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04/03/2011

Ménage à trois : sport, médias et argent

Arnaud Racapé, Thibault Henneton

Les droits de diffusion télévisuels, les liens étroits entre les médias et les épreuves sportives populaires, et la proximité entre certains présentateurs et quelques sportifs influent fortement sur le traitement de l’information sportive [1]. Une information gangrénée par l’argent.
La sociologue Françoise Papa est la première à rappeler le lien historique entre sport et médias. Après tout, le quotidien l’Auto est à l’origine de la création du Tour de France en 1903, tandis que les plus célèbres journalistes européens ont impulsé la mise en place de la coupe européenne de football (1954) : l’actuelle Ligue des champions.
Des liens étroits se tissent à mesure que les organes de presse et la télévision investissent dans le monde du sport pour s’assurer l’exclusivité des grandes compétitions. Des sommes inimaginables il y a encore vingt ans, où une saison entière de football se négociait autour de 10 millions de francs (1,5 millons d’euros), explique Eric Maitrot, ancien journaliste à l’Équipe, auteur d’un ouvrage sur les liens entre sport et télévision [2]. En 2004, « on a atteint des sommets avec 600 millions d’euros » (dépensés par Canal+ pour la période 2005-2007, un record en France).
« Pour la beauté du geste, la vie fera le reste »  [3]
Le revers de la médaille réside dès lors dans la nécessité de faire fructifier au maximum l’investissement. Encenser le spectacle – ou mettre en scène le scandale -, qu’importe sa qualité ou le peu d’informations dont on dispose par ailleurs. Pour autant, à la direction des sports de Canal+, Karim Nedjari nie tout contrôle dans la parole de ses journalistes, commentateurs et consultants. « On achète, et après on fait ce qu’on veut. Ce n’est pas l’audience qui compte, c’est la satisfaction de l’abonné. » La nuance est subtile. La satisfaction des abonnés n’influe-t-elle pas sur l’audience ?
La parole de Canal+ est « lisse et indolore », juge pour sa part Fabrice Jouhaud, rédacteur en chef de L’Equipe. L’on a tôt fait de verser dans « l’idolâtrie ‘acritique’ du sport, baptisée (...) ‘culture sportive’ » que Jean-Marie Brohm [4], docteur en lettres, tient pour obstacle principal à l’analyse de l’institution et de sa « criminalité rampante ». « C’est vieux comme la création de la télé, poursuit Eric Maitrot. Dominique Le Glou m’avait dit pour mon livre : le journalisme de sport à la télé est mort avec l’apparition des premiers contrats d’exclusivité. »
L’Équipe  : propriétaire puissant, monopole gênant
Toujours plus loin dans le consensus, toujours plus haut dans le spectacle et l’émotion, la mise en valeur des sportifs et l’analyse chiffrée des événements, statistiques à l’appui. Au moment même où le journaliste se mue progressivement en supporter, il cherche à maintenir une distance grâce à ce vernis de « scientificité ». Là n’est pas la seule contradiction. La télévision, Canal+ en tête, investirait trop dans le sport pour en faire la critique. Des soupçons de complaisance auxquels n’échappe pas l’héritier du quotidien l’Auto : L’Equipe.
Propriété du groupe de presse Amaury Sport Organisation (ASO), l’Équipe occupe une place singulière dans le paysage médiatique français : sa position dominante dans le traitement de l’information sportive, et son appartenance au groupe organisateur du Tour de France et du Paris-Dakar - deux compétitions internationales de premier plan qu’il couvre largement - font du titre un objet d’analyse et de critique récurrentes.
« C’est historique, cela fait très longtemps que ça existe, c’est dans la culture de la maison (...) ils le gèrent plutôt pas mal », tempère Eric Maitrot. Et Fabrice Jouhaud d’ajouter : « j’ai l’impression qu’on nous reproche de ne pas nous contredire tous les deux jours, de ne pas apporter un autre son de cloche (...) Mais qui sort des affaires de dopage, les interviews de cyclistes qui dérangent ? Nous. »
