Bernard Cassen
Pour une armée battant en retraite, on dit que l’humiliation suprême est d’abandonner son drapeau sur le champ de bataille. Pour récupérer le précieux morceau de tissu, un officier n’hésitera pas une seconde à sacrifier autant de vies de soldats qu’il le faudra. C’est une logique du même type qui, deux ans après le déclenchement de la dernière en date des crises du capitalisme, inspire les mesures prises ou projetées par les gouvernements de la zone euro : quel qu’en soit le prix, il sauver non pas l’Europe ni même l’Union européenne (UE), mais la monnaie unique et les politiques de régression sociale dont elle est le rempart ! Et la sauver aux conditions fixées par Angela Merkel, avec Nicolas Sarkozy comme junior partner.
Déjà la chancelière allemande avait imposé à ses partenaires de l’UE la révision du traité de Lisbonne, décidée lors du Conseil européen de décembre 2010. Il s’agit de créer un Mécanisme européen de stabilité (MES) destiné à prendre, en 2013, la relève du Fonds européen de stabilité financière (FESF) mis en place en mai 2010. Le MES contiendrait des clauses encore plus draconiennes que celles du FESF [1]. On croyait pourtant qu’il était difficile de faire « mieux » que ce Fonds qui place les Etats sous la tutelle de la « troïka » Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international (FMI). Pour ne prendre qu’un exemple, c’est cette « troïka » qui exige que la Grèce privatise ses entreprises publiques à hauteur de 50 milliards d’euros. L’un de ses membres a même demandé au gouvernement d’Athènes de « vendre des plages pour développer le tourisme » [2].
Ce n’était qu’un début… Toujours au prétexte de sauver la monnaie unique, Angela Merkel, avec le soutien du président français, veut maintenant faire adopter par les 17 pays de la zone euro (et à ceux des 10 autres membres de l’UE qui le souhaiteraient) un « pacte de compétitivité » qui les obligerait à adopter des politiques communes (c’est-à-dire celles de l’Allemagne) non seulement sur le niveau de leur endettement public et sur la fiscalité des entreprises, mais également sur la politique salariale et les systèmes de retraite. C’est ainsi que devrait être supprimée l’indexation des salaires sur le taux d’inflation dans les pays (Belgique, Luxembourg et Portugal) où elle existe encore, et que l’âge de départ à la retraite devrait être porté le plus rapidement possible à 67 ans.
Avec le Pacte de stabilité (signé en 1997), les Etats membres de l’UE avaient déjà perdu leur souveraineté budgétaire ; avec la monnaie unique, les membres de la zone euro avaient renoncé à leur souveraineté monétaire. Il restait seulement aux Etats la fiscalité comme levier d’action macro-économique, mais elle est prise en otage par la mise en concurrence des systèmes fiscaux dans l’UE. Si l’on ajoute à ces dépossessions, la disparition de toute autonomie en matière de politique sociale, on ne voit plus de quelles marges de manœuvre disposerait désormais un gouvernement, et donc à quoi pourraient bien servir des élections à l’avenir.
Ce « pacte de compétitivité » doit être discuté lors d’un Conseil européen extraordinaire le 11 mars et adopté lors du Conseil ordinaire prévu deux semaines plus tard. Si c’est le cas, il viderait de son contenu toute alternance politique, notamment en France, visant à mettre en œuvre des mesures de rupture avec le néolibéralisme. Il faudrait alors choisir entre l’acceptation du carcan européen et le respect de la démocratie.
Notes
[1] Lire Bernard Cassen, " Un consensus de Berlin imposé à l’Europe", Le Monde diplomatique, décembre 2010, et "Euro : le génie sorti de la bouteille"
[2] Le Monde, 15 février 2011.
http://www.medelu.org/spip.php?article741
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