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02/10/2009

La délinquante, c'est l'économie

Jean Matouk

Les services de police peuvent faire tous les efforts qu'ils veulent, la délinquance ne cesse d'augmenter, selon les chiffres officiels. Délinquance liée à la drogue, cambriolages, « car et home jacking », vols à l'arraché, se multiplient. Les prisons sont saturées (60 000 détenus pour 50 000 places). L'unification très pertinente, sous un même commandement de la police de Paris, des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-d'Oise, permet au préfet de police de focaliser ses efforts sur tel ou tel quartier avec plus d'effectifs et de mieux concentrer le renseignement. Mais les sources du mal ne seront pas taries pour autant.

Les policiers surtout, mais tous les représentants de l'Etat, considérés comme étrangers dans certains quartiers, y deviennent des cibles. Leur travail, il faut le dire, est de plus en plus difficile. Ils sont poussés sans cesse à la bavure. Un gendarme est aujourd'hui devant les assises du Gard parce qu'il a tiré sur un véhicule en fuite et blessé mortellement l'un des passagers arrière. Il se trouve que c'était un petit délinquant, mais il n'avait que 17 ans.

Ce gendarme n'avait évidemment pas l'intention de tuer. Il risque quinze ans de prison. Chaque bavure, évidemment détestable, est le prétexte de nuits d'émeutes qui portent principalement préjudice aux personnes qui habitent les quartiers.

C'est l'économie qui est délinquante

Près de cent cinquante ans d'études socio-économiques sont-elles oubliées ou inutiles ? Le lien entre délinquance, chômage et pauvreté a été cent fois démontré. Certes, il y a des délinquants en période prospère et dans toutes les sociétés. Mais la délinquance, surtout la « petite » augmente, avec les difficultés économiques. Or la France a connu un chômage endémique au dessus de 9% pratiquement depuis 1992 ; il baissait doucement depuis 2000 ; la crise le fait remonter très vite. C'est l'économie qui devient délinquante et stimule la délinquance.

Il est tout aussi bien connu qu'il faut « agir par les deux bouts ». Celui de la répression, bien sûr, et Lionel Jospin a été obligé de reconnaître en 2001, que les socialistes avaient été naïfs sur ce point : quand la délinquance est installée , elle se consolide, se cristallise et les mesures économiques et sociales les meilleures sont à elles seules impuissantes, surtout à court terme. Malgré le RMI de Rocard, la CMU de Martine Aubry, l'embellie économique de 1997-2001, la délinquance a prospéré.

Mais compter sur la seule répression pour la réduire est absurde. C'est ce que prônait Nicolas Sarkozy ministre de l'Intérieur, puis Président et c'est sur ce point, un échec total. La répression, comme seul levier, dégrade à ce point les relations avec la police et la justice, que les affronter devient un défi à relever, un rite initiatique, pour des mineurs de plus en plus jeunes.

De plus, une économie ou la frustration pour un « toujours plus » impossible, devient un levier de croissance, et ou la crainte de perdre son emploi devient permanente, développe aussi l'usage des drogues, et la délinquance qui lui est subordonnée. Les philosophes sociaux nous expliquent bien que dans la lutte menée par chaque homme, chaque femme pour « être reconnue » et acquérir ainsi respect de soi et estime de soi, la menace économique comme le risque permanent, sont ressentis comme un mépris social face auquel la drogue, le suicide et la délinquance sont des réponses fréquentes.

Quinze élèves par classes, internats gratuits et « busing »

Au point où nous en sommes, une répression forte et maintenue est inévitable, mais elle n'a de sens que si est par ailleurs réduite la « délinquance » du système économique par plusieurs voies :

  • Réduction par l'impôt des inégalités génératrices d'irrésistibles frustrations.
  • Réduction du nombre d'élèves par classes dans les quartiers difficiles à moins de quinze, quitte à augmenter ce nombre dans d'autres quartiers.
  • Création à marche forcé de dizaines d'internats gratuits, éventuellement obligatoires par voie de justice, éloignant les jeunes à la fois des halls d'immeubles ou ils s'initient à la délinquance, et de familles dont ils ne reçoivent plus aucune éducation.
  • Mélange forcé des publics scolaires ; le « busing » américain lancé en 1971, pour transporter les enfants de certains quartiers dans d'autres, a été à l'origine de nombreuses réussites de noirs américains ; il a été tenté en France avec une certaine réussite dans neuf communes dont Oulins, Bergerac et Courcouronnes ; le gouvernement a dit en 2008 son intention de le développer. Dont acte !
  • Reconstruction et remobilisation, même si cela ne parait immédiatement efficace, du tissu associatif avec animateurs, que fut d'ailleurs Obama lui-même à Chicago.
  • Organisation d'un grande initiative nationale des entreprises et de l'Etat pour l'embauche de jeunes issus de l'immigration. Comme l'a formidablement démontré un article récent du « Monde », et les réactions qu'il a suscitées, trop de racisme des petits chefs bloque encore embauches et carrières des français d'ethnies différentes.

La première mesure, impliquant une réforme fiscale d'ampleur, doit financer les autres. Il faut faire la comparaison entre les économies aujourd'hui faites sur l'éducation et le social, et le coût total de la délinquance pour la société. Le solde ne fait aucun doute. Faute de quoi, sans pessimisme excessif, la vie va devenir véritablement impossible pour des pans entiers de la population, les autres se réfugiant, comme on le voit déjà aux Etats-Unis, dans des quartiers de haute sécurité de luxe, des prisons inversées, qui traduisent la dilution totale du lien social.

Rue89 - 01.10.10

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