« Le sort de Lehman n’a pas été scellé dans la salle du conseil de ce siège tape-à-l’œil de Manhattan. Il a été scellé dans le centre-ville, dans l’immeuble gris et sinistre de la Réserve Fédérale de New York, la branche de Wall Street de la banque centrale des Etats-Unis. »
— Stephen Foley, The Independent
Stephen tient quelque chose. La banque Lehman Bros. n’est pas morte de cause naturelle, elle a été coulée et mise en quartier par des fonctionnaires de haut-rang au Trésor des Etats-Unis et à la Réserve Fédérale. La plupart des bobards qui apparaissent actuellement dans les médias ignorent ce fait évident. Lehman a été une démolition programmée, concoctée (très probablement) par l’ancien PDG de Goldman Sachs, Henry Paulson, qui voulait créer un « 11 septembre » financier afin d’effrayer le Congrès [des Etats-Unis] et l’obliger à accéder à ses exigences d’un fonds d’urgence de 700 milliards de dollars (le TARP) pour les titans bancaires des Etats-Unis qui prenaient l’eau. La totalité de cet épisode empeste les conflits d’intérêt, la corruption et le chantage.
Les médias ont joué un rôle crucial pour colporter la version officielle des événements, « Qui aurait pu savoir ce qui arriverait ? » Bernanke et Paulson avaient pleinement conscience qu’ils jouaient avec le feu, mais ils ont choisi de continuer quand même, se servant de la crise qui proliférait pour poursuivre leurs propres objectifs. Ensuite, les choses ont commencé à échapper à tout contrôle : les marchés du crédit se sont gelés, les prêts interbancaires se sont presque arrêtés et les bourses ont plongé. Malgré tout, la FED et le Trésor ont persisté dans leur plan, exigeant impitoyablement leur dû – 700 milliards de dollars – avant de faire ce qui était nécessaire pour arrêter l’hémorragie. Tout cela aurait pu être évité.
Lehman avait des acheteurs potentiels – dont la banque Barclays - qui aurait probablement fait l’affaire si Bernanke et Paulson avaient seulement apporté des garanties sur quelques-unes de ses positions de trading. A la place, Le Trésor et Bernanke ont feinté, enfonçant le couteau plus profond dans les côtes de Lehman. Ils ont prétendu qu’ils n’avaient pas l’autorité légale pour apporter de telles garanties. C’est un mensonge. La FED a apporté 12,8 trillions de dollars de prêts et autres engagements pour maintenir le système financier opérationnel, sans l’approbation du Congrès ou toute autre autorisation explicite selon les termes de sa charte. La FED n’a jamais envisagé de limites à son « autorité légale » lorsqu’elle a subventionné AIG ou organisé l’acquisition de la banque Bear Stearns par J.P. Morgan, déplaçant 30 milliards de dettes futures pour les mettre sur le bilan public. Les excuses de la FED ne collent pas avec les faits.
Voici ce que raconte l’économiste Dean Baker sur ce qui s’est produit le 15 septembre 2008 :
« En septembre dernier, lorsqu’il [Bernanke] a dit au Congrès que l’économie s’effondrerait si le plan de sauvetage TARP de 700 milliards de dollars n’était pas approuvé, il a prévenu que le marché des titres de créance allait fermer.
« C’était extrêmement important parce que les plus grosses entreprises comptent sur la vente des titres de créance pour honorer les salaires et payer d’autres factures courantes. Si elles ne pouvaient plus vendre leurs titres de créances, alors des millions de personnes auraient été bientôt licenciées et l’économie se serait littéralement effondrée.
Ce que M. Bernanke a apparemment oublié de dire au Congrès, à l’époque, est que la FED a l’autorité pour acheter directement les titres de créance aux sociétés financières et non financières. Autrement dit, la FED a le pouvoir de prévenir ce type d’effondrement économique que Bernanke avait dit au Congrès qu’il se produirait si ce dernier n’approuvait pas rapidement le TARP. En fait, le week-end qui suivit le vote du Congrès qui approuvait le TARP, Bernanke annonça que la FED allait créer une facilité spéciale de crédit pour acheter les titres de créances. » (Bernanke’s Bad Money, Dean Baker, CounterPunch)
La raison pour laquelle Bernanke n’avait pas financé le marché des titres de créance était que s’il l’avait fait, il n’aurait pas pu faire chanter le Congrès. Il avait besoin de faire monter l’angoisse provoquée par la crise pour réaliser ses objectifs.
