À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

20/12/2009

Paris CAF : survie ordinaire en zone de non droit

Avec la CAF, quand on est concerné par un contrôle ou une suppression de droits absurde, on pense toujours être la victime d’une erreur individuelle énorme et unique en son genre.

L’allocataire confronté à un courrier incompréhensible, à des accusations délirantes sur sa vie privée, pense souvent que le responsable est UN salarié précis, particulièrement salaud, raciste ou sadique. La première réaction est souvent l’appel aux droits de l’homme, à la démocratie.

Et puis on débarque exposer son « cas » à la permanence du Reseau Solidaires d’Allocataires. On est un peu étonné de la réaction plutôt blasée des autres précaires présents.

On trouve ça limite indécent face à l’injustice qui nous frappe.

Comme Mlle L., on finit cependant par tenter le coup : on accompagne à une dizaine une chômeuse harcelée au Pôle Emploi Guy Moquet. Là on tombe sur une autre chômeuse, radiée deux mois, alors que ce n’est pas elle qui était absente, mais son conseiller. La radiation est annulée illico, du simple fait de la présence collective et offensive des autres précaires, sans recours à la CEDH, ni rien.

Le lundi suivant, un peu étonnée, on constate , comme Mlle L qu’une dizaine de personnes sont bien venues juste pour nous à la CAF Nationale.

On se demande bien, à part soi, ce que ça va changer : Mlle L. en effet est victime du harcèlement de la CAF depuis…2003.

Tout commence par un premier contrôle…à son ancienne adresse où elle ne vit plus depuis quelques semaines. C’est dans le hall de son ancien immeuble qu’elle croise une première contrôleuse CAF qui lui fait subir un interrogatoire d’une demi heure, puis lui déclare que tout est réglé. Mais quelques mois plus tard, elle se retrouve avec une accusation de vie maritale sur le dos et trois ans de RMI à rembourser.

Premier combat : après des mois et des mois, la CAF annule sa demande de remboursement.

Mais quelques temps plus tard, nouvelle « erreur » sur son dossier : la CAF cesse brusquement de payer l’allocation logement au bailleur. Pendant des mois, on lui assure que le problème est réglé, mais rien ne tombe, et la procédure d’expulsion est engagée.

Une nouvelle fois, la CAF recule et verse les arriérés une semaine avant l’expulsion policière.

Deux ans de répit. Puis en 2007, nouvelle demande de contrôle dans la boite aux lettres avec un numéro à appeler. Au bout du fil, un homme , très agressif l’informe d’office qu’il a lu les conclusions du rapport de 2003, qu’il a immédiatement flairé la fraude, que ça va chauffer, et que Mlle L. va devoir rembourser l’intégralité de ses allocations sur des années et des années. Expert patenté, notre contrôleur lui affirme qu’il saura immédiatement en venant chez elle, si oui ou non elle vit avec un homme. Paniquée, la jeune femme tente de se défendre, explique qu’il ne s’agissait en 2003 que d’une colocation, et que c’est toujours le cas. Le contrôleur lui raccroche au nez.

En se rendant à la CAF, elle apprendra qu’elle a « refusé le contrôle » et que ses allocations sont donc suspendues jusqu’à ce qu’elle accepte. Mais jamais plus le contrôleur ne prendra ses appels.

Comme beaucoup d’autres, Mlle L. décide alors de renoncer à ses droits pour avoir la paix, persuadée qu’elle ne peut rien face à la machine absurde qui est en face d’elle. Elle survit, cependant pendant deux ans, d’expédients en solidarité des amis et des proches.

Mais bien sûr, il y a un moment ou ça ne peut plus tenir. Mlle L a la chance d’avoir des amis fidèles, et son ex colocataire qui a acheté un studio accepte de le lui louer bien qu’elle n’ait pas de ressources fixes.

Enfin indépendante, et peu susceptible de cacher un homme dans la maigre surface de son logement, elle dépose un dossier RSA et allocation logement à la CAF au mois d’aout 2009. Au mois d’octobre une somme importante lui est versée, elle pense qu’il s’agit du rappel des prestations depuis août. Mais ensuite rien, et aucun courrier.

Elle téléphone, et au standard la réponse est la suivante : « Mais Madame, vous savez depuis 2003 pourquoi ne vous donnons rien ». Quarante huit heures après cet appel elle reçoit un papier de « fin de droits au RSA », « pour manque d’éléments sur sa situation ».

Au Reseau Solidaire d’Allocataires, on finit par être habitués : on sait que la route est longue dans ce genre d’histoires, où un contrôleur a décidé que vous viviez bien « maritalement » avec un monsieur.

