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10/07/2011

Illégitimité du G20… et du PIB !

Jean Gadrey

Là, vous allez me dire que je tombe dans la caricature en imaginant un quelconque lien entre les critiques des mésusages du PIB et les contestations de la légitimité du G20. Attendez la suite.

Il existe de multiples raisons de contester la légitimité du G20, qui apparaît à beaucoup, et pas seulement aux 173 pays qui en sont exclus, comme un dispositif au service des dominants des pays dominants.

Penchons-nous sur le principal argument utilisé pour en justifier l’existence et le pouvoir : le G20 tirerait sa légitimité économique du fait qu’il regroupe « les 20 pays les plus riches du monde », soit en tout « plus de 90 % » de la richesse économique produite dans le monde. Ce dernier chiffre est repris partout dans les médias, ou dans Wikipédia, ou par les dirigeants qui participent au G20.

Or nous allons voir 1) qu’il ne s’agit pas des 20 pays les plus « riches », 2) que le chiffre de 90 % du PIB mondial est largement FAUX, et SURTOUT 3) que le G20 repose sur un système censitaire excluant non seulement près de 90 % des pays mais UN GRAND NOMBRE DES PLUS GRANDS PAYS, si par « grands pays » on entend non pas ceux qui ont le plus gros PIB, mais ceux qui sont les plus peuplés. Et c’est ici qu’interviendra l’usage du PIB comme arme de domination et d’exclusion.

1) S’AGIT-IL DES « 19 OU 20 PAYS LES PLUS RICHES DU MONDE » ?

J’admets que cette question est vraiment secondaire, mais voyons quand même.

D’abord, au G20, il y a en fait 19 pays plus l’UE. S’y ajoutent des invités : le directeur général du FMI, le président de la Banque mondiale, celui du comité monétaire et financier international et celui du comité de développement du FMI et de la Banque mondiale. Autant de gens dont on sait qu’ils représentent bien les intérêts du Sud et des 173 pays exclus…

Les 19 « vrais » pays sont-ils les plus riches du monde ? C’est déjà faux si l’on prend les PIB aux taux de change courants, soit le classement suivant (FMI, 2010) : 1 États-Unis 2 Chine 3 Japon 4 Allemagne 5 France 6 Royaume-Uni 7 Italie 8 Brésil 9 Canada 10 Russie 11 Inde 12 Espagne 13 Australie 14 Mexique 15 Corée du Sud 16 Pays-Bas 17 Turquie 18 Indonésie 19 Suisse

Puis : 20 Belgique 21 Suède 22 Pologne 23 Arabie saoudite 24 Taïwan 25 Norvège 26 Autriche 27 Afrique du Sud 28 Argentine 29 Iran

On voit que, dans les 19 premiers, on trouve trois pays « non G20 » (Espagne, Pays-Bas et Suisse). Logiquement, on en trouve aussi trois qui sont au G20 en étant plus loin que la 19ème place : Arabie saoudite, Afrique du Sud et Argentine

C’est tout aussi FAUX si l’on prend les PIB en PPA (parités de pouvoir d’achat), ce qui est un meilleur reflet - même s’il est imparfait lui aussi - de la production économique réelle dans la sphère monétaire. Voici le classement 2009 du FMI, avec entre parenthèses le pourcentage de chacun dans le PIB mondial. Les pays du G20 sont en majuscules.

1 ETATS-UNIS (19,74) 2 CHINE (13,61) 3 JAPON (5,81) 4 INDE (5,40)
5 ALLEMAGNE (3,96) 6 RUSSIE (3,0) 7 ROYAUME-UNI (2,94)
8 FRANCE (2,90) 9 BRESIL (2,94) 10 ITALIE (2,39)
11 MEXIQUE (2,09) 12 COREE DU SUD (1,97) 13 Espagne (1,84)
14 CANADA (1,79) 15 INDONESIE (1,39) 16 TURQUIE (1,29)
17 AUSTRALIE (1,19) 18 Iran (1,12) 19 Taiwan (1,09)
Puis :
20 Pologne (0,97) 21 Pays-Bas (0,91) 22 ARABIE SAOUDITE (0,84)
23 ARGENTINE (0,84) 24 Thaïlande (0,79) 25 AFRIQUE DU SUD (0,71)

Ce que montre le classement précédent, c’est que certes tous les « poids lourds » en termes de PIB (PPA) sont au G20, mais qu’entre la 12ème et la 25ème place, on trouve des pays « non G20 » bien au dessus de pays du G20. En particulier l’Espagne et… l’Iran et Taiwan.

90 % DU PIB MONDIAL ?

Ce que montre aussi le second classement, en PPA, c’est que si l’on effectue la somme des poids économiques « réels » des 19 pays du G20, on ne trouve pas « plus de 90 % » du PIB mondial, mais 74,4 %, soit MOINS DES TROIS QUARTS !

