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09/07/2010

Ouragan d’austérité sur l’Europe

Jérome Duval , Damien Millet , Sophie Perchellet

La crise actuelle est le moyen idéal pour le FMI d’appliquer en Europe les recettes ultralibérales frelatées qu’il distille aux pays en développement depuis le début des années 1980. Délégitimé par trois décennies d’ajustement structurel imposé brutalement aux peuples du Sud, le FMI est remis au cœur du jeu politique depuis que le G20 a pris en charge la gestion de la crise en 2008. Le Sud a été le premier champ de bataille, l’Europe en est aujourd’hui son prolongement. Le FMI multiplie ainsi les prêts à une série de pays européens qui éprouvent des difficultés pour rembourser une dette publique soudainement gonflée suite au fort ralentissement économique et aux plans de sauvetage des banques, dont la recherche effrénée de profits avait mené à la crise.

En 2007, la Turquie était le seul pays d’envergure à faire encore appel au FMI. Nombre d’autres pays (Brésil, Argentine, Uruguay, Philippines…) avaient remboursé de manière anticipée le FMI pour ne plus dépendre de sa tutelle encombrante. Ces temps de vache maigre sont terminés pour le FMI qui a ouvert une ligne de crédit à une dizaine de pays d’Europe en moins d’un an et intervient désormais sur de multiples fronts. L’institution voit alors ses bénéfices, hors ventes d’or, quadrupler pour son exercice 2009-2010 (clos fin avril) s’établissant à 534 millions de dollars, contre 126 millions lors de l’exercice précédent. Confier la gestion de la crise à un organisme qui en tire profit à ce point ne devrait pas rassurer le citoyen… Par ailleurs, alors que le Fonds impose des gels - voire des baisses - de salaire un peu partout, celui de son directeur général, le socialiste français Dominique Strauss-Kahn, a connu une hausse supérieure à 7% lors de son arrivée, pour se stabiliser à un demi-million de dollars par an.

Premier pays touché : la Hongrie en 2008, avant l’Ukraine, l’Islande et la Lettonie. Puis, en 2009, le Belarus, la Roumanie, la Serbie, la Bosnie, et plus récemment la Moldavie et la Grèce. La liste de pays sollicitant un prêt de l’institution ne cesse de s’allonger et tous sont contraints d’appliquer des plans d’austérité dictés par les marchés financiers, le FMI et l’Union européenne. L’impact social désastreux sur les populations n’est pas sans rappeler les plans d’ajustement structurel de sinistre mémoire, mis en place après la crise de la dette de 1982 au Sud. Ces plans d’austérité visent à comprimer fortement les dépenses publiques sans mettre à contribution les détenteurs de capitaux afin de trouver les fonds pour rembourser en priorité les créanciers.

La Hongrie ouvre le bal des ajustements, l’extrême droite entre au Parlement

En octobre 2008, un plan de 20 milliards d’euros est décidé pour la Hongrie : 12,3 milliards d’euros sont prêtés par le FMI ; 6,5 par l’Union européenne et 1 par la Banque mondiale. Outre l’accroissement mécanique du stock de la dette et la perte sèche en paiement des intérêts, les conditions sont sévères pour la population : hausse de 5 points de la TVA, aujourd’hui à 25 % ; âge légal de départ à la retraite porté à 65 ans ; gel des salaires des fonctionnaires pour deux ans ; suppression du treizième mois des retraités. La Hongrie, gouvernée par les sociaux-démocrates, avait réussi à sauvegarder un système social assez protecteur. Le mécontentement de la population pour l’application, sur injonction du FMI, de telles mesures d’austérité a été bénéfique pour la droite conservatrice qui a accusé les sociaux-démocrates au pouvoir d’avoir fait du pays « une colonie du FMI » |1|. Pourtant, la victoire du nouveau premier ministre conservateur, Viktor Orban, est saluée par l’agence de notation Fitch Ratings qui estime que son parti, le Fidesz, obtenant la majorité nécessaire pour modifier la Constitution, « représente une opportunité pour introduire des réformes structurelles » |2|. Les sociaux-démocrates ont ainsi connu une défaite historique aux élections législatives de mars 2010 et ont ouvert un boulevard à l’extrême-droite qui est entrée au Parlement pour la première fois avec un score de 16,6 %.