Le rétablissement du réel dans ces cas là est à peu près aussi difficile à obtenir que l’annulation d’un mariage par le pape.

Aussi, notre intervention collective du jour a-t-elle un seul et unique objectif : obtenir le dossier intégral de l’allocataire comme c’est son droit le plus strict et jamais respecté si on ne vient pas l’exiger en nombre. Seul l’accès au rapport de contrôle, et aux différentes versions de la CAF nous permettra de retracer le cheminement tortueux des déductions inquisitrices du contrôleur.

Comme nous sommes nombreux, le dossier de Mlle L devient subitement une grande affaire : le directeur de la CAF , la responsable des guichets et la sous directrice vont nous recevoir pendant plusieurs heures, par intervalles.

Il serait impossible de retranscrire fidèlement l’absurdité totale des propos tenus successivement par nos interlocuteurs. Nous apprendrons ainsi.

- que le dossier d’avant 2004 est dans les archives papier à Arpajon ( les ordinateurs ont parait-il été inventés après cette date, ceux qu’on pouvait voir avant dans les CAF étaient certainement des consoles Nintendo astucieusement dissimulées pour faire sérieux ). Pendant un moment, les responsables réussiront presque à nous faire croire qu’ils sont reliés télépathiquement à Arpajon, en nous donnant des éléments du dossier d’avant cette date (toujours à charge naturellement). Il s’avèrera en fait qu’il ne s’agit que de téléportation, le dossier finissant par apparaître miraculeusement dans les mains du directeur, fraichement imprimé.
- que la demande de RSA faite en août n’a jamais abouti à cause de la suspension de 2007. Et que le papier officiel de fin de droits reçu par Mlle L ne signifie absolument pas qu’il y ait eu une ouverture de droits. En fait, il s’agit d’une sorte de spam envoyé automatiquement par l’ordinateur central, qui sait fort bien imiter la signature de la direction de la CAF. C’est à cause de la mise en place du RSA, parait-il. Mais alors d’où vient l’argent versé sur le compte ?

En toute « logique » il s’agit de l’allocation logement non versée en 2007, pour cause de suspension , à cause du contrôle non effectué.

En clair, la CAF a rétabli des droits de 2007 et annulé la suspension pour cette période. Mais cependant, cette suspension est toujours valide, et le soupçon de vie maritale aussi, lorsqu’il s’agit de ne pas verser le RSA pour 2009, ainsi que l’allocation logement.

Ca ne veut rien dire ? Ben non.

Raison pour laquelle le directeur de la CAF et ses co-responsables après avoir déliré trois grands quarts d’heure, finissent par solliciter un délai de réflexion pour nous mettre le raisonnement par écrit, et qualifier juridiquement la situation de Mlle L.

Nous ne sommes pas pressés. En effet, c’est l’occasion de prouver à Mlle L. que l’absurdité de la persécution dont elle est victime n’est pas le résultat d’un dysfonctionnement inédit de la CAF, mais bien la routine ordinaire en zone de non droit.

Quelques tract diffés et nous rencontrons Mme D.

A l’une on invente un homme dans le placard, à l’autre on supprime brusquement deux enfants. Mme D a reçu une demande de remboursement de plus de deux ans d’allocations familiales, assortie d’un énigmatique décompte du foyer, sur lequel ne figurent plus que deux gosses sur quatre.

Dans le même temps, Mme D a également reçu une notification de non droits au RSA au motif qu’elle « n’avait plus le titre de séjour correspondant ». Or Mme D a une carte de dix ans, émise en 2003, valable jusqu’en 2013.

Passage au guichet, accompagnée du collectif. « Ah oui, effectivement dira l’agent, c’est étrange ». Finalement, les deux enfants disparus réintègrent le dossier avec le titre de séjour, mais personne pour expliquer comment et pourquoi ces courriers sont partis.

Pendant ce temps, un agent de sécurité se fait rembarrer par une salariée parce qu’il essaie de faire passer en priorité une femme enceinte presque à terme. « Ce n’est pas votre travail « , lui dit-on de haut.

Un autre explique à un monsieur énervé dont le nom n’est pas apparu à l’écran qu’il a fort bien pu être appelé sans s’en rendre compte, ce que l’allocataire conteste. « Vous ne pouvez pas rester une heure les yeux rivés en permanence sur l’écran » répond à juste titre le vigile, mais pourtant c’est le délai d’attente minimum.

Forcément, la CAF est fermée tous les jeudis, au minimum. Un salarié nous apprend que cette fermeture imposée par la direction, est destinée à faire bosser les agents de la CAF de Paris sur les dossiers ...de la Seine Saint Denis et de Mayotte, boulot pour lequel ils sont également réquisitionnés le samedi, à tour de rôle.

