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25/12/2009

Environnement : l’insoutenable train de vie des riches

Les plus riches du Nord ont une responsabilité dans les désordres écologiques, qui va bien au-delà de l’impact direct de leurs gaspillages sur l’environnement. Par Guillaume Duval et Manuel Domergue, extrait du hors-série "L’économie durable", d’Alternatives Economiques.

"Le mode de vie américain n’est pas négociable", assénait il y a près de vingt ans George Bush père, pour refuser de s’engager à limiter les émissions de gaz à effet de serre des Etats-Unis. Et ce mode de vie a servi de modèle au monde entier tout au long du XXe siècle. Mais aujourd’hui il est tout simplement incompatible avec les grands équilibres écologiques de la planète. Ce qui complique terriblement les choses pour en changer, c’est l’ampleur des inégalités qui se sont creusées depuis trente ans : la consommation de plus en plus purement ostentatoire des riches des pays riches continue en effet à entraîner la planète tout entière dans la dynamique du toujours plus de gaspillage. Pour pouvoir combattre efficacement le changement climatique et les autres menaces écologiques, il faut donc limiter drastiquement les inégalités.

En théorie, chacun des 6,5 milliards d’habitants de la Terre dispose d’un hectare et demi de ce qu’on appelle "l’empreinte écologique", c’est-à-dire la surface au sol nécessaire pour satisfaire ses besoins de base sans puiser dans les ressources non renouvelables de la planète. Mais, d’après les calculs, cette empreinte soutenable a déjà été dépassée depuis les années 1970, puisque chaque humain "consomme" en moyenne actuellement 2,7 hectares. Cette moyenne, déjà excessive, cache en plus de fortes disparités. Avec cinq hectares, un Européen consomme le double de cette moyenne. Mais il apparaît presque sobre par rapport à un habitant des Etats-Unis (9,5 ha) ou des Emirats arabes unis (9,6 ha).

Un exemple à ne pas suivre

Et ces moyennes nationales masquent elles-mêmes des disparités importantes. Les ménages les plus riches des pays riches sont en effet de très loin ceux qui consomment le plus, et donc ceux qui polluent le plus : des vacances à Bali sont plus énergivores que celles à la campagne, chauffer une maison de 200 m2 nécessite en moyenne plus d’énergie qu’un petit appartement, etc. Sans même parler de la consommation d’eau des parcours de golf d’un vert éclatant au mois d’août, ni des yachts, des jets privés et des hélicoptères dilapidateurs de carburant... Ces intuitions sont confirmées par les données publiées par l’Insee : les 10% des ménages les plus riches dépensent environ 2 000 euros par an en France pour l’énergie, contre 800 euros par an pour les plus bas revenus. De même pour la facture transports : les 10% les plus riches dépensent plus de 7 000 euros par an, contre moins de 2 000 pour les 10% les plus pauvres.

Est-ce si grave ? Les riches des pays riches ne constituent-ils pas finalement une goutte d’eau certes très visible, mais en réalité quantitativement insignifiante à l’échelle de la planète ? 793 personnes sur Terre possèdent plus d’un milliard de dollars et accumulent à elles seules 2 400 milliards de patrimoine en 2009 (classement Forbes). Néanmoins, le gros bataillon des riches est constitué de millionnaires, et rien qu’en Chine, on en compterait 450 000 cette année, selon le Boston Consulting Groupe. Mais la contribution la plus nocive des plus riches à la crise écologique tient surtout à leur fonction d’exemple et de modèle à suivre pour le reste de l’humanité.

Le journaliste Hervé Kempf, auteur de l’essai Comment les riches détruisent la planète (2007), a remis au goût du jour une idée développée au XIXe siècle par l’économiste américain Thorstein Veblen : pour l’auteur de Théorie de la classe de loisirs, la consommation dans les sociétés modernes sert davantage à se distinguer du commun des mortels qu’à assouvir de réels besoins physiologiques. Et cela suscite nécessairement l’envie et le vœu d’imitation dans une société humaine basée depuis les origines sur le mimétisme. La volonté des couches populaires des pays riches mais de plus en plus aussi, à l’heure de la mondialisation, de l’énorme masse des pauvres des pays pauvres, d’accéder au même standard de consommation que les plus riches, entraîne l’humanité dans une course sans fin qui est la cause de la surexploitation des ressources. Deux exemples illustrent cette fuite en avant : la viande et l’automobile.

