Le sommet du G 20 s’est teminé jeudi à Londres sans avoir pu adopter les principales revendications posées soit par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, venus défendre un projet coordonné de relance fiscale internationale, soit par un bloc européen ayant à sa tête l’Allemagne et la France et qui appelait à une règlementation internationale des grands instituts financiers.
Au lieu de cela, les deux camps ont dissimulé leurs divergences à l’aide d’un communiqué de neuf pages, consistant surtout en phrases grandiloquentes telle l’affirmation que tous les chefs d’Etats réunis « étaient d’accord sur la désirabilité d’un nouveau consensus sur les valeurs et les principes clés qui assureraient la promotion d’une activité économique durable ».
On y trouvait aussi l’affirmation, reprise pratiquement par tous les médias, que le sommet s’était mis d’accord sur « un programme supplémentaire de 1,1 billion de dollars de soutien à la restauration du crédit, de la croissance et les emplois dans l’économie mondiale ».
Le Financial Times de Londres publia un des rares articles qui traitait cet engagement avec le scepticisme qu’il méritait. « L’échec du G20 était trop pénible à contempler pour les dirigeants du monde et [le premier ministre britannique Godron] Brown a conclu la réunion par une avalanche de chiffres élevés pour déguiser le fait que les leaders ne s’étaient pas mis d’accord sur un nouvelle relance fiscale, telle que l’avaient réclamée messieurs Obama et Brown. »
Ce journal notait également : « Une bonne partie des 1100 milliards de dollars promis pour aider le monde à se remettre de la récession consiste en des engagements déjà pris ou en promesses qui n’avaient pas été concrétisées jusque-là. »
Le communiqué affirme que les gouvernments réunis à Londres allaient augmenter les ressources existantes du Fonds monétaire international à hauteur de 500 milliards de dollars afin d’aider les pays dit « émergents ». Selon des informations initiales, il n’est pas du tout clair d’où cet argent doit venir.
On rapporte que le Japon a promis 100 milliards de dollars, l’Union européenne 100 milliards de dollars et la Chine environ quarante milliards de dollars. A la conférence qu’il a tenue à l’issue du sommet, le président américain Barack Obama n’a pas dit que Washington prévoyait de fournir des sommes équivalentes, faisant état seulement du fait qu’il prévoyait de demander au Congrès d’approuver la maigre somme de 448 millions de dollars afin d’aider les « populations vulnérables, de l’Afrique à l’Amérique latine ».
Les pays opprimés savent, dû à une douloureuse expérience, que souvent de telles promesses ne se réalisent pas. Le président de la Commission de l’Union africaine, Jean Ping, dit à la BBC pendant le sommet qu’il proposerait une vente des réserves d’or du FMI afin de fournir de l’argent pour l’Afrique. « Nous ne demandons pas aux pays de sortir leur porte-monnaie et de nous donner de l’argent, parce qu’ils ont promis, promis et encore promis et n’ont rien fait », dit-il.
Dans un des rares points de l’accord ayant quelque substance, le G20 décida de permettre au Fonds monétaire international de créer 250 milliards de droits de tirage spéciaux, la monnaie synthétique du FMI basée sur le dollar, l’euro, le yen et la livre sterling. Le but est de renflouer les réserves des pays en devises étrangères, la part du lion allant aux nations les plus riches.
Résumant l’accord, le premier ministre britannique Brown dit que les gouvernements présents s’étaient mis d’accord sur le fait que le FMI allait dépenser 250 milliards de dollars supplémentaires sur deux ans pour essayer de contrer l’effondrement du commerce mondial. Comme le nota le Financial Times « Les contributions immédiates des pays du G20 ne se montèrent qu’à 3 ou 4 milliards de dollars, dit une annexe du communiqué. »
Même si la mesure de 1.1 billion de dollars dont on a tant parlé était authentique (ce qui n’est pas le cas) cela reviendrait à coller un morceau de sparadrap sur une plaie béante au thorax. Durant l’année écoulée, la désintégration des marchés boursiers internationaux, la chute du prix des marchandises et l’effondrement des prix immobiliers ont anéanti des richesses estimées à 50 billions de dollars. De plus le gouvernement américain et la Réserve fédérale ont dépensé, prêté ou garanti à eux seuls 12,8 billions de dollars pour sauver les banques américaines, sans effet notable pour ce qui est d’endiguer le flot des pertes d’emplois.
