Bien des idées reçues circulent sur l’Europe dont la doxa officielle a fait des vérités à la peau plus dure que celle du Lion de Némée. S’il est évident que nombre d’entre nous ne se font pas, ou plus, abuser par ces arguments spécieux, leur tenu reste encore consensuelle y compris à travers les courants euro-alternatifs.
"Sans l’Europe nous ne sommes rien"
C’est l’éternel argument de la décadence ! Face à la mondialisation « unions nous » le plus possible ou périssons face aux perfides américains et aux méchants chinois ! Certes la Mondialisation pose des problèmes de gestion à grande échelle qui nécessite une coopération interétatique accrue. On ne peut espérer régler la question du réchauffement climatique ou de la famine en Afrique chacun face à ses cartes. Toutefois, l’Union « sans cesse plus étroite » permettrait-elle de mieux régler ces problèmes ? Offrirait-elle la possibilité de tenir tête victorieusement à l’Oncle Sam ? À ce sophisme trop souvent rabattu, j’ai coutume de répondre par une comparaison historique. À l’aube des guerres médiques Athènes ne comptait guère plus que quelques dizaines de milliers d’habitants, face à elle la Perse achéménide étendait son pouvoir de l’Oxus aux cataractes du Nil, de L’Indus à la Thrace. Qui pourtant a le plus marqué l’histoire de son héritage ? Certes le nombre d’habitants, les poids économiques sont des facteurs de puissance indéniables, mais ils ne sont pas uniques. La proposition d’un modèle original pèse à long terme bien plus lourd et n’a pas tant besoin de la force pour s’imposer. Comme le disait Napoléon, « il y a deux forces en ce monde, le Sabre et l’Esprit, à la longue le Sabre est toujours vaincu par l’Esprit. » Le modèle de la République élaborée en France et que nous bradons à bon compte fait partie de ces visions de l’esprit qui ont fait grande œuvre dans des régions aussi éloignées de nos armes que l’Amérique latine ou la Turquie. Non seulement l’Europe bribes les expériences politiques novatrices entamées dans les nations qui la composent au nom de « l’harmonisation et du benchmarking institutionnel » mais elle ne propose qui plus est, et encore une fois à l’encontre des idées reçues, en rien un modèle original. Son fonctionnement atypique est né de la contrainte, mais son projet lui n’est qu’un simple (et simpliste) copié collé de l’idéal américain. Preuve en est l’importation des plus flagrantes tant de l’idéologie anglo-saxonne (dérégulation et libre-échange) que de ses mythes (pères fondateurs, bannière étoilée…)
"L’Europe est une démocratie"
Ah, qu’ils sont beaux nos nouveaux députés européens qui, après s’être empressés de reconduire Barosso, vont pendant leur mandat jouer le mauvais alibi d’un déni de démocratie. Oh certes ils ne sont pas tous eurobéat, certains comme Rachida Dati sont plus eurojemenfoutiste, il n’en reste pas moins la caution « démocratique » d’une gouvernance qui ne l’est guère. Bis repetita non placent, aussi passerais-je sur les tartufferies de la Commission ou sur les abus d’interprétation de la Cour de Justice européenne pour me concentrer ici sur le caractère intrinsèquement non démocratique d’une construction eurofédéraliste. Le principe de démocratie trouve racine dans le constat d’une rupture au sein de la cité, cette rupture met en avant l’existence de deux entités antagonistes dont l’une majoritaire impose temporairement et dans son respect, ses dispositions à l’opposition. Dans cette définition somme toute classique est sous-entendue l’acceptation tacite par la minorité de son propre statut. Autrement dit si une loi est votée par la majorité ses opposants s’y soumettent et ne remettent pas en cause sa légitimité. Or ceci n’est possible que si une conscience objective du groupe existe, conscience qui n’a à ce jour que deux cadres viables, l’antique polis et la nation moderne. Ceci ne signifie pas que toutes les nations sont des démocraties, mais que dans sa forme moderne la démocratie et le phénomène national sont indubitablement inséparables. Quant la Cour Constitutionnel allemande met l’accent sur le caractère démocratiquement faillible de la construction européenne par absence de peuple européen elle ne fait que constater l’inexistence de communauté politique non seulement « en soi » mais également « pour soi ».
