Marc Endeweld
Accumulant les mauvais résultats économiques, le groupe de distribution d’articles de sport, Go Sport va mal. Ses salariés aussi. Tous dénoncent des conditions de travail dégradées, la pression du chiffre, l’exigence de polyvalence et la course aux primes. Principale variable d’ajustement, les salariés font part de leur ras-le-bol.
Centre commercial de Lyon la Part-Dieu, mardi 21 juin à 17h45 : au magasin Go Sport, ils sont une dizaine de salariés (sur 45) à se mettre en grève spontanément. En pleine préparation des soldes. Une manifestation est même improvisée devant le magasin. Signe d’un ras-le-bol, ces salariés soutiennent un des leurs qui a été mis à pied durant quinze jours et convoqué pour un entretien préalable à un licenciement début juillet. Selon la direction, le jeune homme de 28 ans aurait insulté et menacé du poing un supérieur. L’employé nie les faits et parle d’un simple désaccord. Mais les revendications sont plus larges : le mouvement vise à obtenir le respect des accords d’entreprise signés en 2008 et une revalorisation des salaires. Au final, la mobilisation va durer près de cinq jours, jusqu’au samedi suivant, avec distribution de tracs devant les badauds intrigués.
Une enseigne en difficulté
Depuis, Go Sport a finalement fait machine arrière, et le salarié mis en cause a repris son poste : « Tout est rentré dans l’ordre, nous explique la direction du groupe, et le climat social du groupe ne peut se résumer à cette affaire. » Son de cloche très différent du côté des représentants du personnel : « Ce mouvement est la résultante de tous les problèmes que l’on rencontre à Go Sport », estime Pascal Biamonti, délégué syndical CGT.
Il est vrai que « Go » va mal. Très mal même. Depuis plusieurs années, le groupe enchaîne les résultats négatifs. Encore – 5,9 millions d’euros sur l’année 2010. Et l’année 2011 s’annonce déjà mauvaise. À la fin des années 1980, Go Sport était pourtant une belle entreprise, avec des vendeurs souvent passionnés de sport, de nombreux matériels proposés aux clients. Cette entreprise familiale installée à Sassenage près de Grenoble est rachetée en 1990 par le patron de Casino, Jean-Charles Naouri, qui en détient toujours 72% du capital via sa holding Rallye. Mais les années suivantes sont fatales à cette enseigne qui rassemblait alors surtout des magasins de centre-ville : Décathlon, avec son positionnement discount, son modèle intégré (avec ses marques propres), et sa puissance de feu (243 magasins), l’a terrassé.
« On nous demande plus avec moins de personnels »
Alors, les directions successives de Go Sport tente de colmater les brèches. Entre novembre 2007 et novembre 2010, les effectifs ont été compressés, passant de 3.040 à 2.554 équivalents temps plein. Devant la difficulté de la tâche, Laurent Hénot, le DRH du groupe arrivé en 2006, est désormais sur le départ. C’est également le cas de Sébastien Miceli, ancien responsable de la formation, après deux ans de service. De son côté, la direction explique que « la situation des effectifs montre que nous fonctionnons actuellement avec 3,3% d’effectifs en plus qu’en juin 2010 ».
De décembre 2010 à juin 2011, on assiste effectivement à une légère augmentation des temps complets. Signe plus inquiétant : la rénovation des magasins lancée en grande pompe en 2010, proposant un nouveau « merchandising », est suspendue jusqu’au premier semestre 2012, selon plusieurs syndicalistes. Ce que réfute également la direction : « En 2011, 10 nouveaux magasins ont été remodelés. Les remodeling ne sont pas interrompus. » Mais en ce début d’été, la pression sur les salariés est d’autant plus forte que la direction a décidé de ne pas embaucher de CDD pour la période des soldes : « On nous demande plus avec moins de personnels et moins de moyens », dénonce un salarié d’un magasin dans le nord de la France. Là encore, la direction n’apporte pas le même éclairage : « Les CDD ne sont pas bloqués (…). Notre objectif reste le respect de notre budget d’effectif, pas moins. » Soit.
La valse des directeurs
Les salariés se plaignent également du fait que le barème des primes a été relevé de 18%. Résultat : « On court après des primes inatteignables », témoigne un salarié parisien. De son côté, la direction tient à souligner que « le chiffre de 18% est sorti de son contexte et doit être mis en face des objectifs de toutes les autres semaines de l’année. Il y a un budget propre à chaque magasin et en aucun cas un objectif unique applicable à l’ensemble des magasins. » Reste qu’avec un salaire de base de 1.050 euros net, « la motivation est au plus bas », constate un de ses collègues.