Brown a souligné d’autres points dans l’accord du G20 qui, une fois encore, étaient plus apparents que réels.
Une des mesures annoncées et qui ne fait que souligner l’échec des gouvernements français et allemands à atteindre leur objectif d’une règlementation internationale des institutions financières, consiste à transformer le Financial Security Forum existant en un Financial Stability Board. Le principal changement, mis à part celui du nom, serait l’addition de membres du G20 qui n’y sont pas représentés actuellement, comme la Chine, l’Inde et le Brésil. Cet organisme reste un organe de supervision sans réel pouvoir pour imposer des sanctions à des banques privées et aux institutions financières dont on considérerait les pratiques comme dangereuses pour l’économie mondiale.
Le président francais Nicolas Sarkozy fit l’éloge d’Obama et de Brown à la fin du sommet, tout en s’octroyant la paternité de ce qu’il dit être la plus grande réforme financière depuis Bretton Woods. Il y avait naturellement des tensions, des rivalités et des intérêts particuliers, dit-il, mais même les « amis anglo-saxons » étaient convaincus que des règles raisonnables étaient nécessaires..
En réalité, les Etats-Unis ont rejeté toute règlementation internationale de leur système bancaire. La déclaration des leaders du G20 disait : « Chacun de nous est d’accord pour faire en sorte que son système régulatoire interne soit fort. »
Une autre question, celle de l’élimination des avoirs toxiques qui paralysent le système financier, fut soulevée dans le communiqué sous la forme d’un vague engagement que chaque Etat du G20 prendrait individuellement « toute action nécessaire pour restaurer la fluidité du crédit ».
Les leaders du G20 renouvelèrent aussi un engagement solemnel de ne pas avoir recours au protectionnisme. Selon la Banque mondiale, dix-sept des vingt pays en question ont adopté de nouvelles mesures protectionnistes depuis la dernière fois qu’ils ont fait ce serment, c’est-à-dire depuis novembre dernier.
On a beaucoup parlé dans les médias du fait que les chefs d’Etat rassemblés ont approuvé une « répression » des primes indécentes et autres émoluments que s’octroient les banquiers. Le journal britannique Daily Telegraph écrivait jeudi qu’un accord avait été obtenu afin de « faire en sorte que les structures de compensation soient en rapport avec les objectifs à long terme des sociétés et la prise prudente de risque ».
Lors d’une conférence de presse tenue après le sommet, le président américain Obama dit nettement que l’intention n’était aucunement d’imposer des standards internationaux qui limiteraient les centaines de millions de dollars empochés par les directeurs de Wall Street. « Cela ne veut pas dire que l’Etat fasse de la gestion rapprochée » dit-il. « Cela ne veut pas dire que nous voulons que l’Etat dicte les salaires ; nous ne le voulons pas. Nous croyons, je pense, en un système de libre marché et comme je le crois, les gens le comprennent, aux Etats-Unis du moins, les gens ne gardent pas rancune aux riches ; ils veulent être riches. Et ça c’est bien. »
Ce furent Obama et Brown qui ont fait les déclarations les plus grandiloquentes au sommet de Londres. Obama appela celui-ci « un tournant dans notre poursuite du redressement économique mondial ». Brown affirma pour sa part que le sommet du G20 signifiait un nouvel ordre mondial qui émergeait avec le fondement d’une nouvelle ère de progrès et de coopération internationale.
Tout cela n’est que balivernes. Alors même que le sommet était en cours, la réalité de la montée du chômage se faisait sentir. Aux Etats-Unis on rapportait que 742 000 emplois supplémentaires avaient été détruits le mois dernier. En Espagne, le ministre du Travail annonçait que le taux de chômage avait atteint 15,5 pour cent (3,6 millions de chômeurs), le pire en Europe. En Grande-Bretagne, où se tenait le sommet, de nouvelles séries de licenciements de masse étaient annoncées, deux sociétés, le géant de l’assurance Norwich Union et l’avionneur Bombardier éliminant 2500 emplois supplémentaires.