Evolution de l’empreinte écologique, en hectares globaux par habitant

Consommation ostentatoire

Sur la base du régime alimentaire des nobles (qui se réservaient le droit de chasse) et des rois, la consommation quotidienne (voire biquotidienne) de viande est devenue (et reste) synonyme de progrès. Bien qu’il soit solidement établi qu’un tel régime est excessif et dommageable pour la santé (surpoids, maladies cardiovasculaires). Or, la surconsommation de viande est une source majeure d’émissions de gaz à effet de serre, d’épuisement des sols, voire de difficultés alimentaires pour les plus pauvres du fait de l’utilisation de terres agricoles à cette fin. Il faut en effet cultiver du fourrage pour nourrir le bétail et consommer sept protéines végétales pour produire in fine une protéine animale. La consommation de poisson suit la même pente : 21,7 kg par personne en 2005, contre 7,3 en 1950, selon le Earth Policy Institute. Avec comme conséquence l’épuisement des mers.

Symbole des Trente Glorieuses, l’usage de la voiture individuelle s’est généralisé dans les pays riches. Et cela sans aucune rationalité économique puisque la plupart des véhicules restent pendant 90% du temps à l’arrêt le long d’un trottoir qu’ils encombrent ou dans un garage. Sans parler de la mode des 4X4 en ville, qui montre bien la dimension de plus en plus ostentatoire de l’automobile. Mais le pire est encore à venir en matière de gaspillage de ressources non renouvelables et d’émissions de gaz à effet de serre, si les Chinois et les Indiens cherchent à faire de même.

Il faut un revenu maximal...

Pour mettre un frein à la course ostentatoire à l’accumulation matérielle, les revenus doivent être plafonnés. En 1942, le président Franklin Roosevelt, confronté aux suites de la crise de 1929 et au besoin de répartir l’effort de guerre, n’avait pas hésité à instaurer une tranche marginale d’imposition de 92 % sur les revenus des Américains. Jusqu’aux politiques en sens inverse menées par le président Ronald Reagan dans les années 1980, les inégalités en avaient été drastiquement diminuées aux Etats-Unis.

Aujourd’hui, ce n’est pas l’effort de guerre qu’il faut répartir, mais celui de la lutte contre le changement climatique. Sans une telle limitation de l’appétit des plus riches, il est difficile de convaincre les moins aisés de changer leurs modes de production et de consommation. Le raisonnement, valable au niveau individuel, est transposable au niveau des négociations climatiques internationales. Le refus américain de ratifier le protocole de Kyoto a fourni un prétexte aux pays émergents pour ne pas s’engager sur la voie d’engagements contraignants...

Avec déjà plus de 10 millions de voitures vendues chaque année Voir [1], le taux de croissance du marché chinois est déjà dantesque. Au point qu’on devrait dépasser la barre du milliard de véhicules sur Terre en 2010, soit dix fois plus qu’en 1956. Et il y a de la marge : alors que les Etats-Unis comptent 80 voitures pour 100 habitants, ce chiffre n’est encore que de... 3 en Chine. Et 85 Terriens sur 100 n’ont pas (encore) de voiture. Certes, tout cela ne relève pas uniquement de caprices des super riches. Se déplacer rapidement et se nourrir avec plaisir ne peuvent pas être confondus avec le tourisme spatial de quelques milliardaires en manque de sensations fortes. Mais la diffusion d’un tel mode de consommation est insoutenable.

Combattre les inégalités

Reste donc à imaginer des manières de sortir de la pauvreté sans continuer à chercher à reproduire les excès des plus riches des pays riches. Si leur mode de vie actuel reste l’objectif à atteindre pour le reste de la planète, il sera impossible en effet d’éviter le krach écologique. Pour changer d’objectif et obtenir que des modes de vie plus sobres deviennent aussi désirables que celui des people dont le train de vie luxueux s’étale dans les magazines, il faut donc en priorité amener les plus riches des pays riches à modifier leurs comportements. C’est la raison pour laquelle le combat contre les inégalités et la dérive vers des revenus individuels fabuleusement élevés pour une petite minorité, tolérée, voire encouragée, depuis trente ans, est au cœur du combat pour un mode de développement écologiquement soutenable...

Guillaume Duval, Manuel Domergue

Ce texte est extrait du hors-série n°83 du magazine Alternatives Economiques, décembre 2009. Titre original : "La lutte contre les inégalités est au coeur du sujet".

http://www.inegalites.fr/spip.php?article1166&id_mot=30

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