ACTE 1 : DU PLAFONNEMENT A LA SIMPLE LIMITATION DES BONUS
On se souvient des phrases fortes prononcées par le président de la République devant les membres de l’Organisation Internationale du Travail à Genève à propos du capitalisme fou, de l’impossibilité d’attendre davantage pour refonder celui-ci. Joignant les actes à la parole, le président se sera montré particulièrement actif pendant le temps qui a précédé la réunion du G20 sur le dossier, il est vrai spectaculaire et fortement médiatisé, des bonus alias rémunération des traders.
La position défendue par la France a consisté à réclamer le plafonnement des bonus, arme posée comme absolue, de préférence à la taxation, pour modifier le comportement des acteurs financiers.
Las, dès le début du mois d’août, le gouvernement était trahi par une des banques françaises les plus influentes (on n’est jamais trahi que par les siens) : la BNP annonçait un milliard d’Euros pour ses traders contraignant Christine Lagarde à déclarer qu’il fallait « aller plus loin dans la désintoxication collective internationale » et « éradiquer la course à l’échalote ». Après avoir « convoqué » les banquiers à Bercy puis à l’Élysée, l’Etat français a donc fait montre d’un activisme remarqué face aux réticences de pays comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni préférant, pour des raisons obscures, une action de renforcement des capitaux propres des banques.
Or, qu’il s’agisse de la taxe Tobin et de toute action à entreprendre dans le domaine de la finance, rien ne saurait être envisagé dans un pays seul.
Tentant néanmoins d’ériger la France et ses banquiers en modèle planétaire et renouant en apparence ainsi avec les idéaux universalistes de notre pays, le président a affirmé sa détermination en nommant un « tsar des rémunérations », Michel Camdessus, ancien patron du FMI (décidément, ce haut lieu est bien connu de nos compatriotes), lequel s’est empressé de préciser modestement que sa feuille de route dépendrait du G20.
Début septembre, afin d’obtenir la signature de Gordon Brown au bas de la lettre commune franco-allemande pour le G20, les Français indiquaient cependant (Le Monde, 4 septembre) qu’ils avaient dû faire des concessions et qu’ils renonçaient à demander un plafonnement des bonus individuels des traders.
La fameuse lettre demandait seulement un examen des « moyens de limiter le montant des rémunérations variables dans les banques soit en proportion des rémunérations totales, soit en fonction des revenus et/ou des profits de la banque ». Exit donc le plafonnement et place à une réflexion sur les moyens de limitation des bonus. Fin de l’acte 1.
Acte 2 : le retour annoncé des bonus
L’acte 2 s’est joué quelques jours avant la réunion du G20. Lors d’une réunion préparatoire du G20, le 17 septembre à Londres, le président français déclarait « si nous obtenons un accord sur tout le reste, c’est-à-dire sur le bonus-malus, le fait que le paiement de ces bonus soit étalé dans le temps et sur les exigences en matière de fonds propres des banques, on peut dire que nous aurons trouvé un accord acceptable » et de préciser qu’il fallait faire preuve d’imagination, « l’imposition de règles plus sévères sur les fonds propres des banques (proposée, rappelons-le, par les Américains) étant une méthode plus efficace que le plafonnement des bonus ».
Au final, le G20 réuni à Pittsburgh les 24 et 25 septembre a décidé de prôner une réforme des politiques et des pratiques de rémunération reprenant les recommandations du Conseil de stabilité financière réunissant les banquiers centraux et les régulateurs nationaux :
- éviter (mais non interdire) les bonus garantis d’avance sur plusieurs années ;
- étaler dans le temps une part importante de ces rémunérations dites variables en les liant aux performances ;
- veiller à ce que la rémunération des dirigeants et de tous ceux dont l’activité est liée à l’exposition de l’entreprise aux risques soit alignée sur les performances et les risques pris ;
- obliger les entreprises à rendre plus transparents les éléments de rémunération et limiter les primes lorsque leur montant met en péril une base de capital solide ;
- veiller à ce que les comités de rémunérations (des entreprises) agissent en toute indépendance et à ce que les superviseurs aient autorité pour désamorcer des risques supplémentaires, y compris en modifiant les structures de rémunération dans le cas d’entreprises défaillantes.
Et le président français de conclure au vu de ces mesures : « La France a été entendue sur la question des bonus ».
Au final, le G20 réuni à Pittsburgh les 24 et 25 septembre a décidé de prôner une réforme des politiques et des pratiques de rémunération reprenant les recommandations du Conseil de stabilité financière réunissant les banquiers centraux et les régulateurs nationaux :
- éviter (mais non interdire) les bonus garantis d’avance sur plusieurs années ;
- étaler dans le temps une part importante de ces rémunérations dites variables en les liant aux performances ;
- veiller à ce que la rémunération des dirigeants et de tous ceux dont l’activité est liée à l’exposition de l’entreprise aux risques soit alignée sur les performances et les risques pris ;
- obliger les entreprises à rendre plus transparents les éléments de rémunération et limiter les primes lorsque leur montant met en péril une base de capital solide ;
- veiller à ce que les comités de rémunérations (des entreprises) agissent en toute indépendance et à ce que les superviseurs aient autorité pour désamorcer des risques supplémentaires, y compris en modifiant les structures de rémunération dans le cas d’entreprises défaillantes.
Et le président français de conclure au vu de ces mesures : « La France a été entendue sur la question des bonus ».