Historique, la propension d’ASO à user de ses deniers pour contrer toute tentative de concurrence l’est également. En 1987, Eric Maitrot fait partie de l’aventure Le Sport, quotidien sportif fondé par d’anciens journalistes de l’Équipe, dont l’existence n’a pas excédé quelques mois. « Vous arrivez sur le marché du quotidien de sport face à une institution qui a des moyens considérables, et qui fait une grosse campagne de relance à ce moment-là ».
Dernier exemple en date, la tentative ratée en 2008 du ‘10 Sport’, réduit au silence en quelques mois par la contre-attaque d’ASO et la création d’ ‘Aujourd’hui Sports’. « J’adorerais que l’Équipe ait un concurrent, cela créerait une émulation, avance Fabrice Jouhaud. Mais la vérité c’est que toutes les tentatives arrivent avec trop peu de moyens ». Trop peu de moyens face à l’entreprise baignée de culture monopolistique qu’ils trouvent sur leur chemin, sans doute.
« L’accréditation est un processus de sélection des individus »
Télévision, radio, presse écrite, les médias de sport participent au verrouillage de l’information. Une tendance articulée autour du droit d’exclusivité et de son inévitable alter ego, l’argent : celui des droits de retransmission imposés par les organisateurs (CIO, Fifa…). Hier seules les télévisions, aujourd’hui les radios, doivent s’en acquitter (voir le débat sur cette question en 2002 en France : voir le site de la Direction générale des médias et des industries culturelles, tandis que la presse écrite, pauvre en ressources publicitaires, résiste encore malgré les tentatives pour l’y forcer, comme lors de la Coupe du Monde de football en 2006. Pour le sociologue Loïc Hervouet [5], cette pression « conduit à cimenter le milieu, au sens presque réel, à rendre tous les acteurs complices, à contrôler l’esprit critique, à y transformer l’information en communication au service de la cause. »
Au cours de ses travaux portant sur la couverture médiatique des grandes compétitions globales tels que les Jeux olympiques, Françoise Papa a été amenée à poser la problématique en ces termes : l’information sportive est-elle une marchandise ou un droit [6] ? En théorie, rien n’est plus important que le droit à l’information, érigé en valeur suprême des démocraties. Dans les faits, « le processus d’accréditation des journalistes dans ce genre de compétitions est un processus de sélection des individus. Et vu ce qu’on paie, on a intérêt à y rester le plus longtemps possible, à jouer le jeu. »
Les règles du jeu en question sont fixées par l’organisateur qui met à la disposition des journalistes « une machine absolument extraordinaire à fabriquer de l’information. Un système de résultats autonome, une agence de presse qui produit de l’information, au point qu’un journaliste peut couvrir l’événement sans même se rendre sur le site des épreuves. »
Pour l’envers du décor, on repassera. « En Angleterre, je suis allé voir Patrick Vieira à Manchester, relate à son tour Kader Boudaoud, reporter et commentateur à France Télévisions. Mais je n’ai pas pu aller au stade, car c’est Canal qui a tous les droits. Tu ne payes pas, tu n’as pas accès. J’ai donc convenu avec Vieira de nous retrouver après le match, loin de l’enceinte [du stade]. » Le droit à l’information n’est pas un droit des journalistes, c’est un droit du public. « Pendant « Stade 2 », on a le droit de diffuser une minute trente d’images de Canal + », regrette Kader Boudaoud.
Ce droit, c’est pourtant tout ce qui leur reste.
Arnaud Racapé et Thibault Henneton

Notes

[1] A ce sujet, voir également l’enquête d’Acrimed : L’investigation est un sport de combat : enquête sur le journalisme sportif.
[2] Eric Maitrot, Sport et télé : les liaisons secrètes, Flammarion, 1998
[3] Maidi Roth, Pour la beauté du geste, générique des sports à France Télévisions
[4] Jean-Marie Brohm, La loi de la jungle, stade suprême du sport ? Article paru dans le Monde Diplomatique en juin 2000.
[5] Cité par François Simon, Quel journaliste de sport demain ? Paru dans les Cahier du journalisme, N°19, hiver 2009
[6] Françoise Papa, L’information sportive, une marchandise ou un droit ? Paru dans les Cahiers du journalisme N°11, 2002

http://www.acrimed.org/article3547.html

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