Cette destruction d’emplois au niveau mondial continuera et ira s’intensifiant, menaçant de pauvreté et de faim des centaines de millions de gens. La Banque mondiale a publié une nouvelle prévision d’une contraction de 1,7 pour cent de l’économie mondiale. Son président, Robert Zellick, dit à la BBC : « Nous n’avons pas vu de chiffres comparables depuis la Deuxième Guerre mondiale, ce qui veut dire en réalité depuis la Grande Dépression. »
Et il avertit : « Nous croyons que cette croissance moindre conduira à la mort cette année de quelque 200 000 à 400 000 bébés. Donc, l’impact général est dramatique. »
Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, fut plus explicite encore dans le détail de la crise actuelle et de ses implications. Il dit au journal The Guardian : « Nous avons vu la rapidité effrayante du changement. Ce qui a commencé par une crise financière est devenu une crise économique mondiale. Je crains que la situation n’empire : une crise politique intégrale caractérisée par une agitation sociale croissante, des gouvernements affaiblis et des publics en colère qui ont perdu confiance en leurs dirigeants et en leur propre avenir. »
Il poursuivit ainsi : « Dans les périodes fastes, le développement économique et social vient lentement. Dans les périodes difficiles, les choses se désagrègent de façon rapide et il faut s’en inquiéter. Il n’y a pas loin de la faim à la mort de faim, de la maladie à la mort, de la paix et de la stabilité aux conflits et aux guerres qui dépassent les frontières et nous affectent tous, que nous soyons près ou loin. A moins de pouvoir construire un redressement au niveau mondial nous sommes confrontés à la menace d’une catastrophe du point de vue du développement de l’humanité. »
Quant à l’affirmation que ce sommet était le signal de l’émergence d’un « nouvel ordre mondial » basé sur la coopération internationale, il n’a en réalité que confirmé l’effondrement de l’ancien ordre mondial, établi à la suite de la Deuxième Guerre mondiale et basé sur la suprématie économique et financière sans rivale du capitalisme américain et sur un système monétaire mondial reposant sur le dollar.
Les Etats-Unis, jadis le moteur de la croissance mondiale, sont à présent la principale nation débitrice du monde et leur crise financière, le produit de décennies de détérioration de leurs forces productives et de l’adoption de formes de spéculation de plus en plus parasitaires, a entraîné une dépression mondiale de plus en plus profonde.
Obama aurait subi une humiliation plus grande encore s’il n’y avait pas eu la Chine. Mais cette dépendance de Pékin ne fait que souligner l’extraordinaire déclin économique et politique de l’impérialisme américain.
Commentant dans le Financial Times la réunion d’avant-sommet entre Obama et le président Hu Jintao où la Chine s’est dite d’accord pour donner des fonds au FMI, Geoff Dyer écrivait que la discussion à propos de l’émergence d’un G2 « reflète cette réalité que dans un nombre croissant de questions internationales, peu de choses peuvent se passer sans qu’il y ait accord entre les Etats-Unis et la Chine ».
Il nota que la Chine avait, elle aussi, pris une suite d’initiatives « qui démontrent un désir de se placer sur le devant de la scène », ce qui inclut la demande, la semaine dernière, faite par le président de la banque centrale chinoise, Zhou Xiaochuan, « de finalement remplacer le dollar en tant que monnaie de réserve internationale ». La Chine a proposé que le dollar soit remplacé par les droits de tirage spéciaux du FMI.
Un tel défi ouvert à la suprématie internationale du dollar et de son rôle en tant que monnaie de réserve menace la viabilité économique des Etats-Unis qui dépendent entièrement, pour le service de leur dette, du fait que les autres nations achètent des dollars. Mais la revendication de la Chine a été reprise par la Russie, le premier ministre Vladimir Poutine et le président Dimitri Medvedev pressant d’adopter le rouble en tant que monnaie de réserve régionale et de créer une nouvelle monnaie de réserve internationale émise par les institutions financières internationales.
Obama dit du sommet que ceux qui voyaient des désaccords et des conflits majeurs entre les divers partenaires avaient « confondu le débat franc et honnête avec des divergences inconciliables ».
En réalité, les antagonismes entre les pays impérialistes étaient patents durant tout le sommet et s’intensifieront inévitablement avec l’aggravation de la crise. Loin d’avoir mis en place un programme coordonné de sauvetage du capitalisme, le sommet de Londres n’a fait que démontrer la contradiction inconciliable entre une économie internationale intégrée et le système des Etats nations et aussi le fait qu’il est impossible que des Etats nations rivaux adoptent une approche véritablement internationale de la crise. Au bout du compte, le sommet de Londres 2009 et ses divers palliatifs seront vus de la même manière que le sommet tenu à Londres en 1933, c’est-à-dire comme un autre jalon dans l’effondrement international du capitalisme.
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