Traîner en justice le groupe britannique de défense BAE Systems pour faits de corruption à l'étranger : le Serious Fraud Office (SFO), l'autorité anti-fraudes du Royaume-Uni, pourrait réussir cette gageure malgré la haute portée politique de cette affaire. En cas de culpabilité, le premier marchand d'armes européen est passible d'une amende équivalente à un milliard d'euros.
La requête d'ouverture de poursuites judiciaires déposée par l'organisme britannique de lutte contre la délinquance en col blanc auprès du conseiller juridique de la Couronne porte sur des contrats d'armement signés avec quatre pays : l'Afrique du Sud, la Tanzanie, la Roumanie et la République tchèque. L'annonce du jeudi 1er octobre ne concerne pas les pots-de-vin prétendument versés par BAE à des membres de la famille régnante d'Arabie saoudite dans le cadre du contrat Al-Yamamah conclu dans les années 1980. Ce scandale avait été étouffé en 2006 sous la pression du premier ministre d'alors, Tony Blair, au nom de l'entente antiterroriste entre les deux pays.
Furieux de l'interruption de l'enquête sur les supposées commissions saoudiennes, le SFO prend aujourd'hui sa revanche en constituant un solide dossier sur d'autres grands contrats controversés signés par BAE. Le gouvernement travailliste devrait donner son accord à son action. Le premier ministre, Gordon Brown, est en effet conscient du préjudice causé à l'image du Royaume-Uni par cette série d'affaires de corruption.
"Il est dans l'intérêt national de punir la corruption" : à l'instar du quotidien de centre gauche The Independent, les organisations non gouvernementales (ONG) ont salué cette décision en soulignant qu'un arrêt de la procédure serait catastrophique pour la réputation des entreprises britanniques. Reste que, même en cas de soutien gouvernemental, bien des obstacles demeurent sur la route du SFO. Pour brouiller les pistes, BAE Systems a eu recours à des paradis fiscaux de la Couronne, comme Jersey ou les îles Vierges britanniques, réticents à fouiller dans les comptes des banques offshore qu'ils abritent.
Par ailleurs, les intermédiaires sulfureux utilisés pour soudoyer les dirigeants en Europe de l'Est et en Afrique bénéficient de protections au plus haut niveau dans ces pays. Aussi, les autorités des nations visées rechignent à coopérer avec les enquêteurs britanniques. Tel est le cas de l'Afrique du Sud dont le parti au pouvoir, l'African National Congress (ANC), aurait largement bénéficié des largesses de BAE pour faciliter la vente de chasseurs Gripen et d'avions d'entraînement Hawk.
La fourniture de frégates à la Roumanie, d'appareils Gripen à la République tchèque et d'un système de défense anti-aérien à la Tanzanie aurait donné lieu à l'octroi de juteuses enveloppes. Le laxisme de la législation britannique dénoncé à maintes reprises par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) constitue un dernier écueil.
Pour BAE le coup est dur. En se réformant de fond en comble, la compagnie, dotée d'une nouvelle direction, espérait avoir tourné la page. La voici confrontée à un choix impossible. En admettant sa culpabilité en échange d'une réduction de l'amende, la société se verrait pénalisée dans la course aux contrats militaires européens. Une telle décision aurait des répercussions aux Etats-Unis où le groupe réalise près de la moitié de son chiffre d'affaires et où la justice a de surcroît ouvert une enquête pour corruption en 2007 visant BAE. Mais, un procès entraînerait un déballage en public, extrêmement préjudiciable à l'image que la compagnie veut se donner.
LE MONDE | 03.10.09
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