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13/07/2011

L’art de gérer un legs encombrant

Laurent Bonelli et Raffaele Laudani

Comment différencier les formations d’extrême droite de celles de droite ? Quelles sont les propriétés propres des unes et des autres, de leurs programmes, de leurs idéologies ? Omniprésentes dans les débats académiques et médiatiques, ces interrogations n’ont sans doute pas beaucoup de sens. Le découpage de la vie politique en catégories autonomes, supposées étanches, ne résiste en effet pas à l’analyse. Et néglige les enjeux proprement politiques des classements, dans lesquels « extrême droite » reste toujours plus disqualifiant que « droite nationale ».
Faire l’histoire de cette mouvance, ce n’est donc pas rechercher des caractéristiques intrinsèques à un parti, mais se donner les moyens de penser les alliances plus ou moins plausibles, les continuités plus ou moins possibles, observables nationalement ou localement. La question se pose particulièrement pour l’Espagne et l’Italie, deux Etats où l’extrême droite a exercé durablement le pouvoir, avec la dictature du général Francisco Franco (1939-1975) et celle de Benito Mussolini (1922-1943  (1)).
En Espagne, la transition démocratique laissa peu de place aux partis se revendiquant du franquisme. Ils conservent certes une influence dans les forces de sécurité, lançant même une tentative de coup d’Etat militaire le 23 février 1981. Mais ils ne pourront jamais peser électoralement, en raison notamment de l’absorption de nombre de leurs militants — et de leurs thématiques — par la principale formation de droite, l’Alliance populaire (AP). Confiée à M. Manuel Fraga, ancien ministre du tourisme et de l’information de Franco, l’AP va devenir la principale force d’opposition au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE), au pouvoir de 1982 à 1996.
Rebaptisée en 1989 Parti populaire (PP) et dirigée par M. José Maria Aznar, cette formation agrège des votes allant de la droite chrétienne-démocrate aux secteurs les plus nostalgiques du franquisme. Et son gouvernement varie en fonction des alliances qu’elle doit contracter. Plutôt libéral (privatisations et réduction des dépenses sociales) dans la coalition qu’il dirige entre 1996 et 2000, le PP prend un tournant plus conservateur une fois reconduit en 2000, cette fois à la majorité absolue.
Il s’engage résolument dans la « guerre globale contre le terrorisme », en Afghanistan, puis en Irak ; fait voter une loi restrictive sur l’entrée et le séjour des étrangers ; et interdit Batasuna (« Unité »), une formation de la gauche nationaliste basque. Il impose également une réforme rétablissant l’éducation religieuse et morale catholique dans le primaire et le secondaire.
Son retour dans l’opposition en mars 2004 ouvre une période de tension entre ceux qui souhaitent faire du PP un parti libéral traditionnel (comme le maire de Madrid Alberto Ruiz Gallardón) et les partisans d’une ligne plus dure. La nomination de M. Mariano Rajoy au poste de secrétaire général traduit une recherche d’équilibre, mais c’est du côté de ses électeurs les plus radicaux que le PP va chercher des soutiens. Il faut lire en ce sens son opposition farouche aux débats sur la guerre civile (« Certains collectifs veulent récupérer les vieux fantômes d’un passé déjà surmonté », accusait ainsi M. Ignacio González, vice-président de la communauté autonome de Madrid), voire au retrait des monuments fascistes (celui, en 2005, de la statue équestre de Franco dans le quartier Nuevos Ministerios, à Madrid, est pour les dirigeants locaux « l’acte le plus radical de l’histoire démocratique »).
Le PP va également appuyer les offensives de la hiérarchie catholique contre le mariage homosexuel (dont M. Rajoy estime qu’il « dénature l’institution de base du mariage ») ; contre l’instauration d’une éducation civique à l’école (« par laquelle la gauche entend diriger la volonté des enfants et modeler leurs consciences », selon Mme Alicia Delibes, vice-conseillère à l’éducation de la communauté de Madrid) ou contre l’allongement du délai légal de l’avortement (« Le pire recul démocratique en trente ans de démocratie, car, pour la première fois, un groupe de personnes, celles qui ne sont pas nées, peuvent être éliminées de manière terrible et sans droit à aucune défense », martèle M. David Pérez, porte-parole du groupe à l’Assemblée de Madrid).
Le PP va aussi réactiver l’idéologie franquiste de l’unité nationale, c’est-à-dire la méfiance envers les autonomies régionales. En 2006, M. Eduardo Zaplana, porte-parole du PP, déclarait que, dans le gouvernement de M. José Luis Zapatero, « gagnent ceux qui veulent détruire l’Espagne ». Dans la même veine, il appuie en 2010 certaines municipalités qui refusent aux migrants en situation irrégulière l’accès aux services de santé et d’éducation.
Mais Rome n’est pas Madrid.Le PP espagnol a marginalisé l’extrême droite quand, en Italie, le courant « postfasciste », incarné par l’actuel président de la Chambre des députés Gianfranco Fini, et le courant « séparatiste », de la Ligue du Nord de M. Umberto Bossi, restent tous deux puissants.

