À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

03/02/2009

Le glanage, versant discret de la pauvreté

Fin de marché à Belleville, quartier populaire de Paris. Parka noire et bonnet blanc, Yng fouille des cageots abandonnés par les maraîchers occupés à défaire leur stand.

Après une inspection en règle, un chou-fleur et quelques oranges à peine abîmés finissent dans son cabas usé. "Ce sera pour mon dîner", dit la jeune femme d'origine asiatique.

Près d'elle, un vieil homme en béret noir choisit deux mangues au fond d'un carton défoncé. Il dit avoir acheté un kilo de pommes à 50 centimes mais récupéré le reste du contenu de son panier.

Un peu plus loin, trois femmes s'invectivent en français et en arabe. "C'est à moi, c'est moi qui les ai ramassés", dit l'une, en serrant contre elle un sac d'où dépassent quelques poireaux. "Voleuse !", lui lance une autre.

Comme eux, des dizaines de personnes de tout âge récupèrent tout ce qui peut l'être avant l'arrivée des services de nettoyage. Ils y sont parfois invités par les commerçants.

"C'est cadeau, cadeau", annonce Ali avant de plier bagages. "Je donne, de toute façon c'est perdu", dit-il, tandis que deux femmes remplissent à la hâte des sacs en plastique bleu avant de disparaître rapidement, refusant toute conversation.

"Moi, c'est difficile, j'ai six enfants et mon mari est mort", dit une femme en foulard noir qui, comme les autres glaneurs interrogés, tient à garder l'anonymat.

A deux pas, une femme plonge le nez dans un bouquet de coriandre. "Je passais par là, je récupère ça mais je ne suis pas dans le besoin, contrairement à tous ces gens que vous voyez-là", dit-elle en s'excusant presque.

"DES GENS ONT FAIM DANS NOTRE PAYS"

Thème d'un célèbre tableau de Jean-François Millet et d'un film de la cinéaste Agnès Varda, le glanage est une tradition française remontant au Moyen-âge donnant le droit de se servir dans les champs après la moisson.

Une habitude qui perdure dans les exploitations de pommes de terre du nord de la France, notamment.

Champs et marchés ne sont pas les seuls lieux de glanage. Chaque soir à la nuit tombée, ils sont souvent des dizaines à venir récupérer fruits, oeufs et autres yaourts périmés jetés dans les containers à la fermeture des grandes surfaces.

Dans certaines banlieues défavorisées, des files d'attente se forment près des endroits où sont entassés les encombrants. On vient y récupérer des objets du quotidien ou bien des bouts de ferraille à revendre.

Pour les organisations caritatives, le glanage en 2008 n'a plus rien de culturel.

Christophe Auxerre, secrétaire national du Secours populaire, parle de "phénomène de société qui se nourrit des difficultés croissantes des gens.

"Il y a des gens qui ont faim dans notre pays. Le 15 du mois, il n'a plus d'argent pour remplir les assiettes", dit-il.

"Il y a des commerçants qui font attention en mettant les oeufs en haut dans la poubelle pour que des gens puissent les récupérer. Mais on ne va pas rendre les poubelles hygiéniques, c'est insupportable comme idée", ajoute-t-il.

Le Secours populaire a aidé deux millions de personnes en 2008, contre 1,5 million en 2007. Selon un rapport de la fondation Abbé Pierre publié mardi, 6,5 millions de personnes sont en situation de fragilité en France et 600.000 personnes âgées vivent en dessous du seuil de pauvreté.

POPULATION VULNÉRABLE

Le glanage alimentaire a fait l'objet d'un rapport présenté la semaine dernière par Martin Hirsch, haut commissaire aux Solidarité actives.

On y apprend qu'il est loin de concerner les seules personnes sans domicile fixe, très minoritaires, mais des gens aux profils variés. Certains dépendent du glanage qu'ils pratiquent plusieurs fois par semaine, d'autres y ont recours de façon épisodique.

"Cette enquête n'est pas un reflet de crise récente (...) mais elle est un élément de plus dans le panorama d'une population vulnérable sur laquelle il faut faire des choses très concrètes", a expliqué Martin Hirsch devant la presse.

"Au-delà du seuil de pauvreté, il y a une notion du 'reste à vivre' - ce qu'il reste pour l'alimentation, s'habiller, se transporter, etc. - et pour certaines personnes c'est quelques euros par jour", a-t-il ajouté.

Pour une part très minoritaire de glaneurs, récupérer est aussi une façon de protester contre la société de consommation et ses gaspillages.

C'est poussés par des motivations politiques que des militants d'extrême gauche organisent depuis quelques mois des pique-nique sauvages dans des supermarchés.

Ils installent tables et chaises et proposent aux clients des produits pris dans les rayons en interprétant librement un article du code civil stipulant que les consommateurs ont le droit de goûter certains produits avant de les acheter.

"On organise ça chaque fin de mois, au moment où les poches sont vides. Ça nous permet de faire passer un message : tout augmente, sauf les salaires", explique Victor Porcel, 34 ans, militant de l'Appel et la pioche, un mouvement proche du Nouveau parti anticapitaliste d'Olivier Besancenot.

REUTERS 03.02.09

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