Voici un extrait d’un éditorial du New York Times (qui admet presque tout ce qui a déjà été déclaré) [et] qui essaye de créer un angle positif sur l’attitude de la FED :
« M. Nocera dit que presque tous ceux à qui il a parlé au Département du Trésor, à l’époque de Hank Paulson, étaient d’accord sur le fait que, sans la panique immédiate provoquée par la cessation de paiement de Lehman, le gouvernement n’aurait jamais accepté d’accorder les prêts nécessaires pour sauver A.I.G., une société dont il ne savait pas grand chose. En effet, la faillite de Lehman a fait paniquer le gouvernement, panique qui à son tour l’a amené à sauver cette société [AIG] qu’il devait vraiment sauver pour éviter une catastrophe. Rétrospectivement, si l’on avait dû choisir une entreprise pour la jeter sous un bus afin de sauver toutes les autres, on aurait choisi Lehman […] il est assez probable que la crise financière aurait été encore pire si Lehman avait été sauvée. Bien que personne ne le réalisât à l’époque, Lehman Brothers devait mourir pour que le reste de Wall Street puisse vivre. (« Lehman Had to Die So Global Finance Could Live », 12 septembre 2009, New York Times)
Donc, selon la logique tordue du NY Times, tout a marché pour le mieux et il n’y a donc nul besoin de faire porter la responsabilité sur qui que ce soit. (Dites-le aux 7 millions de personnes qui ont perdu leur emploi [aux Etats-Unis] depuis le début de la crise !) Ce dernier morceau de propagande est du pur journalisme de bidonnage, une tentative de réécrire l’histoire et d’absoudre les parties coupables. Le fait est que Paulson et Bernanke ont délibérément créé cette crise afin de faire avaler au public leur politique TARP largement vilipendée. Le NY Times pense que le public devrait leur en être reconnaissant parce que, autrement, le géant malhonnête de l’assurance n’aurait pas été subventionné et Goldman Sachs et les autres poids lourds de Wall Street n’auraient pas été remboursés.
La raison pour laquelle la panique s’est répandue sur les places boursières après le dépôt de bilan de Lehman était que le Fonds Principal de Réserve [Reserve Primary Fund], qui avait prêté 785 millions de dollars à Lehman (et reçu [en échange] des traites à court-terme que l’on appelle des titres de créance), ne pouvait pas suivre le rythme rapide des retraits de la part des clients inquiets. L’érosion soudaine de la confiance a déclenché une débâcle sur les marchés monétaires. Voici un extrait d’un article de Bloomberg, « Sleep-At-Night-Money Lost in Lehman Lesson Missing $63 Billion » [la leçon de Lehman : ce sont 63 milliards de dollars qui ont disparus du jour au lendemain] :
« Le mardi 16 septembre [2008], la débâcle du Fonds Principal de Réserve s’est poursuivie. Selon Crane Data, entre le moment où la banque Lehman a annoncé qu’elle se mettait sous la protection du chapitre 11 [loi sur les faillites aux Etats-Unis] et 15 heures, ce mardi-là, les investisseurs avaient réclamé 39,9 milliards de dollars, soit plus de la moitié des actifs de ce fonds.
« Selon la SEC [Securities Exchange Commission, le gendarme de la bourse de New York], les administrateurs de la Réserve ont donné comme instruction aux employés de vendre la dette de Lehman.
« Ils ne pouvaient trouver d’acheteur.
« A 16 heures, les administrateurs ont établi que cet investissement de 785 millions de dollars ne valait [plus] rien. Avec tous les retraits effectués sur ce fonds, la valeur d’une simple action avait fondu de 97%.
« Legg Mason, Janus Capital Group Inc., Northern Trust Corp., Evergreen et l’unité d’investissement Columbia Management de Bank of America Corp. avaient tous la capacité d’injecter des liquidités dans leur fonds pour éponger les pertes ou racheter leurs avoirs. Putnam ferma son fonds monétaire principal le 18 septembre et vendit plus tard ses actifs à Federated Investors, dont le siège se trouve à Pittsburgh.
« Selon les documents disponibles sur le site internet de la SEC, au moins 20 gérants de fonds monétaires furent obligés de rechercher un soutien financier ou de vendre leurs parts pour maintenir leur valeur d’actif nette à 1 dollar [c’est à dire à l’équilibre].
« Lorsque la nouvelle fut diffusée ce mardi-là, à 17 h 04, que le cours du Fonds Principal de Réserve était passé sous la monnaie [donc en dessous de $1], la débâcle avait commencé. » (Bloomberg)
Voilà à quoi ressemble une débâcle du système bancaire parallèle. Bernanke et Paulson avaient indiqué qu’il y avait un problème sur le marché des titres de créance et ils s’en sont servis pour accroître la pression sur le Congrès, afin que celui-ci approuve leur loi de sauvetage bancaire.