Un parti fasciste qui abandonne
ses vieux habits idéologiques

Coïncidence ? Certainement pas : le Mouvement social italien (MSI) — le parti surgi des cendres du fascisme après guerre — échappa au ghetto où la Ire République (1947-1994) l’avait confiné lorsque M. Silvio Berlusconi descendit dans l’arène. Le long flirt entre celui-ci et M. Fini atteint son apogée avec la fondation du Peuple de la liberté (PDL), parti unique de centre droit. Or celui-ci, telle une bonne fée, a porté sur les fonts baptismaux, en 1994, la jeune Alliance nationale (AN), sous le nom de laquelle le parti fasciste a changé de peau, abandonnant ses vieux habits idéologiques (2), en particulier les préjugés antijuifs et proarabes typiques de la droite dans la péninsule.
Ce fut le prélude à la construction, inédite dans l’histoire italienne, d’un parti de droite « à l’européenne », à cheval sur les traditions populaires allemande et gaulliste, à même paradoxalement d’assumer des positions parfois plus « progressistes » que le Parti démocrate (PD) en matière de droits civils (de la fécondation assistée à la reconnaissance des couples de fait, en passant par le droit de vote des migrants légaux)...
L’ultime étape de cette transition se joue depuis quelques mois dans une confrontation directe avec M. Berlusconi, dont M. Fini semble devenu le principal adversaire. De fait, si ce dernier a longtemps exploité son rapport privilégié avec le président du Conseil, quitte à endosser une partie de ses dérives personnelles, l’apparition d’un parti unique de centre droit — qualifiée a posteriori d’« erreur (3) » par le chef de l’AN — a ôté aux transfuges de ce parti toute marge de manœuvre autonome.
Voilà pourquoi M. Fini a fini par se heurter à la figure encombrante du Cavaliere, englué dans des scandales sexuels et judiciaires dignes du Bas-Empire. Avec la désertion de l’Union du centre (UDC), un des produits de la décomposition de la « baleine blanche » — surnom de la Démocratie chrétienne —, et face à l’inaction du PDL, réduit à l’invention d’obstacles à l’« acharnement » de la magistrature contre le président du Conseil, le centre de gravité du gouvernement a fait mouvement vers la Ligue du Nord. Et cette dernière, à la différence de l’AN, a préféré s’allier à M. Berlusconi sans pour autant se fondre dans le PDL.
D’où l’ambition désormais affichée par M. Fini de devenir calife à la place du calife — et la surexposition de sa « différence ». Ce faisant, il a ressuscité deux principes caractéristiques de la droite d’hier, sacrifiés pour cause d’étreinte avec le berlusconisme : la légalité et le culte de l’Etat, piliers du jeune Futur et liberté pour l’Italie (FLI). Fondé en novembre 2010 en réaction à l’expulsion du chef de l’AN du PDL, ce parti se présente comme une alternative modérée, constitutionnelle et sociale au berlusconisme.
Si son parcours paraît moins tortueux, la Ligue du Nord n’en dépend pas moins des aventures de l’actuel président du Conseil. Allié avec Forza Italia pour constituer le premier gouvernement Berlusconi, ce mouvement « antisystème » prônant la sécession, puis la fédération, porte-parole des instances les plus agressives des milieux patronaux, a connu lui aussi une profonde mutation.
Transformé en parti de gouvernement, il conforte ses pouvoirs locaux en participant aux institutions nationales. Aux élections régionales de 2010, la Ligue a rassemblé, dans ses huit régions-phares, 19,77 % des suffrages — et même 35,15 % en Vénétie. Certains commentateurs se demandent si « la Ligue est encore fédéraliste » et si elle n’a pas trahi ses idéaux pour s’installer aux commandes (4).
En pratique, elle se livre à un grand écart entre pragmatisme et mythologie de la « Padanie » — une entité aux origines douteuses, censée unir tous les peuples de l’Italie septentrionale, héritière de la civilisation celte et dépositaire des racines chrétiennes de l’Europe. Plus que la dénonciation de « Rome la voleuse », qui ne sert qu’à mobiliser la base, c’est sa participation aux institutions qui favorise la tutelle des intérêts (égoïstes) du Nord dont la Ligue se veut le porte-parole.