L’Ukraine sanctionnée par le FMI pour avoir augmenté le salaire minimum

Le FMI a approuvé en novembre 2008 un programme de « sauvetage » sur deux ans pour l’Ukraine, s’élevant à 16,4 milliards de dollars. En mai 2010, ce pays n’avait reçu que 10,6 milliards de dollars de l’institution. Pourquoi ? Parce que depuis l’augmentation de 20% du salaire minimum fin octobre 2009 par l’ancien gouvernement de Viktor Iouchtchenko, le FMI a suspendu le versement des fonds. La visite d’une délégation ukrainienne à Washington en décembre 2009 n’y a rien changé et l’octroi d’une nouvelle tranche du crédit reste bloqué. Le dernier versement remonte à juillet 2009, faute d’accord sur les conditions que devrait remplir Kiev, le FMI fixant à 6% du PIB le déficit budgétaire prévu en 2010 alors que le gouvernement propose un déficit de 10% afin de ne pas trop serrer la ceinture. Très durement frappée par la crise, l’Ukraine a connu une chute de 15,1% de son PIB en 2009 et atteindre les 6 % de déficit en 2010 comme souhaité par le FMI relèverait de la mission impossible. En attendant, l’Ukraine a été sommée de reculer l’âge de départ à la retraite et d’augmenter de 20 % le tarif du gaz pour les particuliers à compter du 1er septembre 2009. Privatisation et recapitalisation des banques sont par ailleurs prévus. La privatisation de l’usine chimique d’engrais à Odessa revient sur le tapis, malgré l’importance stratégique qu’elle représente pour la région et pour l’Etat, et malgré les critiques que l’on peut formuler à son encontre sur le plan environnemental.

Le nouveau gouvernement, mis en place en mars 2010 à la suite de l’élection à la présidence de Viktor Ianoukovitch, a cité la reprise de l’aide du FMI parmi ses priorités |3|. Il espère obtenir un plan de soutien de 19 milliards de dollars du FMI après avoir fait adopter au Parlement un budget 2010 prévoyant de ramener le déficit à 5,3% du PIB, en deçà des exigences du Fonds. La mission du FMI, fin mars 2010, a été l’occasion de se rapprocher du nouveau gouvernement en vue d’une reprise du crédit accompagné de futures cures d’austérité.

Grèce : le berceau de la démocratie apprend la dictature des marchés

Alors que la Grèce, accablée par une dette record, appelle à l’aide l’Union européenne et le FMI |4|, l’agence de notation Standard & Poor’s abaisse (de trois niveaux) la note de la dette grecque le 27 avril 2010. Les marchés chutent et les spéculateurs spéculent à la baisse, accentuant la tendance. Le Premier ministre Papandreou déclarait le 11 décembre 2009 : « Les salariés ne feront pas les frais de la situation : nous n’allons pas procéder à un gel ou à une baisse des salaires. Nous ne sommes pas venus au pouvoir pour démanteler l’Etat social. » |5| Pourtant, le 18 mars suivant, Papandreou demande l’aide du FMI dont la contrepartie est une cure d’austérité sans précédent qui vise à économiser sur le dos du peuple grec 4,8 milliards d’euros en mars 2010, puis 30 milliards en mai lors d’un nouveau plan, dans le but de rembourser les créanciers : au menu, gel du recrutement et réduction des salaires des fonctionnaires (forte baisse du montant des 13ème et 14ème mois, diminution des primes, après une réduction des salaires de 10% décidée en janvier) ; gel des retraites ; hausse de la TVA de 19% à 21%, alors qu’il s’agit d’un impôt injuste qui frappe davantage les plus démunis ; hausse des taxes sur l’alcool et le tabac ; réduction drastique des budgets sociaux, comme celui de la Sécurité sociale, etc. |6| Les droits sociaux sont sacrifiés sur l’autel des intérêts de l’ « élite traditionnelle locale » et des dépenses militaires, budget le plus important de l’UE proportionnellement à son PIB |7|. La population réagit fortement et organise des grèves générales (10 février, 11 mars, 5 mai et 20 mai 2010) qui paralysent le pays à plusieurs reprises.

