusqu'à la reprise du marché de l'emploi. Il est urgent d'ouvrir le débat", affirme ainsi Maurad Rabhi, secrétaire confédéral de la CGT. Les syndicats proposent donc des "mesures de crise" ciblées pour les chômeurs de longue durée et les précaires, qui constituent la majorité des fins de droits.
Sur les 726 161 chômeurs auxquels l'assurance-chômage a cessé de verser des indemnités en 2008 (757 000 avec les départements d'outre-mer), 38 % ont cotisé moins d'un an et 38 % étaient des chômeurs de longue durée, indique le service public de l'emploi.
"Les contrats courts reviennent de manière récurrente dans les bataillons du chômage", tient à rappeler Stéphane Lardy, secrétaire confédéral de Force ouvrière (FO). "En 2008, parmi les chômeurs en fin de droits à l'assurance-chômage, 45 % s'étaient inscrits à la suite d'une fin de contrat à durée déterminée (CDD) et 14,7 % après une fin de mission d'intérim, indique M. Blouard. Le nombre de chômeurs arrivés en fin de droits après un contrat court va probablement augmenter en 2010, notamment parce que, si la convention d'assurance-chômage entrée en vigueur en avril 2009 ouvre l'accès à l'indemnisation plus tôt (dès le 122e jour de cotisation, soit après environ 4 mois de travail contre 6 mois précédemment), la durée d'indemnisation est en revanche égale à la durée d'affiliation."
Pour la plupart des syndicats, c'est dans la prise en compte de la précarisation du marché du travail qu'il faut puiser les financements de la politique de l'emploi. Les pistes étudiées par les différentes centrales (CGT, CFDT, CFTC, FO) ou la Fédération syndicale unitaire (elle n'est pas représentée dans les négociations sur l'assurance-chômage) privilégient tantôt la taxation de la précarisation du travail (cotisations corrélées à la durée des contrats, élargissement de l'assiette de cotisations), tantôt la prolongation de la durée d'indemnisation, tantôt l'assouplissement des conditions d'éligibilité à la solidarité nationale.
Car si pour le secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, Laurent Wauquiez, l'augmentation du nombre de chômeurs en fin de droits est une "question de gestion de l'assurance dans la crise", pour les partenaires sociaux, elle ne relève pas de la seule responsabilité du système assurantiel. Gaby Bonnand, secrétaire national de la CFDT, juge que "l'impact social de la crise ne doit pas être financé par la solidarité du privé, mais par la solidarité nationale".
Il suggère, en accord avec la CGT et FO, d'assouplir les conditions d'accès des chômeurs en fin de droits à l'ASS - réservée actuellement à ceux qui ont travaillé au moins cinq ans durant les dix dernières années - et de proroger le dispositif Allocation équivalent retraite (AER), sorte de "pont" entre assurance-chômage et retraite. Le maintien de cette mesure, déjà prolongée dans le cadre du plan de relance, ne coûterait, pour 2010, que 40 millions d'euros, estime Pôle emploi. D'autres propositions sont avancées. Par exemple, reporter l'âge maximal fixé pour toucher l'indemnisation chômage - coût estimé à 80 millions d'euros en 2010 - ; ou prolonger de six mois la durée de prise en charge des contrats de reclassement professionnel et des contrats de transition professionnelle.
L'extension des périodes d'indemnisation, prônée par la CGT, la CFTC et FO, générerait un surcoût chiffré par Pôle emploi à 555 millions d'euros pour un mois, 999 millions pour deux mois et 1,3 milliard d'euros pour trois mois, avec un taux dégressif de 70 % à 50 %. La dégressivité n'est cependant pas une proposition des syndicats, qui ne voudraient surtout pas qu'elle soit généralisée à tous les chômeurs indemnisés après le retour de la croissance.
Mais nul n'ignore la situation financière de l'Unedic. La croissance économique ayant un impact direct sur le montant des contributions, la récession de 2009 (- 2,2 %) s'est traduite dans ses comptes par un déficit annuel de 902 millions d'euros. Il est attendu à 3,6 milliards en 2010, avec une hypothèse de croissance de 1,1 %, un scénario plus optimiste que les prévisions retenues dans le projet de loi de finances 2010 (+ 0,75 %).
"La réduction des déficits publics passe d'abord par la réduction de la dépense", rappelait mercredi 13 janvier à l'Assemblée nationale le premier ministre, François Fillon, en prévision de la conférence gouvernementale du 28 janvier sur les déficits publics. Ce contexte pourrait paraître défavorable au financement d'une solution pour les chômeurs en fin de droits, à moins que l'Etat, prenant la mesure du risque social, ne considère cette dépense comme un investissement. D'autant que les évaluations des mesures de solidarité nationale réalisées par Pôle emploi ne représentent pas "un montant impossible à financer dans l'équation budgétaire actuelle : il s'agit simplement d'un arbitrage budgétaire à opérer, d'un choix à faire", estime Mathilde Lemoine, économiste en chef de la banque HSBC France.
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