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13/07/2011

“Le jeu en Afrique porte un nom : « bénéfices »”

Laura Gallego

Le 40 % du pétrole importé par les États-Unis est extrait du Delta du Niger, au Nigeria. Si l’or noir est de nos jours la mesure de richesse d’un lieu, celui-ci devrait être un verger. Et il l’est, littéralement. C’est l’un des écosystèmes les plus valorisés du monde, mais la population y vit plongée dans la pauvreté. Rien, de tous les profits des grandes compagnies pétrolières, ne tourne à l’avantage des communautés – en parlant d’argent, évidemment. Car des maladies et de la pollution, elles en créent tous les jours.

Dans le Delta du Niger, qu’une tour de pétrole brûle n’a rien de neuf. La nouveauté, par contre, serait que le gouvernement du Nigeria ou les gouvernements étrangers qui achètent ce pétrole, agissent contre les abus des multinationales. Au milieu de ce panorama, il y a des héros – ou militants, appelez-les comme vous voulez –, qui consacrent leur vie à dénoncer les coupables et à conscientiser les victimes afin qu’elles ôtent leur manteau de peur et luttent pour leurs droits. Celestine AkpoBari, responsable de programmes sur l’énergie et l’industrie minière à l’ONG Social Action, en est un exemple.
Question : Les compagnies pétrolières investissent d’habitude une part de leurs bénéfices pour se faire une belle image et se gagner l’appui de la communauté qui entoure leurs installations. Mais dans le Delta du Niger, des compagnies comme Shell semblent faire fi de cette “nuance”. Qu’il est triste devoir vous le demander, mais cela se passe-t-il car il s’agit d’Afrique ?
Réponse : La conspiration internationale contre l’homme noir est plus vieille ; nous pouvons parler de la colonisation, sans besoin de trop ajouter, ou de la néocolonisation des multinationales qui poursuivent l’assaut. Les compagnies en Afrique ne sont pas là pour améliorer notre vie, mais plutôt pour poursuivre leurs plans de faire fortune, en collaborant, bien évidemment, avec des gouvernements tels celui du Nigeria ou des leaders qui y sont prêts. Mais oui, le jeu a un nom : “bénéfices, bénéfices, bénéfices”. Que les gens meurent en Afrique n’importe personne. Pas une seule communauté, dans le Delta, a de l’eau potable. Personne n’a du gaz chez lui. Il n’y a pas une seule raffinerie dans tout le pays. Les terres sont polluées, les fleuves sont pollués, les poissons sont pollués. Les femmes font de fausses couches spontanées, les bébés naissent déformés, les enfants souffrent de diarrhées mortelles, les gens sont atteints de maladies de peau, de reins, de poumons, et beaucoup meurent à cause de la pollution. Ils n’ont même pas l’option de protester parce que la police ou l’armée débarquent aussitôt pour réprimer leur tentative. Shell possède des installations et des conduits de substances toxiques très dangereux, situés à proximité de nos maisons, collèges et terres de culture. Dans les pays occidentaux, si une tour de gaz brûle, c’est une tragédie. Au Nigeria, cela se passe tous les jours, mais ça ne fait rien. Le gaz brûle 24 heures sur 24, 365 jours par an, tous les ans.
Le gouvernement local est déjà accusé de complicité. Je me demandais si ce n’était pas bien ce dernier qui devrait exiger à Shell et autres compagnies le respect des normes de sécurité dans le pays...
Si, mais en fait Shell et le gouvernement nigérian ne sont que les deux faces d’une même médaille, deux partenaires dans ce jeu. Il suffit de savoir que le ministre de l’Énergie, qui contrôle le pétrole, était employé chez Shell. Lors des dernières élections, 80 % des membres des listes électorales étaient patronnés par cette dernière. Shell est donc sous la protection de ceux d’en-haut, lesquels détiennent le pouvoir et préfèrent cette alliance plutôt qu’investir sur ceux d’en-bas. Ainsi, Shell peut détruire l’environnement et dévaster notre région, parce que le gouvernement détournera le regard pour les protéger à eux. Dans certaines occasion, Shell se charge voire d’appeler l’armée à intervenir contre a population ; pas quelqu’un du gouvernement, mais eux directement ! Ils sont presque identiques. Le gouvernement et les compagnies pétrolières profitent des ressources de la région par-dessus tout, voire les droits de l’homme. Tous deux sont responsables, mais jamais personne n’a rendu de compte.
Shell avance que la plupart des rejets sont dûs au vol et au pillage des habitants de la région, que ceux-ci empêchent le nettoyage parce qu’ils peuvent gagner davantage d’argent grâce aux indemnisations...
