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13/04/2009

La résistance ou le servage, il va falloir choisir

Chris HEDGES

Les Etats-Unis se transforment actuellement en pays du Tiers monde. Et si nous ne faisons pas cesser immédiatement le pillage sauvage des fonds publics auquel se livrent nos élites, nous allons nous retrouver avec une dette de milliers de milliards de dollars, qui ne seront jamais remboursés, et une masse énorme de gens dans une misère que nous ne pourrons jamais atténuer. Notre démocratie anémique sera remplacée par un état policier fort. Les élites s’enfermeront dans des quartiers exclusifs protégés par des vigiles où ils auront droit à la sécurité, aux biens de consommation et aux services auxquels le reste d’entre nous n’aura pas accès. Des dizaines de millions de gens, réprimés avec brutalité, connaîtront une pauvreté perpétuelle. C’est l’aboutissement inévitable du capitalisme au service des intérêts privés débridés. L’objectif des plans de relance et de sauvetage n’est pas de nous sauver. Ils ont pour but de les sauver. Nous pouvons soit résister, c’est-à-dire manifester, détraquer le système, soit finir en état de servitude.

Le déclin économique dure depuis des dizaines d’années. Le philosophe politique canadien, John Ralston Saul, a décrit en détail ce déclin économique dans son livre en 1992 : "Voltaire’s Bastards : The Dictatorship of Reason in the West." ("Les bâtards de Voltaire").

David Cay Johnston a montré le mirage et la décomposition du capitalisme dans : "Free Lunch : How the Wealthiest Americans Enrich Themselves at Government Expense (and Stick You With the Bill)," ("Repas gratuit : comment les plus riches aux Etats-Unis s’enrichissent sur le dos de l’Etat (et vous laissent avec l’addition))"] et David C. Korten , dans "When Corporations Rule the World" ("Quand le secteur privé règne sur l’économie") et "Agenda for a New Economy," explique la conduite pernicieuse et les abus du capitalisme. Mais nos universités et les medias, enivrés par le pouvoir et croyant naïvement que le capitalisme mondial était une force de la nature qu’on ne pouvait arrêter, posaient rarement les bonnes questions ou donnaient rarement la parole à ceux qui le faisaient. Nos élites dissimulaient leur incompétence et leur perte de contrôle derrière la façade arrogante du jargon spécialisé et de théories économiques obscures.

Les mensonges utilisés pour masquer ce déclin économique sont légion. Le président Ronald Reagan avait inclus 1,5 millions de militaires de l’armée de terre, de la marine et de l’aviation dans la population active civile, ce qui avait permis de faire chuter miraculeusement le taux de chômage de 2%.

Le président Clinton avait décidé que ceux qui avaient renoncé à chercher du travail, ou ceux qui voulaient un emploi à plein temps mais ne trouvaient que du travail à mi-temps, ne seraient désormais plus comptés comme chômeurs. Cet artifice a permis de rayer des listes officielles du chômage quelque 5 millions de demandeurs d’emploi. Si vous travaillez plus de 21 heures par semaine (la plupart des employés à bas salaires qui travaillent dans des entreprises comme Wal-Mart effectuent 28h en moyenne), vous ne faites pas partie des chômeurs, même si votre salaire réel vous place en dessous du seuil de pauvreté. Le véritable taux de chômage aux Etats-Unis, si on compte ceux qui ont renoncé à rechercher un emploi et ceux qui n’ont pu travailler qu’à temps partiel n’est pas de 8,5% mais de 15%. Un sixième de la population active du pays est effectivement au chômage. Et les emplois disparaissent actuellement encore plus vite qu’au cours des mois qui ont suivi le krach de 29.

L’indice des prix à la consommation, utilisé par l’Etat pour mesurer le taux d’inflation ne veut rien dire. Pour maintenir les chiffres officiels de l’inflation à un niveau bas, le gouvernement s’est efforcé de remplacer les produits de base qui entraient précédemment dans la liste par d’autres dont le prix n’augmente pas beaucoup. Ce tour de passe-passe a rattaché les augmentations du coût de la vie à un taux d’inflation artificiellement bas.