Les hiérarchies intermédiaires ne sont pas en reste. C’est même la valse des directeurs. Depuis six mois, quatre directeurs régionaux sont partis. Selon les syndicats, depuis deux ans, près de 30% des directeurs de magasins, subissant une pression folle de la direction, auraient quitté leur poste. « En trois ans, j’ai vu défiler quatre directeurs », nous raconte une vendeuse d’un magasin de la région parisienne. Qui ajoute : « L’ancien directeur a subi un harcèlement moral de son supérieur hiérarchique. La pression, ils nous la font retomber dessus. »
De la polyvalence à outrance
« La réduction des effectifs, on la ressent sur le terrain. Jamais les salariés n’ont été aussi stressés et débordés qu’en ce moment, critique Christophe Lavalle, délégué syndical Force ouvrière de Go Sport France. Et quand vous êtes pris entre l’urgence de mettre en rayon et celle de répondre aux clients, il arrive que ces derniers en pâtissent. » Les vendeurs ne savent plus où donner de la tête : « Le directeur nous demande d’être polyvalents alors que le chef de rayon nous dit de rester uniquement à notre place », se désespère une vendeuse parisienne. En tout cas, les vendeurs doivent savoir tout faire : mettre en rayon, gérer les appareils techniques, et conseiller les clients. Certains sont mêmes formés à la caisse pour pallier le manque d’effectif. « Et quand les clients te tombent dessus, ils ne te lâchent plus. Au rayon vélo, il m’arrive d’être seul le matin, alors que je dois assurer le flux marchandise, monter les vélos, les mettre en rayon, répondre aux clients et les réparer. En plus, certains vélos sont stockés à plus de 4 mètres de hauteur ! », raconte un salarié d’un grand magasin de la région parisienne.
« Il y a 20 ans, les vendeurs de Go Sport étaient des sportifs qui faisaient partager leur passion. Aujourd’hui, on est transformé en vendeurs Darty qui proposent des cartes de fidélité », dénonce Christophe Lavalle. Des cartes de fidélité difficiles à écouler, car elles coûtent 8 euros (alors que la concurrence les délivre gratuitement). Chaque jour, les caissiers ont des objectifs de carte. Pour les « motiver », des tableaux nominatifs de suivi de cartes ont même été mis en place. Et quand ils n’en vendent pas assez, certains directeurs n’hésitent pas à les sanctionner. « Cela ne met pas une bonne ambiance », remarque un salarié. « Quand on exprime un désaccord, ils nous disent “si tu n’es pas content, t’as qu’à démissionner” », témoigne un autre.
Un credo : la politique du chiffre
Dans les magasins « remodelés » avec un nouveau merchandising, la politique du « chiffre » règne : « Il y a une réunion le matin dénommée le “lancement de journée” où les chiffres des jours précédents sont présentés ainsi que les objectifs pour la journée. Puis, il y a deux autres réunions à la mi-journée et à 16 heures pour faire le point. Mais ils nous demandent souvent des chiffres irréalisables, comme + 20% par rapport à l’année dernière ! »
Tous les salariés en témoignent : les conditions de travail se sont considérablement dégradées au fil des années. Tous évoquent la « pression » sur leurs épaules. Certains critiquent également le manque de considération de leur hiérarchie. Souvent, les plannings ne sont pas affichés dans un délai de trois semaines comme le prévoit la loi : difficile dans ces conditions de gérer sa vie privée… Dans le magasin de Gonesse ou dans celui de Calais, les salariés ont dû attendre près d’un an avant que la climatisation soit réparée. Il n’existe d’ailleurs pas de CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail) pour l’ensemble du groupe.
Une situation difficile pour les salariés… qui n’empêche nullement le conseil d’administration du groupe Go Sport d’augmenter les salaires des cadres dirigeants. Cette année, le salaire fixe du Président, Pierre Letzelter est passé de 150.000 euros à 166.500 euros, et celui du Directeur général, François Neukirch est passé de 350.000 euros à 404.250 euros ! Des chiffres qui laissent amers plus d’un salarié au sein du groupe : « Go Sport est en fin de vie », souffle un salarié désabusé.
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