Quel nettoyage ? Ils ne disposent d’aucun plan de nettoyage. Ils extraient le brut puis creusent un trou où ils le brûlent, tout simplement, ce qu’ils veulent éliminer. Souvent, ils brûlent un village entier, car ils perdent le contrôle sur le feu. Beaucoup de régions ont ainsi été détruits. Non, croyez-moi, ils n’ont rien fait, ils devraient impliquer la communauté s’ils voulaient nettoyer, non pas amener mille soldats pour dire qu’ils veulent arranger la région. Sabotage ? C’est un mensonge. On parle de cela maintenant qu’il y a un mouvement de résistance et de lutte pour dénoncer et obtenir le respect des droits ; mais, il y a 30 ans, quand les gens subissait les conséquences sans se plaindre, on ne parlait d’aucun sabotage. Les gens sont incapables de vendre ce brut dans le marché, c’est un négoce de grands, de hauts cadres du gouvernement, de ceux qui travaillent dans ces multinationales, c’est pour les gens corrompus, non pas pour les humbles habitants du Delta. Que pourraient-ils faire du brut volé ? Pour cela, nous autres militants avons surgi, pour demander le partage des bénéfices.
Pouvez-vous recourir à la justice dans cette bataille ?
Réellement non, parce que le système de justice n’est absolument pas indépendant. Les tribunaux sont au service du gouvernement qui, à son tour, est au service des compagnies pétrolières. Il y a des années, suite à plusieurs demandes des habitants du Delta, les compagnies pétrolières ont préféré faire du lobbyisme et soudoyer les tribunaux plutôt que destiner ces efforts à l’aide des communautés locales. Tout est resté là, et la justice n’a toujours pas été faite.
Mais vous auriez bien un objectif ; s’il n’y avait point d’espoir, j’imagine que cette bataille n’aurait pas lieu...
Mon objectif est que les gouvernements établissent des minimums, parce que, en fin de compte, les compagnies pétrolières sont responsables aussi de l’image de leurs gouvernements. Je veux qu’on exige à Shell, par exemple, de déclarer le volume de ses extractions sur une page Web, de déclarer combien elle paie au gouvernement pour le contrat qui lui autorise la réalisation ces extractions. Parce qu’il s’agit aussi des droits de l’homme. Ils ont, pendant plus de 25 ans, complètement méprisé les gens du Delta du Niger. Maintenant, ils doivent protéger ces victimes et garantir la justice. Dans ce sens, la pression de la société civile est importante. Celle-ci doit forcer ses autorités à établir ces standards minimums.
Quant aux compagnies et au gouvernement de mon pays, je leur demande d’assumer leurs responsabilités. Tandis qu’on continue d’exploiter les richesses de la zone, d’investir au moins dans les communautés : dans l’amélioration du niveau de vie, dans des collèges, dans des centres médicaux, dans l’électricité... Et de nettoyer toute la pollution qu’ils ont causée. Le gouvernement ne peut continuer d’offrir la sécurité aux compagnies pétrolières alors que ce sont elles qui commettent des abus.
Les élections présidentielles récentes supposent-elles un motif d’espoir ? Y aura-t-il des changements ?
Je n’espère rien de neuf, parce qu’ils ne sont pas arrivés au pouvoir par le soutien des gens, mais par l’argent des entreprises, et ils le leur doivent. Seul un président ayant obtenu ses votes du peuple sera en mesure de travailler pour lui. Si Muhammadu Buhari – ou tout autre opposant – avait gagné, il y aurait de l’espoir. Mais celui qui a gagné sort d’un parti corrompu.
Alors, malgré tout ce qu’on est en train de dire sur les devoirs de chacun, le seul espoir des habitants du Delta du Niger, ce sont les militants comme vous. Outre affronter la solitude évidente, quels risques courrez-vous dans cette lutte ?
Ce genre de lutte, on le choisit, personne ne vous appelle. Moi, je vis à la seconde, même pas à la minute ni au jour ; je remercie Dieu pour chaque seconde. Parce que c’est dangereux. On va dans votre bureau, on vous arrête tous les jours, on vous bat, vous torture... mais sans sacrifice, on n’obtient rien dans la vie et, pour moi, c’est ce qui donne sens à ma vie, c’est mon objectif. Je serai l’être le plus heureux au monde, si j’obtenais quelque victoire pour ma communauté. Je suis engagé avec elle. On m’a offert du travail à l’Étranger, plus précisément le gouvernement espagnol, mais je ne pense pas partir. J’essaie de conscientiser les gens afin qu’ils perdent la peur et osent faire face à cela. Mais dans ma vie, la peur n’a pas de place.

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