La Ligue du Nord incarne
une politique antisociale
et hostile aux immigrés

Si le berlusconisme est un laisser-faire sans libéralisme (5), la Ligue exprime un libéralisme sans laisser-faire : elle n’en assume que les dimensions antisociale et xénophobe — comme avec la triste invention des « rondes citoyennes » contre la « criminalité extracommunautaire ». Mais la polémique sur l’immigration clandestine sert de test pour une attaque plus vaste contre les règles du marché du travail, afin de « libérer » ce dernier des « contraintes » sociales, dans le cadre d’une tutelle clientéliste sur ses propres territoires : le parti de M. Bossi devient ainsi le principal héritier du combat contre l’« assistentialisme » de feu la Démocratie chrétienne.
Les deux droites italiennes emphatisent leurs différences, mais elles n’ont rien d’incompatible. Les noms de leurs deux dirigeants respectifs ne se retrouvent-ils pas côte à côte au bas de la principale mesure politique adoptée par le centre droit ces dernières années : la loi Bossi-Fini sur l’immigration (2002), une des plus dures du Vieux Continent ?
Certains observateurs insistent sur la sincérité du tournant démocratique de M. Fini, évoquant son douloureux divorce d’avec la femme exaltée qu’il avait rencontrée du temps de leur militance fasciste (6). Son profil modéré n’en paraît pas moins une mutation avant tout tactique, adaptée à la vision de grands patrons désireux de prendre leurs distances avec le dernier cycle d’un berlusconisme finissant (mal).
En vingt ans, la Confindustria, l’organisation patronale, a alterné son soutien au « modéré » Romano Prodi (qu’elle préfère) et à l’« extrémiste » Berlusconi (qu’elle supporte... de moins en moins). En arrachant la confiance de la Chambre, le 14 décembre, le président du Conseil a néanmoins démontré qu’il n’était pas encore hors jeu. Bien qu’il l’ait emporté en achetant les voix de quelques députés « finistes », son sort dépend désormais de la Ligue.
Il n’empêche : grâce à cette victoire à la Pyrrhus, M. Berlusconi peut préparer les législatives anticipées en position de force : une transition sans lui s’avérant impossible, il pourra, en tant que chef du gouvernement, choisir une loi électorale qui lui soit favorable. Quant à M. Fini, il sort à l’inverse diminué de ce vote, qu’il appelait pourtant de ses vœux. Non seulement la défection de quelques-uns de ses parlementaires a permis la victoire du Cavaliere, mais l’espace qu’il voulait conquérir à droite se referme. De fait, l’UDC et d’autres forces mineures viennent d’annoncer la naissance d’un nouveau Pôle du centre.

(1) Déposé et arrêté le 25 juillet 1943, Mussolini, libéré par un commando SS, présidera la république de Salò de septembre 1943 à avril 1945.(2) M. Fini a symboliquement « bouclé la boucle » lors d’une visite officielle en Israël en 2003, quand, devant le mur des Lamentations, kippa sur la tête, il a qualifié les fascismes de « mal absolu du XXe siècle ». Cf. Piero Ignazi, Postfascisti ? La trasformazione del Movimento sociale in Alleanza nazionale, Il Mulino, Bologne, 1994.(3) Die Welt am Sonntag, Berlin, 7 novembre 2010.(4) Luca Ricolfi, « Ma la Lega è ancora federalista ? », La Stampa, Turin, 10 septembre 2010.(5) Lire Carlo Galli, « M. Berlusconi, théoricien de la “débrouille” », Le Monde diplomatique, septembre 2009.(6) Reste à éclaircir le rôle du « modéré » Fini, alors vice-président du Conseil, dans les événements tragiques du G8 de Gênes (2001), lorsque la police forçait les manifestants qu’elle torturait à crier : « Viva il Duce ! » (Nick Davies, « The bloody battle of Genoa », The Guardian, Londres, 17 juillet 2008).

http://www.monde-diplomatique.fr/2011/01/BONELLI/20030

1 comentário:

Anónimo disse...

Ruíz Gallardón hizo secuestrar la revista Cambio 16 en 1983, por informaciones sobre el escolta de manuel fraga iribarne RODOLFO ALMIRÓN......

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