W.P. Dunleavy, journaliste du New York Times spécialiste du secteur de la grande consommation, indique que ses achats d’épicerie s’élèvent cette année à 587 $ par mois, par rapport à 400 dollars l’an dernier. Il s’agit donc d’une augmentation de 40%. L’économiste californien, John Williams, qui dirige une organisation appelée Shadow Statistics, affirme que si Washington utilisait encore les méthodes de calcul employées dans les années 70, le taux d’inflation serait de 10%.

Le capitalisme, ainsi que les classes politique et intellectuelle au service des intérêts privés, ont bâti un système politico-financier sur des leurres.

Les organismes financiers se sont lancés dans le système pyramidal de prêt qui a créé des actifs fictifs. Ces actifs fictifs ont servi de garanties pour accorder des prêts bancaires supplémentaires. Les élites ont raclé des centaines de millions de dollars en bonus, commissions et salaires de cette manne fictive. Les responsables politiques, qui servaient docilement les intérêts du capital au lieu de ceux des citoyens, étaient inondés de dons de campagne et obtenaient des emplois lucratifs à la fin de leur mandat. Les universités, conscientes qu’il n’était pas dans leur intérêt de combattre le Capital, ont fait taire leurs scrupules pour aller mendier des dons et allocations auprès des entreprises privées. Des prêts bâtis sur du vent et l’endettement sur les cartes de crédit ont alimenté l’orgie de dépenses de la société de consommation, occultant les baisses de salaires et la perte des emplois industriels.

L’administration Obama, au lieu de choisir de changer de cap, s’est fixé pour objectif de regonfler la bulle. Les milliers de milliards de dollars de fonds publics dépensés à renflouer ces entreprises corrompues auraient pu servir à rénover notre économie. Nous aurions pu sauver des millions de personnes de la pauvreté.

Le gouvernement aurait pu, comme l’a fait remarquer Ralph Nader, militant pour la défense des consommateurs, ouvrir 10 nouvelles banques pour 35 milliards de dollars chacune et créer un effet de levier de 10 contre 1 grâce au développement du marché des crédits.

Des sommes énormes et inimaginables sont mises entre les mains sales de certaines sociétés privées sans aucun contrôle de ce qu’elles en feront. Or, elles utiliseront cet argent comme elles l’ont toujours fait, à savoir pour s’enrichir à nos dépens. "Vous allez être témoins des dilapidations, de l’imposture et des abus les plus phénoménaux de l’histoire des Etats-Unis", a répondu Nader quand on lui a posé la question sur ce plan de sauvetage. "Non seulement, il ne s’adresse pas aux bonnes personnes, non seulement il traite avec ceux qui ont commis ces exactions et non pas avec ceux qui en ont été les victimes, mais ses modalités n’imposent ni l’honnêteté ni l’efficacité.

Le Département de la Justice est submergé. Il n’a pas le dixième de procureurs, d’enquêteurs, d’experts et d’avocats nécessaires pour s’occuper de la vague de crimes commis par les sociétés privées antérieurement à leur renflouement et qui a débuté en septembre de l’année dernière. Il n’a, en particulier, pas les moyens de s’occuper du pillage insatiable de cet argent frais auquel se sont livrés les bénéficiaires. On en voit déjà les effets. Les sociétés financières ne s’en sont pas servies pour accorder des prêts. Elles en ont utilisé une partie pour procéder à des acquisitions, ou pour conserver leurs bonus et leurs dividendes. Dans la mesure où ces gens-là sont assurés de ne pas finir en prison, et où ils constatent que peu de journaux signalent que des collègues auraient été incarcérés, ils se fichent du reste. C’est l’impunité totale. Et quand les cadres quittent l’entreprise, ils s’en vont avec un parachute doré. Même Rick Wagoner (le PDG de General Motors) part avec 21 millions de dollars d’indemnités."