Finalement retour des responsables avec le dossier de Mlle L., ou plutôt une partie car le serviable directeur a « sélectionné les pièces qui pouvaient nous intéresser pour nous épargner un travail fastidieux ». Charmante attention, mais nous exigeons évidemment l’intégralité, nous sommes de sacrés bosseurs, contrairement à la légende.

La direction ne veut que le bien de Mlle L. Déclencher immédiatement un dernier contrôle et rétablir la vérité et ses droits .

Mais quelle vérité au fait ? Comment le contrôleur ou la contrôleuse va-t-il établir si Mlle L couche ou non avec son propriétaire, ce qui est le seul élément possible qui pourrait indiquer une éventuelle vie maritale, puisque chacun a son domicile, son compte, bref sa vie ?

Les contrôleurs de la CAF n’ont pas encore le droit de demander des analyses gynécologiques, ni une analyse ADN d’éventuelles traces de sperme débusquées sur le canapé. Certes l’on pourrait déduire de sulfureuses gambades d’éventuels témoignages de voisin, si Mlle L. et son proprio s’embrassent fougueusement dans l’ascenseur, mais y-a-t-il vie maritale sans pénétration ?

Pour l’Eglise classique non, mais pour la CAF ?

Ce n’est pas seulement pour Mlle L que les allocatairEs présentes posent ces questions à la direction, mais pour elles mêmes. Puisque nos rapports amoureux conditionnent nos droits à la survie, puisqu’il nous faut dépendre, au choix de la CAF ou d’un homme, et que les hommes ne sont pas toujours prêts à lâcher le cordon de la bourse au bout de trois nuits de folie, on voudrait savoir exactement à quoi l’on s’engage. Et en cas de rupture, combien de mois d’abstinence avant le grand pardon et le retour des allocs ?

Mais à la CAF on a sa pudeur, on ne veut jamais parler de ces choses là, il y a des mots qu’on ne prononce pas.

Pourtant au nom de la lutte contre la « fraude », les millions de femmes allocataires , en toute légalité doivent rendre compte de tous les détails de leur vie privée : les contrôleurs ont le droit de visiter nos logements, d’interroger nos voisins, certains se mettent en planque en bas de chez nous et le revendiquent dans leur rapport. D’autres n’hésitent pas à aller interroger notre employeur, les directrices d’école de nos enfants, pour traquer le fameux monsieur dans le placard.

Jusqu’à quand ?

Jusqu’à ce que la honte change de camp.

Ce jour là, Mlle L. aurait pu accepter la soudaine commisération du directeur de la CAF, brusquement persuadé qu’ « on ne demande pas le RSA sans en avoir besoin », prêt à envoyer un contrôleur le lendemain à son domicile pour « faire le point » et « sortir de cette situation ».

Mais c’aurait été une nouvelle fois se soumettre à la bonne volonté d’un mari jaloux et violent, susceptible de rétablir un droit pour éviter un scandale immédiat et de le couper en toute discrétion quelques mois plus tard.

Face à la destruction de leurs privées , les femmes précaires n’ont d’autre choix que la confrontation publique.

Nous attendrons donc que l’intégralité de son dossier soit communiquée à Mlle L. , et si nouveau contrôle il doit y avoir, il se fera en présence de témoins.

Ce sera ensuite au Conseil Général, qui a la responsabilité des contrôles sur les allocataires du RSA de décider publiquement, d’assumer le harcèlement, ou de l’interrompre.

Vous êtes victime du même harcèlement ?

- Dès le déclenchement du contrôle, exigez par lettre recommandée avec accusé de réception, l’intégralité de votre dossier CAF.
- Refusez tout contact non officiel, notamment téléphonique avec les contrôleurs de la CAF
- Ne signez JAMAIS quelque document que ce soit le jour même du contrôle, sous la pression.
- Ne recevez jamais un contrôleur CAF seulE : faites vous accompagner par un proche, un collectif, un avocat
- N’hésitez pas à enregistrer l’ensemble de la discussion avec le contrôleur, notamment à votre domicile.
- Contactez au plus vite un collectif de précaires, même s’il vous semble que tout se passe bien, et que le contrôleur ne vous reproche rien ouvertement.
- Témoignez, brisez le silence !

Reseau Solidaire d’Allocataires Permanence tous les mardis de 18H à 19H30 à la Maison des Associations 17/18.

15, passage Ramey métro Marcadet Poissonniers TEL : 09 54 70 66 22

ctc.rsa@gmail.com

http://www.collectif-rto.org

http://www.collectif-rto.org/spip.php?article815

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