Epilogue : faisons comme si de rien n'était
A y regarder de plus près, il n’est pas totalement sûr cependant que ces dispositions formelles soient de nature à réguler la finance internationale ou même à contraindre véritablement une forte reprise (déjà en cours) de la croissance de la rémunération des génies de la finance que toutes les banques s’arrachent apparemment, tant il est vrai que c’est bien dans le domaine de la spéculation et non celui du financement de l’économie que celles-ci font l’essentiel de leurs profits en temps pour elles « normal », celui du fonctionnement d’un capitalisme financiarisé.
En regardant d’un peu plus près donc, on peut faire deux constats très liés, le premier relatif au paiement différé ou étalé dans le temps des fameux bonus, le second concernant la pratique effective du bonus-malus. A ces deux constats nous ajouterons un troisième à propos de l’exigence de renforcement des capitaux propres des banques.
Verser dans un compte bloqué sur plusieurs années le bonus des traders d’où pourraient être défalquées d’éventuelles pertes enregistrées ultérieurement est difficile à mettre en œuvre, comme l’observent Noël Amenc ou David Thesmar (Les Échos, 24 août) car un desk peut être redéfini ou fermé, les positions du trader peuvent être modifiées dans le futur sans son assentiment ou transférées à une autre entité. Les produits « toxiques » (dont le risque, souvent très élevé, est difficile à évaluer), que les traders manipulent par prédilection, ne causent leurs dégâts, comme le remarque Paul Seabright (Le Monde, 15 septembre), qu’après cinq, dix, vingt ans.
S’agissant du bonus-malus, il est, dans les faits, peu probable, contrairement à ce qu’aura déclaré Christine Lagarde sur RTL le 27 septembre, que les traders aient à « rendre les sous si ça va pas ». Baudoin Prot, DG de BNP Paribas et président de la Fédération des banques françaises aura, en effet, précisé entre temps (le 16 septembre) devant les membres de la commission des finances du Sénat que « le système tel qu’il a été conçu est un système où ce qui a été versé la première année ne peut être repris. Dans la mesure où des cotisations sociales ont été payées, ce serait très complexe de reprendre du salaire. Les opérateurs de marché sont des salariés, le droit du travail s’applique à eux (…). Nous n’avons pas les moyens de suivre sur trois ans les opérations individuelles d’un trader, c’est économiquement et comptablement impossible » (cité dans Libération, le 2 octobre).
Quant aux exigences en matière de fonds propres des banques évoquées par le président Sarkozy comme base d’un accord acceptable, les banques se sont vues accorder un délai de trois ans pour procéder au renforcement de leur capital pour les activités de trading.
Entre temps, une harmonisation des normes comptables pour définir ce que sont les capitaux propres des banques devra être produite…
Au final, le seul risque qu’encourent les traders sur leur rémunération est celui qu’ils contribuent eux-mêmes à générer : celui d’un nouvel effondrement des marchés financiers. Mais ils peuvent être rassurés : les contribuables seront là… du moins aussi longtemps que les citoyens n’auront pas pris eux-mêmes leurs affaires en main pour penser et mettre en œuvre une finance plus démocratique, au service du développement de l’économie.
En regardant d’un peu plus près donc, on peut faire deux constats très liés, le premier relatif au paiement différé ou étalé dans le temps des fameux bonus, le second concernant la pratique effective du bonus-malus. A ces deux constats nous ajouterons un troisième à propos de l’exigence de renforcement des capitaux propres des banques.
Verser dans un compte bloqué sur plusieurs années le bonus des traders d’où pourraient être défalquées d’éventuelles pertes enregistrées ultérieurement est difficile à mettre en œuvre, comme l’observent Noël Amenc ou David Thesmar (Les Échos, 24 août) car un desk peut être redéfini ou fermé, les positions du trader peuvent être modifiées dans le futur sans son assentiment ou transférées à une autre entité. Les produits « toxiques » (dont le risque, souvent très élevé, est difficile à évaluer), que les traders manipulent par prédilection, ne causent leurs dégâts, comme le remarque Paul Seabright (Le Monde, 15 septembre), qu’après cinq, dix, vingt ans.
S’agissant du bonus-malus, il est, dans les faits, peu probable, contrairement à ce qu’aura déclaré Christine Lagarde sur RTL le 27 septembre, que les traders aient à « rendre les sous si ça va pas ». Baudoin Prot, DG de BNP Paribas et président de la Fédération des banques françaises aura, en effet, précisé entre temps (le 16 septembre) devant les membres de la commission des finances du Sénat que « le système tel qu’il a été conçu est un système où ce qui a été versé la première année ne peut être repris. Dans la mesure où des cotisations sociales ont été payées, ce serait très complexe de reprendre du salaire. Les opérateurs de marché sont des salariés, le droit du travail s’applique à eux (…). Nous n’avons pas les moyens de suivre sur trois ans les opérations individuelles d’un trader, c’est économiquement et comptablement impossible » (cité dans Libération, le 2 octobre).
Quant aux exigences en matière de fonds propres des banques évoquées par le président Sarkozy comme base d’un accord acceptable, les banques se sont vues accorder un délai de trois ans pour procéder au renforcement de leur capital pour les activités de trading.
Entre temps, une harmonisation des normes comptables pour définir ce que sont les capitaux propres des banques devra être produite…
Au final, le seul risque qu’encourent les traders sur leur rémunération est celui qu’ils contribuent eux-mêmes à générer : celui d’un nouvel effondrement des marchés financiers. Mais ils peuvent être rassurés : les contribuables seront là… du moins aussi longtemps que les citoyens n’auront pas pris eux-mêmes leurs affaires en main pour penser et mettre en œuvre une finance plus démocratique, au service du développement de l’économie.
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