Bloomberg :
« Ce sont les titres de créance et l’industrie de 3,6 trillions [3600 milliards] de dollars du marché monétaire qui échangeait les traites qui étaient sur le point de faire sombrer l’économie mondiale – pas la crise des CDS [dérivés de crédit] ou des prêts interbancaires…
« A l’instar de la glace-9, substance imaginaire du roman de Kurt Vonnegut Jr, Le Berceau du Chat, écrit en 1963, dont un seul grain pouvait solidifier toute l’eau du monde, les titres de créance étaient la force cristallisante qui gela les marchés du crédit, étouffant la capacité des entreprises et des banques à emprunter l’argent nécessaire au paiement de leurs factures. » (Sleep-At-Night-Money Lost in Lehman Lesson Missing $63 Billion, Bob Ivry, Mark Pittman et Christine Harper, Bloomberg News)
Bernanke aurait pu régler ce problème instantanément. Tout ce qu’il avait besoin de faire était d’apporter les garanties explicites du gouvernement sur les marchés monétaires et des titres de créance. Cela aura arrêté immédiatement la débâcle bancaire. Mais il a choisi de ne pas le faire. Il a choisi d’attendre que le Congrès capitule afin qu’il puisse encaisser 700 milliards de dollars pour ses potes banquiers.
Selon le quotidien britannique The Telegraph :
« Mardi soir, le Trésor s’est littéralement mis à genoux devant Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des Représentants, l’implorant d’accepter que l’argent du contribuable subventionne le système financier. Bernanke, un disciple de la panique financière qui provoqua la Grande Dépression, a raconté aux législateurs apeurés qu’il n’y aurait plus de système bancaire en place d’ici lundi prochain s’ils n’agissaient pas. Paulson a parlé ouvertement d’instaurer la loi martiale et de la manière de nourrir le peuple américain si l’industrie bancaire et le commerce s’effondraient. »
Malgré leurs mises en garde désespérées, le lundi matin suivant, le système bancaire était toujours intact, exactement comme il l’était encore un mois plus tard lorsque les premiers fonds du TARP furent distribués aux grosses banques. Tout cela était bidon. Le problème n’était pas du tout celui des actifs toxiques des banques, mais celui des titres de créance et des marchés monétaires. La FED et le Trésor savaient qu’ils pouvaient compter sur l’ignorance abyssale du Congrès sur tout ce qui touche le domaine financier, et ils ne furent pas déçus. Le 3 octobre 2008, le Congrès vota le Plan de Sauvetage Financier (TARP). En effrayant tout le monde, Paulson avait triomphé.
Voici une brève chronologie de la chute de Lehman :
- Le 15 septembre 2008, Lehman Bros déposa le bilan, faisant s’effondrer le Dow Jones de 504 points.
- Le 17 septembre, le Dow Jones chuta de 449 points en réaction au plan de sauvetage d’AIG.
- Le 29 septembre, Le Dow vacilla de 777 points après que la Chambre vota « non » sur le TARP.
- Le 3 octobre, la Chambre vota le Plan de Sauvetage Financier (TARP) ; le Dow Jones perdit 818 points.
- Le 7 octobre, la FED créa la Facilité de Financement des Titres de Créance pour protéger le marché des titres de créance. Deux semaines plus tard, Bernanke annonça la Facilité de Financement pour les Investisseurs sur le Marché Monétaire, afin d’accorder des prêts de maturité plus longue.
Ce sont ces deux facilités qui ont soulagé la tension sur les marchés, pas les fonds du TARP. Il est clair que Bernanke savait exactement comment régler le problème, parce qu’il l’a fait dès que le TARP a été voté. Voici ce que dit l’économiste Dean Baker dans The American Prospect :
Le peuple américain a été escroqué par les représentants de l’industrie [bancaire] qui tiraient les manettes politiques au sein du gouvernement. C’est la véritable raison de la faillite de Lehman. Joyeux anniversaire !« Bernanke travaillait avec Paulson et l’administration Bush pour encourager un climat de panique. Ce climat était nécessaire afin de pousser le Congrès à voter à la hâte le TARP, sans restrictions sérieuses sur les indemnisations des directeurs, ni sur les dividendes, et sans les mesures qui auraient garanti un juste retour sur investissement de l’argent public.
« Bernanke n’a pas commencé à acheter les titres de créance avant que le TARP ne soit approuvé par le Congrès, parce qu’il ne voulait pas réduire la pression, ce qui aurait incité le Congrès à penser qu’il avait le temps pour mettre au point un meilleur ensemble de mesures de sauvetage. ("Did Ben Bernanke Pull the TARP Over Eyes?", Dean Baker, The American Prospect)
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