Les Roumains aussi descendent dans la rue

Avec la Bulgarie, la Roumanie est l’un des pays les plus pauvres de l’Union européenne. En mars 2009, la Roumanie obtient un prêt d’environ 20 milliards d’euros. Sur ce montant, 12,9 milliards d’euros sont abondés par le FMI, 5 milliards par l’UE, 1 à 1,5 milliard par la Banque mondiale et le reste par plusieurs autres institutions, dont la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD). En échange, Bucarest s’engage à réduire son déficit public de 7,2% du PIB en 2009 à 5,9% puis voyant cet objectif irréaliste, à 6,8 % en 2010. Au menu, gel des retraites et des salaires avec un maintien du salaire mensuel minimum à 600 lei (145 euros brut), suppression de 100.000 postes de fonctionnaires en 2010, soit 7,5% des effectifs de la fonction publique. Les mesures d’austérité, là aussi, mobilisent la population. Le 19 mai, plus de 60.000 manifestants se retrouvent devant le siège du gouvernement lorsque celui-ci renforce son programme d’ajustement en annonçant une baisse de 25% des salaires des fonctionnaires et de 15 % des allocations chômage et des pensions de retraites, dont le minimum atteint déjà 85 euros. De plus, le gouvernement prévoit de baisser par décret les allocations familiales ainsi que les aides versées aux handicapés à compter du 1er juin 2010. On s’en prend encore une fois aux plus démunis pour payer la crise, tandis que l’on évite soigneusement de taxer le capital : le taux de l’impôt sur les revenus des sociétés a chuté de 9 points, passant de 25 % en 2000 à 16 % en 2009.

Les Islandais refusent de payer pour les responsables

Avant le fameux nuage de cendres volcaniques qui a paralysé le ciel européen pendant quelques jours en 2010, l’Islande a fait la une de l’actualité pour une très grave crise en 2008. Le chômage y est passé de 2 % en octobre 2008 à 8,2 % en décembre 2009. L’Etat a sauvé les trois principales banques du pays de la faillite en s’endettant énormément, et n’a pu assurer le remboursement des détenteurs de titres hollandais et britanniques. Une loi « Icesave », adoptée en catimini fin 2009 et appuyée par le FMI, a demandé au peuple islandais d’approuver le remboursement de cette dette qui a servi à renflouer les banquiers coupables. Après une forte mobilisation populaire, cette loi est rejetée par plus de 73 % de la population lors d’un référendum en mars 2010. Un rapport de la SIC (Special Investigative Commission) présenté en avril devant le Parlement a mis en cause la responsabilité de certains dirigeants de grandes banques et de membres de l’ancien gouvernement, dont l’ancien premier ministre, dans la crise bancaire de 2008. David Oddsson, qui dirigeait la Banque centrale en 2008, a fui juste avant la publication de ce rapport et échappe ainsi à la justice de son pays. Quatre anciens dirigeants de la banque Kaupthing, dont l’ex-PDG Hreidar Mar Sigurdsson, ont été arrêtés à leur arrivée du Luxembourg où ils résident. Sigurdur Einarsson, président du conseil d’administration en exil à Londres, fait lui l’objet d’un mandat d’arrêt d’Interpol.

En accord avec le FMI, l’Union européenne dicte ses volontés aux gouvernements et leur impose des mesures très impopulaires. En novembre 2009, le Parlement européen a prêté à la Serbie (200 millions d’euros), à la Bosnie-Herzégovine (prêt de 100 millions d’euros), à l’Arménie (65 millions d’euros de prêt et 35 millions de subvention) et la Géorgie (subvention de 46 millions d’euros).

Affolés par la spéculation sur la dette, avant même que le FMI n’intervienne, les Etats prennent les devant et des réformes antisociales sont prévues en Espagne, au Portugal, en Grèce, en Irlande, en Italie… Partout ces cures d’austérité pressent les revenus des salaires et préservent le grand capital responsable de l’impasse capitaliste. Partout les peuples se mobilisent et le seul espoir se trouve bien là. L’urgence pour tous ceux qui veulent résister efficacement à la logique capitaliste est d’œuvrer à l’unification de ces luttes.

Jérome Duval , Damien Millet , Sophie Perchellet

www.cadtm.org/Ouragan-d-austerite-s...

notes articles :

|1| Repris par le quotidien conservateur Magyar Nemzet

|2| http://www.lefigaro.fr/flash-eco/20...

|3| http://www.lesechos.fr/info/inter/a...

|4| Il est alors question dans un premier temps de lui prêter d’urgence 45 milliards d’euros, dont 15 milliards à la charge du FMI.

|5| http://mondialisation.ca/index.php?...

|6| Voir le communiqué de presse du CADTM International : http://www.cadtm.org/Soutien-a-la-r...

|7| « Le transfert de 26 avions de combats F-16 en provenance des Etats-Unis et de 25 Mirages 2000, les avions de combats français, a représenté 38 % du volume des importations grecques. » Voir SIPRI, mars 2010 : http://www.sipri.org/media/pressrel...

http://www.legrandsoir.info/Ouragan-d-austerite-sur-l-Europe.html

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