Vous allez dire : oui, mais l’Union européenne est représentée, et son PIB, supérieur à celui des Etats-Unis, représente 21 % du PIB mondial en PPA ! Certes, mais qui peut penser qu’une voix pour 27 pays passablement désunis et dominés par les plus puissants est une représentation comparable à celle des intérêts nationaux des « vrais » pays du G20 ?
Venons-en à des arguments bien plus importants.

ET SI LE POIDS DES PAYS SE MESURAIT PAR LA POPULATION ?

C’est juste une hypothèse pour voir. On se dirait que les « 20 plus grands pays du monde » sont ceux où il y a le plus de gens qui exigent des mesures de progrès planétaire. Pas plus stupide que la « démocratie » censitaire, non ? Alors là, l’injustice de la représentation éclaterait en quelques chiffres, ce qui ne justifierait pas pour autant l’exclusion de 173 pays plus petits.

Population en millions des plus petits pays du G20 :
Corée du sud 49
Argentine 40
Arabie Saoudite 25
Australie 22

Population des plus grands pays exclus du G20 :

PARMI LES 20 PAYS LES PLUS PEUPLES DU MONDE, 10 NE SONT PAS DANS LE G20 et ont des populations de 3 à 7 fois plus importantes que celles de l’Arabie Saoudite. Et tous ont plus d’habitants que la France ! CES 10 PAYS EXCLUS RASSEMBLENT 1,08 MILLIARD D’HABITANTS…

Voici leur classement dans le top 20, en millions d’habitants en 2010 :
6 Pakistan 187,3
7 Bangladesh 158,6
8 Nigeria 155,2 Pays le plus peuplé d’Afrique.
12 Philippines 101,8
13 Éthiopie 90,9
14 Viêt Nam 90,5
15 Égypte 82,1 (pays le plus peuplé du Monde arabe et Moyen-Orient)
18 Iran 77,9
19 Rép. dém. du Congo 71,7 (pays francophone le plus peuplé)
20 Thaïlande 66,7, plus que la France avec ses 65 millions (63 en métropole)…

LE PIB COMME ARME DE DOMINATION ET DE DESTRUCTION DE LA DÉMOCRATIE MONDIALE

Le PIB, en tant qu’outil de mesure et d’analyse, n’est pas « coupable » des dérives dans son usage politique, symbolique et médiatique, je le répète à nouveau. Mais on voit ici à quel point il intervient comme outil de légitimation d’une domination qui est illégitime selon tous les critères d’une démocratie internationale authentique. En fait, les puissants du monde se contrefichent du PIB comme outil d’analyse. Mais ils l’emploient ad nauseam pour faire passer l’idée suivante : il est « naturel » et logique que le club des pays qui « ont le plus gros » (même si on a vu que ce n’est pas tout à fait exact) dirige le monde en contournant les Nations Unies.

Et cela passe… en tout cas dans les médias dominants. On n’y pose jamais la question : pourquoi ce critère devrait-il l’emporter sur – par exemple – celui des « plus gros besoins » de développement humain durable, ou sur celui, plus simple, et auquel je reste attaché dans l’état actuel du monde, « un pays, une voix », ou sur d’autres possibilités ne faisant pas de la richesse économique monétaire l’alpha et l’omega du poids des peuples dans le concert des nations.

LE PIB UTILISÉ CONTRE L’UNIVERSALITÉ DES DROITS

L’usage du PIB dans la légitimation du pouvoir exorbitant d’un club de « riches » revient à évacuer les droits. Si le poids politique est mesuré par la richesse marchande et monétaire, alors on dénie implicitement tout droit universel de représentation politique à une énorme partie de l’humanité : tous les paysans du monde (et leurs familles) qui vivent principalement de l’autoproduction, la majorité des femmes, les enfants, les personnes âgées, et d’autres.

On sait pourtant que le travail non rémunéré produit d’innombrables richesses, biens et services sans lesquels la production économique monétaire (le PIB) s’effondrerait instantanément. Des sociétés ont pu et peuvent encore survivre avec un PIB nul, aucune économie monétaire n’est viable sans les activités gratuites de reproduction de la vie (et sans la gratuité d’innombrables ressources naturelles hors PIB).

On sait à quel point les pays économiquement riches n’ont pu faire grossir leur PIB qu’en exploitant partout, et d’abord au Sud, la gratuité hors PIB de ressources humaines et naturelles aujourd’hui dévastées. Le capitalisme a connu un siècle d’énergie à bas prix, de ressources du sous-sol abondantes et peu chères, provenant de pays du Sud qui, après leur indépendance officielle, sont restés dominés via la dette, les programmes d’ajustement structurel, les interventions directes, la corruption et les guerres. Derrière ces conquêtes, il s’agissait dans tous les cas d’accaparer des ressources presque gratuites pour les transformer en sources de croissance et de profits au Nord.

Les riches détruisent nos patrimoines communs pour asseoir leur richesse et pour s’asseoir sur les droits humains, telle est aussi la signification du recours abusif au PIB pour conforter leur domination via le G20.

http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2011/06/20/illegitimite-du-g20%E2%80%A6-et-du-pib/

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