Une poignée d’anciens cadres ont reconnu que ce plan de sauvetage, c’était jeter l’argent par les fenêtres. L’ancien PDG de "American International Group Inc.", Maurice R. Greenberg, a déclaré jeudi devant le "Comité de la Chambre des Représentants des États-Unis pour la surveillance et la réforme du Gouvernement" ("House Oversight and Government Reform Committee") que les efforts pour remettre à flot la société avec 170 millions de dollars étaient un "échec". Selon lui, la compagnie devait être restructurée. Il aurait mieux valu, dit-il, qu’AIG se place sous la protection du "chapter 11" (qui aide les entreprises en difficulté, NDT) au lieu de demander de l’aide à l’Etat.

"Il y a des signes de décadence grave", explique Nader. "On dépense ces sommes d’argent sans savoir si le projet est viable".

"Le capitalisme en faillite est en train de mettre en faillite le socialisme qui tente de le sauver. C’est la phase finale. S’ils n’ont plus le socialisme pour les sauver, nous allons alors tomber dans la féodalité. Nous allons tomber dans la police privée, les quartiers où s’enfermeront les privilégiés ("gated communities") et les serfs façon XXI°s".

Nous n’aurons pas les moyens de réunir trois ou quatre mille milliards supplémentaires, surtout que nos engagements à réparer les dégâts s’élèvent aujourd’hui à 12.000 milliards de dollars. Il y a à peine un mois ou deux de cela, les dépenses s’élevaient à 9.000 milliards de dollars. Et il n’y a pas si longtemps que ça, des dépenses publiques aussi extravagantes étaient inimaginables. Il y a un an, les fonds de la Réserve Fédérale étaient limités à 800 milliards de dollars.

La relance de l’économie et le renflouement des entreprises privées ne vont pas faire revenir notre capitalisme de casino. Et comme il n’y a aucun signe que la crise sera un jour enrayée, qu’il n’y a aucun signe que le plan de sauvetage va fonctionner, l’imprudence et le désespoir de nos suzerains capitalistes s’accroissent.

Le coût pour les classes moyennes et ouvrières devient intolérable. La banque centrale américaine a annoncé au mois de mars que les ménages ont perdu 5100 milliards de dollars, c’est-à-dire 9% de leur patrimoine, au cours des trois derniers mois de l’année 2008, la chute la plus brutale en un seul trimestre qui ait été enregistrée depuis 57 ans que les archives de la banque centrale existent. Pour l’année entière, leur patrimoine a baissé de $11.100 milliards de dollars, à savoir de 18%. Ces statistiques n’englobent pas la baisse des investissements à la bourse qui a probablement fait perdre des milliers de milliards de dollars supplémentaires au patrimoine collectif du pays.

Le couperet au dessus de notre tête, inévitable si on ne change pas radicalement de politique, tombera subitement. Nous empruntons depuis ces dix dernières années au rythme de plus de 2 milliards par jour, et à un moment donné, il faut bien que cela cesse. Dès que la Chine, les états pétroliers et les autres investisseurs internationaux cesseront d’acheter des bons du trésor, le dollar deviendra de la monnaie de singe. L’inflation va monter en flèche. Nous serons dans l’Allemagne de Weimar.

La réaction furieuse et persistante d’un peuple en colère et trahi, une population qui n’est pas prête intellectuellement et psychologiquement à l’effondrement, se détachera des Démocrates et de la plupart des Républicains. Une cabale de rebelles proto-fascistes, depuis les démagogues chrétiens, les niais comme Sarah Palin et jusqu’aux animateurs télé grandes gueules, que nous considérons naïvement comme des bouffons, trouveront des adeptes avec des promesses de vengeance et de renouveau moral. Les élites, celles des diplômes de l’école de commerce d’Harvard et du vocabulaire recherché, s’enfermeront dans leurs enclaves privilégiées et confortables. Et nous, on nous laissera dehors, privés de tout et abandonnés.

Le Grand Soir - 13.04.09

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