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03/02/2009

Grande-Bretagne : la préférence nationale s'invite dans la crise

Des milliers de salariés britanniques sont en grève pour protester contre l'emploi de main d'oeuvre étrangère européenne dans le secteur florissant de la production d'énergie. Total, BP, Exxon, etc. sont accusées d'employer des Portugais, Italiens, Polonais, à moindre coût, en lieu et place de Britanniques de plus en plus touchés par le chômage et la crise.



(photo Uli Harder-flickr-cc)
(photo Uli Harder-flickr-cc)
« British jobs for British workers» (« Des emplois britanniques pour les travailleurs britanniques ») : cette promesse faite par Gordon Brown en septembre 2007, lors du congrès annuel du parti travailliste, lui avait à l’époque valu d’être accusé à la fois par la gauche de jouer le jeu de l’extrême-droite et par les conservateurs de vouloir porter atteinte aux lois européennes sur la libre circulation des travailleurs. Ses partisans avaient alors dû longuement s’expliquer sur le sens de ses propos : il s’agissait de valoriser la formation des Britanniques, et non d’exercer une quelconque préférence nationale. D’autant qu’à l’époque, la Grande-Bretagne faisait venir des ouvriers d’Europe de l’Est par milliers.

Mais depuis la semaine dernière cette phrase revient comme un boomerang, en pleine figure du Premier ministre britannique.

« British jobs for British workers», pouvait-on lire le 28 janvier dernier sur une banderole déployée, devant la raffinerie Total de Lindsey, dans le Lincolnshire (est de l’Angleterre), par les intérimaires du site en grève sauvage. Il venaient d’apprendre l’embauche de 300 ouvriers (eux aussi intérimaires) portugais et italiens par la société italienne Irem, chargée par Total de réaliser l’extension de la raffinerie. Autant d’emplois que les ouvriers de Lindsey auraient pu occuper, selon les grévistes. Une grève pour la préférence nationale à l’embauche, c’est du jamais vu en Angleterre. Une grève pour des emplois précaires, en plus : il ne s’agit que de missions d’intérim. Mais en Grande-Bretagne, la précarité est la règle : la raffinerie de Lindsey compte 550 permanents pour 200 à 1000 intérimaires.

Les producteurs d'énergie: des entreprises florissantes qui tirent les salaires vers le bas
BP, Total, ExxonMobil ou RWE (groupe allemand de production d’électricité) : la grève s’est très rapidement étendue aux autres producteurs d’énergie. Le 30 janvier, ils étaient 3000, employés de raffineries et de centrales en Angleterre, Ecosse, Pays de Galles, Irlande du Nord, à manifester et/ou faire grève contre les 300 ressortissants européens embauchés par la raffinerie Total. Un mouvement quasi-spontané, qui s’est développé — et continue à s'étendre — via les téléphones portables, les forums d’Internet.
Mais ce mouvement n’a rien de fortuit. Ce n’est pas un hasard s’il touche les producteurs d’énergie qui ont réalisé d’énormes profits ces dernières années. Ce qui rend très difficile à avaler lea combinaison d'une politique de salaires toujours tirés vers le bas, combinée à un appel à de la main d’oeuvre étrangère, évidemment moins bien payée que les ouvriers britanniques. Surtout dans un contexte de crise sévère — la Grande-Bretagne va être le pays européen le plus durement touché par la crise avec un recul de 2,8% de son Pib prévu pour 2009. Et alors que le gouvernement vient d’annoncer son deuxième plan de relance des banques en moins de trois mois.

D’où la crainte que le mouvement dépasse les producteurs d’énergie et gagne les ouvriers du futur stade olympique. De fait, selon The Independant, 200 travailleurs clandestins roumains auraient été «discrètement licenciés» du site — qui emploie plus de 3000 personnes — au cours des deux derniers mois. Pour calmer les esprits, le secrétaire national du syndicat des constructeurs immobiliers a cru bon de préciser que « 70% des ouvriers du site olympique sont britanniques et irlandais » et que sur les 30% restants «la plupart vivent ici depuis plus de vingt ans».

Terminé, le temps où l'Angleterre accueillait à bras ouverts la main d'oeuvre peu chère des pays de l'Est et du Sud de l'Europe. Désormais, tous les travailleurs étrangers — et plus seulement ceux de l’Est — sont donc perçus comme des concurrents déloyaux. Du pain béni pour les formations politiques d’extrême-droite comme le British National Party, qui tente de récupérer le mouvement et d’attiser les rancoeurs. Ainsi, à Lindsey, la centaine d’ouvriers italiens et portugais déjà arrivés sur le site sont confinés sur la péniche où ils logent : des rumeurs courent selon lesquelles certains extrémistes feraient la chasse aux Italiens dans les bars de la ville.

Marianne - Bénédicte Charles- Mardi 03 Février 2009 - 07:00

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