"L’Europe peut devenir une Nation"
L’aire supérieure et le sourire presque dédaigneux le brillant européiste répondra à cet argument « mais l’Europe a justement à devenir une Nation ! ». Le peut-elle ? Techniquement oui, on peut faire une Nation avec n’importe quoi ou presque si les conditions s’y prêtent. Toutfois il s’agit ici de s’attarder sur le processus et ses conséquences. La construction d’une Nation ne se fait pas à l’image de gens qui, se trouvant incontinent plus de points communs que de différences, s’embrassent et décident de communier dans la fraternité. Comme l’aurait dit Bismarck, une nation se forme par le fer et par le sang. Il en savait quelque chose puisque la guerre de 70 avait justement pour but de cimenter la nation allemande contre la France, comme jadis l’Italie contre l’Autriche ou cette même France contre les armées blanches soutenues par l’étranger. Les plus européistes ne s-y sont pas trompés, tel Jean Quatremer qui titrait dans Libération lors de la crise en Géorgie « L’Europe pas l’épée ! ». Construire une Nation européenne par la guerre pourquoi pas, mais qu’on ne vienne pas ensuite nous dire que :
"L’Europe c’est la paix !"
Nonobstant ce qui a été dit, cet argument dont nous abreuvent ad nauseam politique et média n’est historiquement qu’un sophisme de plus dans la hotte de papa Monet. Pour le comprendre, il faut prendre en note la situation post-45 et l’organisation de deux blocs, deux glacis des deux côtés du rideau de fer. Avec la création des l’OTAN et du pacte de Varsovie les Nations européennes abandonnent toute notion de stratégie globale propre pour rentrer dans une logique d’affrontement Est-Ouest ou l’ennemie n’est plus le voisin immédiat, mais celui d’en face qui pense différemment. Les enjeux territoriaux s’estompent et sont arbitrés par les deux grandes puissances qui jouent dans leurs camps le rôle de Rome face aux États hellénistiques. La paix née donc des hégémonies, puis de l’Hégémonie américaine, qui rend toute aventure revenchiste veine et dangereuse en même tant que sensiblement anachronique aux vues de la reconfiguration géopolitique. L’Europe n’est pas la cause, mais la conséquence de cette paix des cimetières. L’anticommunisme de l’Ouest et la Pax Americana constituant le terreau fertile pour un processus débarrassé des aléas de la grande Histoire. Ce processus est d’ailleurs au départ encouragé par les États-Unis et la déclassifiassions des archives montre que nos grands « père fondateur » Jean Monnet et Robert Schumann recevaient subside de la CIA.
"L’Europe c’est la fraternité des peuples"
Qu’ils sont beaux les Erasmus de l’Auberge Espagnole. Si on peut concéder une chose à Bruxelles c’est d’avoir permis une meilleure compréhension interculturelle. Il ne s’agit en rien de contester ce bilan, certainement en demi -teinte, mais réel et significatif que d’en faire ressortir d’autres aspects. S’il y a une chose qu’un fonctionnaire européen n’aime pas, ce sont les États, s’il y a deux choses qu’un fonctionnaire européen n’aime pas ce sont les États et les Nations. Dieu merci s’il y a une chose qu’un fonctionnaire européen sait faire c’est exciter l’ardeur de nos petits régionalistes anachroniques qui pensent encore que la Catalogne, la Corse ou l’Écosse sont des éléments purs d’éléments étrangers. En créant une assemblée des Régions, en déformant le principe de subsidiarité, en faisant voter la chartre des langues régionales, l’UE à réveiller le loup qui dort. Pire que le nationalisme dont l’ardeur à bien vieilli, les néo-régionalismes qu’elle a encouragés s’avère souvent ethniciste et raciste tel qu’en témoigne les actes et insulter à caractère xénophobe en Corse ou les nouvelles milices qui patrouillent dans les rues de Pannonie. Prenant en grippe les nations l’Europe a fait agoniser Charybde pour réveiller une Scylla au combien plus vicieuse.
Il y aurait bien d’autres idées reçues au son desquelles avancent les moutons de Panurge et qu’il nous faudrait ici démontées. Une chose ne cesse de m’étonner, comment des intellectuels et des hommes politiques par ailleurs à l’analyse brillante peuvent devenir bête et bêler avec le troupeau ces mêmes rengaines sans autre forme de réflexions. Une idéologie se présente comme une vision de la Vérité, une Doxa vue comme inamovible et dont la remise en cause porte à anathème. Elle ne pense le présent, elle conçoit une utopie ; elle n’est pas science, mais croyance. Selon ces critères l’Européisme est une idéologie, atypique, car transcourant, mais qui comme toute idéologie sacrifie l’analyse sur l’autel de l’idéal. En démonter les sophismes c’est s’en prémunir et se donner le choix de l’invective ou de l’encensoir.
L'Observatoire de l'Europe
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